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Sickboy Moviez

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1 novembre 2015

DEATHGASM - EXTINCTION

Dans la série des "split entries" je vous propose aujourd'hui un grand écart entre deux films n'ayant rien à voir l'un avec l'autre, mais étant susceptibles de vous enthousiasmer chacun à leur façon.

Si les deux partagent un certain goût pour des formes horrifiques indéniables, leur approche se situe toutefois aux opposés, mais ils se complètent assez bien d'une certaine manière...

Mais commençons donc par le plus délirant des deux, qui vous fera hurler de rire, pour peu que certains codes vous soient familiers...

DEATHGASM

Deathgasm-Theatrical-Poster_FINALAlors de deux choses l'une. Ou de trois d'ailleurs. Vous aimez le cinéma potache et ludique de Nouvelle Zélande. Vous vénérez les débuts de Peter Jackson, Housebound vous a fait pleurer de rire, et vous n'êtes pas contre un petit Black Sheep ou un Bad Trip bien troussés. En plus, le gore qui tâche et qui éclabousse ne vous dérange pas, pour peu qu'il n'atteigne pas votre T-Shirt de Mayhem flambant neuf. Et de trois, en lien avec le point précédent, vous êtes un accro à la musique extrême, Death, Black, Grind, et alors là, autant vous dire que vous allez vivre une véritable épiphanie cinématographique et musicale....

 

Deathgasm, pour nous autres, Hard Rockeurs, c'est le film qu'on attendait depuis longtemps, qui va enfin enterrer dans le plus profond caveau du nanar l'horrible Hard Rock Zombies, et nous donner une légitimité comique que nous méritons bien. Si Wayne's World et Spinal Tap nous ont en quelque sorte permis d'accepter le second degré de notre musique préférée - et de l'assumer sans honte - Deathgasm en sera l'équivalent pour les aficionado du Black Métal, pas forcément réputés pour leur esprit guilleret et ouvert. Mais résumons.

 

Brodie est un pauvre orphelin fan de Métal sombre qui est recueilli par son oncle et sa tante après que sa mère ait complètement pété les plombs, dans tous les sens du terme. Ceux ci, des bigots blancs de pureté comme un sermon du dimanche, voient d'un très mauvais oeil ses accointances avec le milieu pseudo "satanique" du Métal extrême, et son cousin en profite même pour lui coller quelques raclées et autres humiliations d'usage.

Un jour, Brodie rencontre le ténébreux Zakk, chez un disquaire du coin. Lui aussi est fasciné par l'underground musical, et les deux acolytes ont tôt fait de monter un groupe improbable avec les deux plus ou moins potes nerd de Brodie, laissés pour compte et boucs émissaires comme lui.

Un soir, Zakk propose d'entrer par effraction dans une masure de banlieue, pour y dérober ce qu'ils y trouvent. C'est alors qu'ils tombent sur une ex star du Métal paranoïaque, hirsute et déjantée, auquel ils volent un vinyle ultra collector, sans savoir qu'il cache dans sa pochette une partition diabolique, qui une fois jouée, réveille un démon ancien qui de sa puissance néfaste change les pauvres hères ayant laissé traîner leurs oreilles trop près de la mélodie en monstres sangunaires. Et c'est évidemment ce qui va se passer, à notre plus grand bonheur.

 

Si Metalhead abordait déjà la passion d'une adolescente incomprise pour le Black Métal et la solitude qui l'accompagne souvent sous sa forme la plus dramatique, Deathgasm ne s'embarrasse pas d'une quelconque dramaturgie, et joue l'excès dans tous les domaines. Hymne Teen furieux à la musique extrême, aux amours impossibles et pourtant possibles, et surtout, gros délire foutoir qui permet des exactions gore et des séquences musicales désopilantes (les répètes du groupe sont fantastiques, du look aux approximations, notamment dans le premier solo de Brodie, quant aux fantasmes illustrés à la Wayne's World, les fans de True Metal vont adorer, sans parler des cochons qui aiment bien les nichons...), Deathgasm est un énorme plaisir même pas coupable, qui multiplie les clins d'oeil (styles musicaux, looks, expressions, tout y passe, de "C'était brutal" à "Métal Up Your Ass" en passant par le foutage de gueule en règle de POISON...), tout en suivant une ligne narratrice cohérente, mélangeant le Bad Taste de Jackson et la vague zombiesque des années 2000. Bien sur, tout le monde peut apprécier cette orgie baroque qui offre une cinématographie éblouissante, lardée de cuts, de plans séquences hallucinants, dynamisée par un montage nerveux, mais il est certain qu'en faisant partie de la "famille Métal", le ballet prend des allures de Mazurka endiablée.  

 

Le fond ET la forme, du gros qui tâche mais aussi de la sensibilité pas trop appuyée, des clins d'oeil en veux tu en voilà, du rythme, des astuces visuelles incroyables, Deathgasm est une bombe et prouve par la même occasion que lorsqu'une blague est élaborée par un passionné, le résultat est toujours probant.

Comme quoi, on peut écouter Burzum ET aimer rire. Si, c'est possible.

 

Deathgasm - Official Trailer

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EXTINCTION

extinction_ver2_xlgDirection maintenant l'Espagne, pour changer radicalement de propos et de ton. On sait de source sure que le cinéma ibérique traverse une crise sans précédent, à tel point que certaines participations à des festivals semblent remises en cause, faute de fonds pour la production...Alors la qualité va déclinant bien sur, les producteurs ne prennent pas de risques, et l'auto financement devient la solution, bridant bien sur la créativité...Mais voici un contre exemple brillant, qui même s'il a nécessité une collaboration entre plusieurs pays, confirme le talent de scénariste et de metteur en scène de Miguel Angel Vivas déjà responsable du plutôt très bon Kidnappés.

 

On le sait, les Post Ap', depuis le début des années 80, c'est la mode. Cette mode connaît un revival depuis la fin des 90's, et certaines oeuvres sont même passé au panthéon, à l'instar du surfait World War Z, ou du brillant 28 Jours Plus Tard. Nous eûmes droit aux chefs d'oeuvre, mais aussi aux prod' fauchées, aux blagues françaises de mauvais goût (certes, jamais pire que Terminus, le mètre étalon du nanar), et parfois, à des approches dramatiques élusives et poignantes, même si encore un poil maladroites. Récemment, le finaud Hidden ajoutait sa pierre à l'édifice, et aujourd'hui, c'est Extinction qui attaque le clocher, avec son presque huis clos tendu, nerveux, et psychologique. Mais résumons.

 

Scène d'ouverture sans ambages, un car scolaire trimbale une tripotée de civils sous la surveillance/protection de militaires, pour un éloignement vers une zone de confinement. Le premier bus s'arrête, une détonation résonne, et le chaos déchire soudain le silence pesant pour une orgie de violence. A bord de ce car, Patrick et Emma, avec leur bébé, mais aussi Jack. Les quatre s'en tirent comme ils peuvent, non sans y laisser des plumes. Blackout. On les retrouve - plus ou moins - neuf ans plus tard, alors que la terre semble ravagée par un hiver nucléaire (assez incompréhensible d'ailleurs, nous n'en saurons pas plus), habitant un coin paumé (Harmony, Californie) chacun de leur côté. On comprend assez vite que quelque chose à mal tourné, puisque Jack et Patrick ne s'adressent plus la parole, qu'Emma a disparu, et que la petite Lu croit que son propre père est Jack.

La menace des mutants/zombies semble maintenant éradiquée, et chacun vit de son côté du palier, Patrick buvant plus que de raison et trifouillant une radio amateur pour chercher un peu de compagnie, tandis que Jack fait l'école à domicile à Lu, qui elle même donne quelques biscuits en douce au chien de Patrick. Ménage à trois isolé, la survie suit son cours, mais très vite, la menace surgit...Et si les monstres étaient vraiment revenus?

 

Propos de base, qui thématiquement n'offre rien de neuf, mais qui dans le traitement se la joue gentiment The Dead Outside, et privilégie l'humain sans pour autant négliger le fantastique. Mise en forme par une équipe d'acteurs au top du top (Matthew "Lost" Fox, Jeffrey "Blair Witch 2" Donovan, Clara "Inside" Lago et la petite et toute mignonne Quinn McColgan), l'histoire d'Extinction est brillante mais simple par son désir de décrire ce qui resterait d'humanité et d'égoïsme, et de rancoeur dans un monde perdu, promis à une fin très proche. Beauté des paysages (même si certains sentent un peu trop l'artificiel de studio), photographie remarquable de pureté dans les tonds froids et rayonnante dans les tons chauds, montage qui prend son temps et utilisation toute en sobriété des espaces négatifs. Absence de scare jump trop facile, dialogues bien écrits et parfois émouvants, ce long métrage fait preuve d'une belle humilité dans le brio, et suscite autant la peur que l'émotion, sans jamais tomber dans la facilité.

 

Le tour de force est d'avoir réussi à "forcer" indirectement le spectateur à s'intéresser tout autant au quotidien des trois protagonistes (les scènes de flashback explicatives sont un exemple de modération), qu'à la menace ambiante qui grouille dans la pénombre (utilisation intelligente de l'espace/son à travers des hauts parleurs extérieurs), et cette ambivalence découle sur une crédibilité prenante, même ci certains réflexes semblent parfois légèrement déplacés. On peut y voir une version intimiste mais pas ascétique du I Am Legend de Francis Lawrence, mais aussi un simple drame de la déchirure familiale en forme de métaphore apocalyptique. C'est en tout cas une très bonne raison de s'abandonner pendant presque deux heures, qu'on ne voit d'ailleurs pas passer, tant les acteurs se mettent au niveau d'un réalisateur inspiré et pudique. Quant à savoir si le cinéma espagnol y verra une catharsis, c'est un autre débat.

EXTINCTION Tráiler Oficial

 

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6 octobre 2015

Critique Express : THE EDITOR - HIDDEN - LAST SHIFT

3 Movies

Trois petits films traités rapidement, notables, rafraîchissants dans leur genre, sans mériter une analyse complète c'est le programme d'aujourd'hui, pour quelques lignes et quelques frissons. Mais à eux trois, en transcendant leur genre respectif, prouvent que le ciné indépendant mondial et surtout Nord Américain a encore des idées, et beaucoup d'envie. Ce qui, en soit, est assez rassurant, surtout lorsqu'on constate la débâcle dans laquelle sont plongées la production ibérique et nippone. 

 

THE EDITOR

Partons d'abord au Canada, pour y rencontrer deux metteurs en scène/acteurs qui se sont visiblement bien éclaté à rendre hommage à leurs maîtres à penser. Adam Brooks et Matthew Kennedy, l'équipe gagnante de Father's Day a remis le couvert, en poussant encore plus loin leur délire pastiche, tout en saluant au passage quelques grandes figures du Giallo. Lors de sa diffusion en festivals, le film avait fait grand bruit, et surtout, provoqué l'hilarité d'un public qui avait du mal à croire ce qu'il voyait. On sait d'expérience que la parodie est un style risqué, provocant souvent des chutes violentes dans la gaudriole (sans même parler de la série "Ce que vous voulez-movie, pitoyable au possible), mais que lorsque l'art est maîtrisé, il peut aboutir à des oeuvres complètement barrées, et hautement jouissives. Ce qui est le cas ici, vous vous en doutez.

 

The Editor raconte l'histoire de Rey Ciso (film Canadien, pseudo qui va avec...), ex-monteur de génie ayant travaillé avec les plus grands, qui après un accident lui ayant coûté les doigts de sa main se retrouve à faire le tâcheron sur des tournages minables. Marié à l'ex star depuis longtemps déchue Josephine Jardin (extraordinaire Paz de la Huerta) qui le méprise ouvertement, il va se retrouver confronté à une vague de meurtres horribles qui décime l'équipe de son nouveau film, produit par l'infâme Francisco Mancini. Celui ci s'en fout d'ailleurs complètement, se contentant de rabaisser constamment Rey en le traitant d'infirme, et d'essayer de trouver des sosies à ses défunts acteurs. Mais Rey doit aussi faire face à un premier rôle égocentrique et monomaniaque, un flic aux méthodes décalées et à la moustache luisante, et à une assistante un peu trop dévouée...En dénouant les fils de l'écheveau, il va se rendre compte que la réalité est bien plus sombre qu'il ne le pensait...

 

A l'énoncé, vous saisirez la teneur hautement absurde du propos. The Editor joue sur la surenchère, à tous les niveaux, et se permet des citations ouvertes que les passionnés dégusteront avec délectation. Lumière bleues et roses à la Inferno d'Argento, tueur masqué typique du giallo, qui travaille au choix aux ciseaux, au couteau ou tout autre objet tranchant, musique calquée sur les GOBLIN en pleine descente d'acide, tout est là. Y compris les araignées si chères à The Beyond de Fulci, ou le livre des Trois Mères de son acolyte Dario. Les scènes gore calquent la ligne du parti 70, avec toutefois une emphase exubérante atypique, notamment dans ce sommet d'instant absurde durant lequel le héros du film dans le film arrache le visage d'une suspecte avant de lui remettre... Mais ici, pas de limites, et l'exagération est de mise. Comédiens tout en charge, costumes ridicules, dialogues à l'emporte pièce, ne reculant devant aucun bon mot ou non sens, rapprochement de deux héros mâles en pleine reconversion sexuelle, et par dessus tout, un maximum de femmes nues, parfois complètement gratuitement.

 

La réalisation est soignée, tous les détails sont en place, et on se laisse emporter par la bonne humeur ambiante, car au delà de son but parodique, le film est très bien réalisé, et respecte à la lettre les conventions du style. Si le jeu d'acteur remporte haut la main la palme (certains dialogues sont à se pisser dessus), avec des gimmicks récurrents qui pourront déplaire à la gent féminine (cette sale habitude qu'à le personnage du flic de systématiquement mettre des torgnoles à toutes les femmes qu'il croise, sans compter sa propension à s'étaler de la boue ou du gâteau pendant l'acte), il est évident que le métrage joue sur la misogynie ambiante du giallo des années 70, dans lesquels la femme n'était qu'un objet de plaisir et de violence. La fin amorce même un twist improbable à la Shutter Island, dérivant vers le fantastique pur, de la même manière qu'Argento se laissait guider à la fin des années 70. Au passage, la fin d'Inferno est complètement calquée, avec ce meurtrier grandiloquent qui hurle dans les flammes "Appellez moi, LA MORT!!!", en version aussi grotesque mais beaucoup plus drôle que le tiré de rideau pathétique de l'Italien.

 

Mais bon, si vous versez dans la gaudriole respectueuse, que le jeu sans finesse ne vous rebute pas, que vous ne crachez pas sur une paire de fesses gratuites, et que le gore vous sied, laissez vous pénétrer par l'univers unique de ces deux tarés Canadiens qui viennent de mettre une grosse baffe dans la tronche d'un style un peu trop sérieux parfois. 

The Editor Official trailer 

 

HIDDEN

Premier film des Duffer Brothers, Hidden malgré son titre passe partout recèle de véritables surprises. Les huis clos post apocalyptiques, on connaît déjà. De The Divide à The Day, en passant par l'ascétique The Dead Outside, tout a été dit, testé, tenté avec plus moins de bonheur, mais je dois avouer que ce dernier né apporte un petit plus à un genre qu'on pensait à l'agonie, sans pour autant le révolutionner. Mais une nouvelle pierre à l'édifice est appréciable, tout en admettant que ce métrage porté à bout de bras par son casting solide.

 

Hidden raconte le calvaire souterrain d'une petite famille, Ray le père (Alexander Skarsgård, True Blood), Claire la mère (Andrea Riseborough, Oblivion), et Zoe la petite fille (Emily Alyn Lind, Ghosts Of Georgia, Enter The Void), coincée depuis un an dans un abri anti-atomique suite à l'apparition d'un virus ayant contaminé les habitants de leur petite ville. Nous suivons donc leur quotidien, subtil mélange de petits plaisirs, de peur, de jeux et d'interrogations sur un avenir potentiel. Entre les rations qui diminuent dramatiquement, les bruits qu'on interprète de bien des façons, les petits jeux rassurants, le trio essaie de ranimer une humanité qu'on pense disparue à jamais, avant qu'une menace de plus en plus proche ne vienne tout faire vaciller. Qui sont donc ces "humains" qui les traquent sans relâche, et qui les effraient tant? Certaines scènes en flashback nous éclairent quelque peu, mais le mystère demeure...Sont ils les derniers survivants, et si tel est le cas, vont ils le rester encore longtemps?

 

Hidden ne brille en aucun cas sur le fond, avec une histoire rebattue, vue et revue, et reste formel sur la forme. Si les décors peignent sans vergogne avec la palette standard, si les dialogues sont la plupart du temps répétitifs et convenus, il est certain que le jeu des trois acteurs nous tient en haleine pendant quatre vingt dix minutes. Le montage est classique, avec de longs travellings inquiétants, et le travail sonore est efficace, sinon novateur. Mais on ne peut s'empêcher de s'attacher aux personnages, brillamment incarnés par trois comédiens tout en retenue, si ce n'est la petite Emily Alyn Lind qui laisse son incarnation respirer le long de cris de peur et de tirades interrogatrices. Mais là où le film brille, c'est dans son twist final qu'on ne voit arriver que très tard, et qu'il est évidemment hors de question que je vous dévoile. Celui ci surprend agréablement, et jette un regard neuf sur ce type de film au cahier des charges très strict, faisant même bondir l'action d'un cran en toute fin.

La construction évolutive en gigogne, si elle reste simple dans son fonctionnement (questions/réponses/énigmes en flashbacks) apporte un dynamisme indéniable à l'ensemble, et propose un peu de couleurs, à défaut de réponse nette.

 

Et lorsque celle ci arrive, elle laisse présager d'une suite qu'au bout du compte, je serai assez heureux de découvrir. En tout cas, en dépit de deux tiers de pellicule qui revisitent les poncifs du genre, en version haut de gamme cependant, Hidden reste une très bonne surprise, dont le formalisme initial est guidé par cette fin explosive, et qui prend du coup tout son sens dans sa conclusion.

Hidden - Official Trailer

 

LAST SHIFT

"Une jeune flic se voir assigner comme première mission la surveillance d'un commissariat de police qui va fermer. Sa nuit va devenir un véritable cauchemar..."

Dit comme ça, c'est sur, ça rappelle quelque chose. Logique puisque Last Shift est un hommage à peine déguisé au très culte "Assaut" de maître Carpenter, version fantastique et plus..féminine. Tout comme Hidden, Last Shift ne modifie pas en profondeur le fond, et se laisse aller à des citations évoquant autant Carpenter bien sur qu'un bon épisode des X-Files, mais se permet pas mal de libertés à la croisée des genres, pour proposer un rendu très efficace, et autant l'avouer, parfois assez effrayant.

 

Plantons le décor.   Une jeune recrue encore un peu tendre, Jessica Loren (Juliana Harkavy, vue dans The Walking Dead, jolie et capable) se retrouve plantée dans un commissariat promis à une démolition imminente. Elle est accueillie étrangement par l'officier présent sur les lieux, qui s'empresse de filer, la laissant seule entre ces murs blancs vides de toute présence. Celle ci s'apprête donc à vivre une nuit plutôt ennuyeuse, coincée derrière son bureau, avec pour seul compagnon Le guide du policer débutant. Mais bientôt, d'étranges phénomènes commencent à se produire...C'est tout d'abord un bien bizarre SDF qui fait son apparition, pour se vider la vessie en plein dans le hall. Mais là n'est pas la menace la plus dangereuse puisque d'étranges bruits envahissent les corridors, et d'inexplicables faits commencent à se produire. L'agent Loren commence à voir des choses qui n'existent pas forcément, et se rend compte que le bâtiment pourrait cacher des secrets bien plus sombres que de vulgaires pièces à conviction sans intérêt qui traînent dans une pièce...Sans oublier des coups de fil d'une pauvre fille visiblement en danger, alors que toutes les lignes d'urgence ont été déviées...Quel est donc ce trouble passé qui semble hanter les murs de ce vieux bâtiment pas si anodin qu'il n'en a l'air...

 

La encore, l'essentiel du métrage repose sur les épaules de sa principale interprète, qui traverse le film d'une stature parfaite et idoine. Juliana Harkavy s'en sort admirablement dans le rôle pourtant difficile de cette flic en quasi mode solo qui doit affronter des évènements imprévisibles et incontrôlables, et Dieu sait si incarner un personnage en proie aux affres de l'impossible et des dérives de sa psychologie est difficile. Pourtant, jouant tout à tour l'étonnement, la peur, puis la terreur, Juliana passe en revue toute la palette d'émotion d'une héroïne en proie à des démons pas forcément fictifs, et insuffle au métrage un vent de folie contagieuse et de paranoïa tendue. Certes, la forme est d'usage, avec son lot d'apparitions fantomatiques, de manifestations surnaturelles, mais certaines idées sont particulièrement bien trouvées (comme la visite de ce collègue qui laisse un arrière goût de cauchemar et rappelle un peu Pet Sematary), les scare jumps pas forcément prévisibles et convenus (jolie utilisation d'une simple lampe de poche dans une séquence assez traumatique, qui prouve qu'avec pas grand chose on peut foutre la trouille, syndrome Blair Witch), et même un joli twist final assez surprenant.

Le reste du casting est à la hauteur, et le léger parfum Helter Skelter directement inspiré de la Manson Family rappelle en surface les deux premiers films de Rob Zombie, avec ses gros tarés qui cette fois ci, sont plus difficilement sympathiques. Niveau technique, outre un bon contraste entre l'immaculée et aveuglante dominante blanche (la virginité professionnelle), et la pénombre menaçante (les dangers de la société et du métier, l'au delà), on note un montage sobre mais qui sait se montrer haletant, et quelques cuts bien sentis. En gros, Last Shift est une jolie perle indépendante à découvrir, inventive et bien troussée, qui monte en puissance ET sait coller le jetons. Que demander de plus?

 

Last Shift - Official trailer

 

 

1 octobre 2015

ME AND EARL AND THE DYING GIRL

me-earlPour ma centième entrée, il me fallait quelque chose de lourd, quelque chose d'unique, et c'est sans doute pour ça que j'ai pris tant de temps avant de me lancer. Mais en tombant hier sur un film unique, j'ai su que j'avais enfin trouvé la perle rare dont je voulais parler. Bien que ce genre de film se vive, se rie, se pleure plus qu'il ne se parle. Car il parle déjà beaucoup.

Rien ne prédestinait un réalisateur comme Alfonso Gomez-Rejon à pondre une oeuvre aussi profonde et légère, aussi intime et révélatrice des tourments adolescents. Sa filmo ne laissait en rien présager d'une telle avancée majeure, puisqu'on ne le retrouvait jusqu'à lors qu'au générique du chamarré et chantant Glee, du véreux American Horror Story, et aux commandes d'un petit film d'horreur de série B sans intérêt, The Town That Dreaded Sundown.

Et pourtant, une sélection pour le prestigieux Sundance plus tard, le voici hissé au rang des conteurs d'histoire de premier plan, et c'est chose amplement méritée.

 

Attention, Me and Earl and the Dying Girl est un film lachrymal. Il va humidifier vos cornées et ne vous étonnez pas si quelques instants plus tard, une goutte perle sur vos paupières. Vous n'y pourrez rien, c'est comme ça, une émotion que l'on ne peut pas contrôler, ni rationaliser. Mais avant d'en arriver là, il va vous époustoufler de sa narration, vous faire pisser de rire, vous plonger dans l'incompréhension de l'absurde, et finalement, une fois que vous l'aurez vu, rien ne sera vraiment comme avant. Il présente les choses telles qu'elles sont, sans les enjoliver, et pourtant fait preuve d'une poésie subtile et rare, dont peu de films ont su s'assurer la maîtrise. C'est une comédie dramatique, un drame drôle, une tranche de vie, et peut être la plus belle histoire d'amour et d'amitié porté sur écran depuis...Harold et Maude, au moins. Mais pour toucher le coeur des gens, il faut d'abord avoir une histoire, simple et sincère, crédible et féerique à la fois, et sous cet angle là, celle de Me and Earl and the Dying Girl est universelle, puisqu'elle parle de la vie, de la mort, de l'amitié, et du temps qui passe et laisse des cicatrices, qui parfois ne se referment jamais.

 

Greg est en terminale, et il est l'archétype de l'élève passe partout, qui s'entend bien avec tout le monde, non par empathie et ouverture, mais par précaution, pour ne pas faire de bruit ou se faire des ennemis. Il connaît tous les groupes, qu'il a lui même stratifiés, et évite avec grand soin de se faire remarquer, reste évasif mais sympathique, avec toujours un bon mot qui tombe pile. Il traverse sa scolarité comme un fantôme, arpentant les couloirs comme les dédales de sa pensée, et s'apprête à vivre sa vie de la même façon, sans se faire d'illusions. Son "collègue de travail", Earl, qu'il se refuse à appeler son ami, est son exact opposé. Il n'a cure de rien, vit peinard, squatte chez son pote pour oublier son quotidien, et à eux deux, ils réalisent des pastiches de films européens avec trois bouts de ficelle, et beaucoup d'humour. C'est le père de Earl qui les a contaminé de sa passion, un jour en regardant Aguirre ou la Colère de Dieu, ce qui ne l'empêche nullement de passer sa journée portant un vieux peignoir sale et en mangeant des choses infectes. Greg est étouffée par sa mère, qui le trouve beau, brillant, en somme, l'opposé de ce que lui même voit en lui. Mais un jour, cette dernière lui annonce avec des trémolos dans la voix que son amie Rachel est atteinte d'une leucémie. Le problème, c'est que Greg et Rachel ne sont pas amis. Elle va quand même le forcer à aller la voir, pour la réconforter, et ce point de départ inopiné et anodin va sonner pour Greg la fin de sa vie bien rangée, et lui faire découvrir des sentiments qu'il se croyait incapable d'éprouver. Mais surtout, cette tragédie va le forcer à entrer dans la vie de plein pied, et surtout - Ô cauchemar - à s'impliquer, et retirer sa cuirasse. Comment va il le vivre? C'est bien là le pivot du film.

 

Un film pareil, c'est en premier lieu un film d'acteurs, qui transcendent un scénario simple, et le font vivre, en trois dimensions, presque palpable. Ce sont des dialogues brillants, énoncés d'une voix atone, des répliques qu'on se répète le sourire aux lèvres. Ce sont aussi des personnages complexes, légèrement brisés par le destin, qui s'en démêlent comme ils peuvent. Ce sont aussi des astuces, des trouvailles visuelles, en gros, c'est un monde adolescent plaqué sur pellicule, et de la plus belle façon qui soit, puisque la plus réaliste, tout en flirtant avec la poésie la plus subtile. Certains critiquent ont vu des références notables dans ce film, et loin de moi l'idée de les contredire.

Du Wes Anderson bien sur, dans les caricatures aux limites des tocs des personnages, de leur handicap, mais aussi des cadrages, des teintes pastels douces, des comportements en angle droit qui semblent incongrus, des répliques hilarantes balancées comme des banalités épuisantes.

Du John Hughes pour cette tendresse envers l'adolescence et toutes les turpitudes qu'un jeune doit traverser pour enfin devenir un adulte. Cette façon de recouvrir les personnages d'une patine, voire d'une carapace, pour mieux la briser ensuite et les laisser les chairs à vif.

Mais aussi du Michael Arndt pour cette façon de tisser des liens complexes et attachants entre les personnages, les présentant sous une ombre poignante au départ, pour mieux les exposer à la lumière ensuite...

 

Mais avant toutes ces références certes pertinentes, il convient de saluer la performance, et le mot est faible, des trois acteurs principaux. Au premier plan, Thomas Mann (Sublimes Créatures, Projet X, As Cool as I Am), bluffant dans la peau de Greg, adolescent émotionnellement handicapé qui refuse d'avoir des amis et de s'impliquer dans une relation normale avec ses pairs. Thomas, avec sa mine de chien battu, assume tous les traits de son personnage et en joue avec délectation. Du frustré névrosé relativement transparent, il adopte les tics, les répliques, l'humour à vif et un peu déplacé, le tout avec des yeux de cocker et une démarche nonchalante. L'acteur, sans changer de ton durant tout le métrage fait passer une foule de sensations, et surtout, par de petits riens, évoque à merveille le quotidien d'un adolescent qui n'a pas choisi ses peurs ni ses doutes, tout en subtilité, sans forcer le trait le moins du monde.

Son "collègue de travail" Earl, est quant à lui incarné avec un brio époustouflant par RJ Cyler, le regard presque éteint, qui ne se pose pas de questions inutiles, et qui lui aussi aurait sans doute rêvé d'un autre destin, mais qui ne s'en plaint pas. RJ est d'un naturel désarmant, et on lui doit les répliques à l'emporte pièce, les jurons, il est sans conteste un des éléments les plus importants de l'histoire.

Mais je dois reconnaître que voir enfin la belle Olivia Cooke, sosie non officiel de la sublime Rachael Leigh Cook dans un rôle à sa mesure, a été une très grande satisfaction pour moi. Dans la peau de Rachel, elle est touchante, drôle, émouvante au possible, et fait passer tellement d'émotion dans ses grands yeux noisette qu'il est impossible de ne pas avoir envie de la protéger du mieux qu'on peut. La jeune actrice a enfin délaissé les films d'horreur de seconde zone (Ouija, Les Ames Silencieuses, en gros, du pas top) pour s'épanouir dans une oeuvre majeure, et prouve qu'elle est déjà une actrice de premier plan. Tour à tour rieuse, épuisée, résignée, optimiste, volontaire, Olivia strie les zones d'ombre du film de sa beauté et de son naturel, et comme le souhaitait le réalisateur/narrateur, vous finissez vous aussi par l'aimer, malgré son état.

 

Mais outre ces performances, le film est constamment émaillé de petites trouvailles visuelles extraordinaires, parfois difficilement perceptibles, mais toujours pertinentes, comme ces cadrages décalés et ces décors chargés à la Wes Anderson, ces angles de prise de vue qui écrasent les personnages, ou au contraire les isolent dans un énorme espace négatif renforcent l'impact de la trame temporelle, sans parler de ce découpage en chapitres qui muent le film en roman. En outre, les références cinématographiques multiples dessinent un jeu de piste savoureux pour cinéphile averti (les pastiches signés par les deux lycéens sont hilarants, mais pointus pour des américains. Vous y trouverez au hasard des références à Midnight Cowboy, Harold et Maude, Orange Mécanique, Aguirre, Peeping Tom, et croyez moi, vous n'avez pas fini de vous marrer...), et accentuent encore le côté clin d'oeil, la mise en abîme "le cinéma dans le cinéma, vu par la jeunesse".

 

Mais bien évidemment, ce qui renforce l'histoire, c'est l'histoire elle même. Alfonso Gomez-Rejon laisse respirer ses personnages principaux, ou les étouffe selon le cas de figure, mais leur donne comme alliés des seconds rôles savoureux (le pinacle étant ce père incarné par Nick Offerman, brillant d'absurdité, avalant des choses peu ragoûtantes), de dialogues ciselés dans l'humour noir et le second degré, avec des répliques déjà cultes que j'ai dégustées d'une fine bouche. Il dépeint avec une justesse absolue les affres de l'adolescence, selon tous les points de vue possible (les marginaux, les rejetés, les excentriques, les intellos, les passe-partout, les petits, les grands), ne les prend pas pour des imbéciles ni pour le futur de l'humanité, et se contente de décrire leur monde fidèlement. Il évite tous les pièges du conte high school avec facilité (pas de love story dégoulinante, pas de bal de fin d'année lors duquel le bien triomphe, pas de BO tonitruante), et finit par raconter une histoire qui nous concerne tous, quel que soit notre âge. L'amour, l'amitié, la difficulté d'être soi même, la relativisation de ses petits problèmes face aux tragédies vécues par les autres, l'acceptation du monde extérieur, ou au contraire sa négation.

 

C'est une brillante non histoire d'amour, une réelle histoire d'amitié, et surtout, une formidable leçon de vie qui justement ne donne pas de leçon. En traversant ce film de vos deux yeux, j'espère que vous éprouverez les mêmes choses que moi. Les scènes drôles s'accumulent (et Dieu sait s'il y en a), les moments de tendresse et de tristesse aussi, mais le plus remarquable et que ce film tient la corde jusqu'à son terme, pour nous terrasser complètement lors de son final, qui je vous le promet, vous fera pleurer doucement, sans faire de bruit, tant cette scène finale est touchante et émouvante. Les tragédies de la vie sont difficiles à gérer en étant adulte, comme on refuse l'inéluctabilité de l'existence, mais elles le sont encore plus lorsqu'on a pas vingt ans, et qu'on croit avoir tout son temps. Et le message que fait passer Me and Earl and the Dying Girl est d'une sincérité et d'une limpidité effarantes. Peu importe ce que vous dites, peu importe les miracles que vous accomplissez, les plus grands discours et les plus belles promesses ne sont rien face au temps que vous pouvez consacrer à quelqu'un que vous aimez. Ne dites pas, faites. N'essayez pas, soyez. Soyez vous mêmes, acceptez le monde extérieur et son cortège d'horreur et d'injustice, et prenez place aux cotés de vos proches, dans les bons et les mauvais moments.

 

Voilà, c'est ça. C'est pour ça que j'ai attendu si longtemps avant de parler de mon centième film. Il me fallait quelque chose d'unique, de vrai, de drôle et d'émouvant. Il me fallait une célébration de la vie.

Ce que j'ignorais, c'est qu'en le trouvant, je me sentirais vivant que jamais.   

ME AND EARL AND THE DYING GIRL (2015) Official Trailer

3 juin 2015

EX MACHINA

ex_machina_ver4Réussir un coup de maître dès sa première oeuvre, tout en traitant d'un sujet convenu comme l'intelligence artificielle, à des airs de pari impossible que nul n'est tenu/capable de relever. Et pourtant, ce défi vient d'être remporté haut la main par Alex Garland avec son premier long, Ex-Machina.

D'Alex, on connaît surtout les scénarii, les nouvelles et les adaptations, comme 28 Jours Plus Tard, La Plage ou encore Sunshine. Il ajoute aujourd'hui une flèche à son carquois de talent en mettant en scène une histoire d'une belle simplicité, traitée avec une remarquable sobriété. Et pourtant, Dieu sait si la thématique était propice à tous les délires imaginables. On pensait tout savoir, on croyait avoir tout vu sur le thème de l'AI, du film de Spielberg en passant par I Robot, Minority Report, et tout autre digression scientifique/d'anticipation. Mais non seulement Garland passe l'épreuve du baptême long métrage avec brio, mais il apporte en plus un sang neuf, un nouvel angle au bestiaire bio-électronique en donnant vie à l'humanoïde le plus séduisant de l'histoire du cinéma depuis au moins Cherry 2000...Le collègue digressif de Danny Boyle en a donc un sacré paquet sous la botte...

 

Ex Machina, c'est l'histoire de Caleb, programmateur d'une grosse boite qui se voit convié par son boss à collaborer à son immense domicile, sur une île déserte, sur un projet ultra secret, eut égard à ses qualités et états de service. Arrivé sur place, il se rend compte que Nathan est un personnage assez étrange, plus porté sur la boisson que sur la science, au franc parler percutant, et qui souhaite faire passer à l'une de ses inventions une batterie de tests pour en évaluer la fiabilité.

Ainsi Caleb découvre la superbe Ava, au visage splendide et à la plastique biomécanique parfaite...Un dialogue s'instaure entre l'homme et la machine, mais peu de temps s'écoulera avant que Caleb ne commence à se poser des questions...Ava est elle encore une machine, ou bien est elle une réelle âme humaine coincée dans un corps cybernétique, ressent-elle de réels sentiments ou joue elle la comédie, et surtout, est elle vraiment le sujet des tests demandés? Et qui est vraiment Nathan? Son concepteur ou son amant? Quelles sont les raisons de ces fréquentes coupures, de courant? Qui est cette sculpturale assistante asiatique? Autant d'interrogations qui ne resteront pas sans réponse, mais qui risquent de remettre en cause les fondements même de la vie et de la science selon Caleb...

 

Comme je le disais, le thème est rebattu. Les histoire présentant des "robots" dotés de sensibilité sont légion, et il devient difficile de nos jours de faire avancer le débat sans tomber dans la surenchère d'effets spéciaux, uniquement destinés à cacher le vide de l'écriture et de la réalisation. La gageure accomplie par Ex Machina est d'avoir mis le fond à la hauteur de la forme, et d'avoir autant soigné le message que l'image. A l'heure où les "humains de substitution" atteignent un niveau de réalisme effrayant (surtout en Chine et au Japon, ou les "amants synthétiques" sont plus que jamais en vogue dans les milieux huppés), ce film est d'une beauté vraiment troublante, à l'image de son héroïne qu'on se surprend à trouver séduisante et attirante malgré son assemblage synthétique apparent. Il faut dire qu'Alex Garland a soigné sa réalisation. Alternant les plans serrés sur les visages et les angles profonds reflétés par les caméras de surveillance, il resserre son étreinte autour de la paranoïa, trouble les rapports entre ses personnages par un savant jeu d'angles et de croisements en trompe l'oeil, et surtout, reste fidèle à une ligne de conduite sobre qui lui fait préférer un décor aux lignes épurées unique qui permet au film de ne pas paraître daté, ni de tomber dans un quelconque repère temporel.

 

Mais ce qui trouble le plus à la vision du métrage, ce sont ces quatre personnages qui s'adonnent à un bien étrange ballet fait de séduction, d'intimidation, de faux semblants, de menaces, d'aveux à demis mots, et d'intentions qui ne sont pas forcément celles initiées par le sujet. Si au début du film le doute s'instaure assez rapidement quant à la volonté de transparence de Nathan, il ne laisse pas planer d'indices quant à l'issue de son histoire. Ce, grâce à un jeu de rôles fabuleux qui intervertit les personnalités au fur et à mesure que la tension monte.  

Au premier plan de cette pièce, Alicia Vikander (Le Septième Fils) absolument bluffante dans la "peau" de cette créature qui se veut plus humaine que les humains, rôle terriblement difficile et ingrat tant il s'ingénie à suggérer l'impassibilité et les mouvements mécaniques en lieu et place d'émotions tangibles. La performance d'Alicia est extraordinaire, toujours à la limite de la menace latente, troublante, sexy et vénéneuse, qui arrive à jouer de ses fausses courbes comme un top model en défilé, et qui fait passer quantité de sentiments dans son regard. Les séquences où elle porte robe et chaussures sont encore plus déstabilisantes, et ce même si l'on connaît évidemment les astuces de trucages, puisqu'elle se rapproche encore plus d'une véritable femme...Mention spéciale à Sonoya Mizuno, elle aussi sur une pente savonneuse dans le rôle de Kyoko, et authentiquement tragique dans ses derniers instants qui ne peuvent laisser de marbre.

 

Qu'en est il réellement des intentions de l'auteur? Souhaitait il une fois de plus nous prévenir des dangers de l'intelligence artificielle en nous démontrant que nous en sommes les esclaves et non les maîtres? C'est une certitude évidemment, dans une époque ou le virtuel prend de plus en plus le pas sur le réel, surtout pour la jeune génération, qui ne voit pratiquement plus la frontière entre le fantasme et le vécu, entre une identité usurpée et un nom sur une carte d'identité. L'annonce de la création d'une nouvelle catégorie de machines, capables d'effectuer encore plus d'opérations en une fraction de seconde, et donc prompte à remplacer les salariés humains en travaillant H24 à de quoi préoccuper aussi et placer Ex Machina au premier plan des oeuvres d'anticipation pas si en amont dans le temps que ça...

Mais outre ce débat d'évidence, j'aime voir en ce film une autre allégorie, sur la place de la femme dans notre société.

Si les diktats et les obligations semblent se résorber, si les possibilités et les droits s'étendent, tout cela ne serait il qu'un leurre, une carotte tendue pour faire avancer une population féminine toujours sujette aux desideratas d'une société patriarcale qui rechigne à perdre sa suprématie? La femme, sous couvert de séduction, serait selon Alex la véritable meneuse du jeu, sous une fragilité d'apparence, uniquement destinée à noyer le poisson et faire croire au "male supérieur" qu'il a su garder sa place au sein d'un foyer aux contours de plus en plus flous...

 

Mais outre ce message dont je revendique seul la détection possible, Ex Machina reste un film fascinant, qui avance comme une thèse scientifique à la conclusion potentiellement dangereuse pour l'homme, qui ne se méfie pas et se croit toujours Dieu et prédateur. En utilisant toutes les possibilités de son thème et de son cadre graphique, Garland nous brosse un portrait multiple et schizophrénique, évoquant autant Hitchcock que Nolan, tout en effleurant le rêve infantile de Kike Maíllo (Eva), laisse les victimes et les chasseurs se livrer à un combat épique dont nul ne connaît l'issue, et transforme sa maison high tech en labyrinthe aux multiples dangers, utilisant pour ça la froideur des couloirs, les reflets des miroirs, et la lumière qui révèle ce que certains personnages souhaiteraient voir rester dans l'ombre. Bien sur, si le final est prévisible, cela ne reste qu'un problème mineur au vu des qualités énoncées précédemment. Avec des dialogues simples, des situations pas si figées qu'elles n'en ont l'air, et des personnages beaucoup plus complexes qu'il n'y parait au premier regard, Ex Machina a des airs de sans faute qui pourtant sait rester humble et ne pas pérorer. En faisant le pari de tabler sur le futur en restant très économe au niveau des SFX, qui sont pourtant sobres mais de toute beauté, Alex signe plus un drame fantastique qu'une oeuvre de science fiction, puisque l'on s'intéresse plus aux personnalités et aux rapports qu'elles entretiennent entre elles qu'aux desseins d'anticipation de la réalisation.

 

En somme, un résumé en moins de deux heures de l'adage "une tête bien pleine dans un corps bien fait", doublée d'une réflexion somme toute intéressante sur l'avenir de l'homme. Allons nous devenir nous même des sujets d'étude? L'illusion de l'humanité prendra elle le pas sur l'humanité elle même? Et en ce cas, quelle alternative nous restera il? Celle d'admettre notre défaite via une suffisante morgue qui nous aura poussé à nous prendre pour des Dieux? Je vous laisse le soin de répondre à votre façon à ces quelques interrogations. Mais n'oubliez pas de regarder ce film.

 

A moins que ce ne soit la machine qui vous regarde...  

 

Bande-annonce : Ex Machina - VOST

3 juin 2015

KURT COBAIN : MONTAGE OF HECK

Kurt-Cobain-Montage-of-Heck-le-documentaire-rock-que-personne-ne-voudra-manquer_visuel_article2Documentaire? Biopic? Lorsque l'heure arrive de dresser le portrait d'une figure célèbre de l'histoire, la question est d'importance...

Le documentaire est une forme descriptive fixe, avec des règles, et un respect des faits. Le Biopic permet au contraire de prendre quelques libertés, de biaiser parfois la réalité pour coller à un point de vue spécifique, quitte à prendre parti au risque de devoir l'assimiler à une question.

Le choix est donc libre...Encore faut il opter pour la bonne solution lorsque le personnage à décrire reste des années après sa mort une icône générationnelle, et qu'il fut de son vivant un énorme sujet de passion et de controverse...

Et dans ce créneau, aux côtés de Lennon, Morrison, Sid Vicious, quelle figure de la musique internationale suscite encore aujourd'hui autant de passion que Kurt Cobain...

 

La passion. C'est ce qui a animé la vie de Kurt depuis sa naissance, et ce, jusqu'à sa mort. Personnage complexe et attachant, parfois irritant et détestable, souvent fragile et terrifié, il a été à l'origine de dizaines de vocations musicales, littéraires ou journalistiques, et il serait inutile de revenir sur son parcours dans ce préambule. Puisque la chronique du jour le concerne directement, autant passer de suite à l'essentiel.

 

Kurt Cobain: Montage of Heck

 

On savait depuis des années que Frances Bean, la fille de Kurt, s'apprêtait à produire un documentaire retraçant la vie de son père à l'aide de Courtney Love. Alors que certains cinémas en proposent la diffusion, il paraissait intéressant d'en parler, car cette oeuvre va une fois de plus déclencher une polémique incroyable au regard de son traitement et de son contenu. Sa vision est difficile, spécialement pour les fans, pour les mordus de la vérité et du complot, tant elle se présente comme une intrusion dans l'intimité la plus totale du musicien, accumulant les scènes privées et crues, parfois assez difficiles à regarder. Evacuons de suite le choix du réalisateur. Frances et Courtney ont fait le bon choix en confiant les rênes du projet à Brett Morgen, un habitué de l'exercice, comptant déjà à son actif des travaux sur les Stones (Crossfire Hurricane), ou sur le procès des manifestants pacifistes jugés juste après la convention nationale des Démocrates de 1968 (Chicago 10). Sa rigueur, sa liberté de ton collent parfaitement au métrage, même si quelques parti pris de réalisation restent discutables, dans le fond et la forme. Mais autant vous prévenir tout de suite avant d'aller plus loin, Kurt Cobain: Montage of Heck n'est pas vraiment un "rockumentaire" comme les autres...Il est à l'image de l'artiste qu'il dévoile, confus, créatif, bruyant, stressant, doux, poétique et terrifiant. Plus qu'un simple bon moment, accrochez vos ceintures, le voyage ressemble plus à un tour de grand huit qu'à une simple soirée télé. Ceci fait, digressons.

 

Une fois n'est pas coutume, adoptons la forme dissertative la plus absolue pour en parler. Thèse, antithèse, synthèse, ça semble un peu scolaire mais l'avis final se devant d'être nuancé, c'est la structure la plus idoine pour rester objectif sans rien oublier au passage. Alors commençons par la thèse.

 

Kurt Cobain: Montage of Heck est le documentaire musical définitif par définition. Pas seulement parce qu'il parle de Cobain, mais d'une façon générale, dans son approche et son traitement. On connaît la figure de Cobain, musicien torturé mentalement et physiquement, qui a toujours rejeté le succès tout en lui courant après, dualité vivante d'un artiste écorché vif qui n'aura eu de cesse de se réclamer d'une éthique Punk qu'il chérissait tant. Un peu à l'image de Lennon, rejeté par son père, puis par sa mère, puis devant faire face à son décès, Kurt avait un énorme besoin d'affection, besoin accentué par une crainte constante d'être abandonné, moqué, pointé du doigt...Les deux guitaristes chanteurs ont plus de points en commun qu'on ne le remarquerait au prime abord, même si évidemment leur vie fut quelque peu différente...Mais ils partagèrent tous deux ce fardeau de "porte parole de leur génération" (quoique Dylan dans les années 60 le fut plus que John), finirent par trouver leur muse, et rencontrèrent un destin tragique, pas forcément plus choisi pour le second que pour le premier cela dit...Mais nous y reviendrons.

 

Nonobstant ce parallèle personnel, ce documentaire est la personnification d'un défunt post mortem par l'image et le son, collant à son imaginaire non seulement par le choix de bobines Super 8/archives/dessins, photos de famille, mais aussi par son montage extraordinairement bluffant, qui nous immerge dans le psyché d'un homme au cerveau labyrinthique, en multipliant les intermèdes graphiques/musicaux, juxtaposant les délires sur papier et les bandes sonores avec une maestria incroyable. Le film aborde bien sur grandement la période NIRVANA, années charnières de la vie de Cobain, mais d'une manière un peu voilée, évitant les allusions directes aux hits pour leur préférer des versions orchestrales, instrumentales, alternatives ou live. La place laissée aux concerts est grande, plutôt située aux environs de la moitié du métrage, coincée entre les images de jeunesse et les home vidéos persos et intimes. La première partie est une franche réussite, nous montrant un Kurt de sa naissance à son adolescence, de l'insouciance au sein d'une famille unie à la rébellion causée par des rejets permanents. La seconde partie est elle aussi pertinente, quoique radicalement différente dans la forme, puisqu'elle nous offre des instants de la vie de Kurt/Courtney/Frances Bean, alternant les moments de bonheur familial et la longue descente aux enfers de deux junkies défoncés, dont l'une allait sortir plus indemne que l'autre...

Avec une structure évolutive en forme de spirale, le montage et la réalisation collent parfaitement à l'existence de l'artiste que le film dépeint, et au fur et à mesure que le métrage avance, le malaise est palpable tant l'issue finale se retrouve en unique point de mire d'une focalisation interne en tuyau qui se resserre. Poèmes de plus en plus sombres, apathie, longs segments lancinants, tout est employé pour mettre en forme la lente et longue chute de Cobain vers la paranoïa la plus ultime, utilisant ses textes comme des mantras, et nous enivrant de sons et d'images pour tenter de nous faire ressentir la douleur qu'il a pu éprouver...L'acharnement des médias à le présenter comme le leader de la génération X est aussi très bien décrite, avec son flot d'interviews en fondu, de questions lénifiantes de stupidité en mises en scènes plus que grotesques, qui le poussèrent à un mutisme quasi systématique et un repli sur soi qui s'avèrerait fatal pour lui....

 

L'antithèse sera simple et sans ambages. Kurt Cobain: Montage of Heck, au delà de ses qualités techniques intrinsèques, n'est rien de plus qu'un pamphlet à la gloire quasi christique de Love, oeuvre cautionnée par sa fille qui souhaite réhabiliter l'image détestable de sa mère auprès du public et des médias. La chanteuse de Hole y est décrite comme le sauveur qui a porté Kurt à bout de bras jusqu'au dernier instant, celle qu'il aura aimée de tout son coeur, et qui aura mis sa carrière entre parenthèses pour l'accompagner et le soutenir. Kurt Cobain: Montage of Heck réhabilite aussi par la même occasion Wendy, la mère de Kurt, qui l'a pourtant abandonné à son père, décrit comme un individu taciturne ne supportant pas les enfants et terrifié à l'idée que son fils ne devienne une "fiotte". Aucune mention n'est faite de deux personnages essentiels de la vie du chanteur, à savoir ses deux précédentes compagnes Tobi Vail et Kathleen Hanna, qui pourtant occupèrent une grande place dans sa vie, la première étant même sa compagne au moment de la composition de Nevermind (et son fameux déodorant "Teen Spirit")...Mais il paraissait évident qu'avec Love aux avants postes, aucune allusion n'y serait faite...Celle ci ne s'est d'ailleurs pas privée pour jeter en pâture au public quelques images très personnelles, à la limite du voyeurisme (ce qui a du combler ses instincts exhibitionnistes...), qui sont franchement dérangeantes parfois (le couple hurlant Amazing Grace dans les oreilles de la pauvre Frances Bean, la séquence de la coupe de cheveux prouvant leur inconscience), mais lui permettant de revenir au premier plan, tant sa carrière d'actrice et de musicienne sont au point mort.

Autre bémol, faute de temps, Brett Morgen n'a pu compter sur l'apport de Dave Grohl, retenu par le tournage de Sonic Highways, lui qui n'a jamais été tendre avec Love, et dont le point de vue fait cruellement défaut à l'oeuvre, même si les quelques interventions de Krist Novoselic restent touchantes et drôles...

De ce point de vue purement interne, l'histoire est claire comme de l'eau de roche. Cobain n'était qu'un sale junkie hypersensible et suicidaire, qui n'a jamais pu supporter la pression du succès ni l'idée d'être rejeté, et qui a préféré mourir que de perdre sa fille et sa femme, qui était sur le point de le tromper. Alors que tout le monde sait très bien que Cobain désirait se séparer de Love, qu'il jugeait trop instable et ingérable, et qu'après l'incident de Rome, Love a tout fait pour s'arranger une porte de sortie ne la laissant pas sur le carreau, au prix selon certains d'organiser elle même la mise en scène du suicide de Kurt, rectifiant même sa lettre d'adieu...Tout le film va dans ce sens, ne présente aucun argument contradictoire (certes, ceux ci n'ont jamais été prouvés et restent à l'état de rumeur, mais les éléments sont quand même suffisamment troublants pour être abordés...), et pave d'or le chemin de la rédemption de Courtney Love, épaulée en la circonstance par sa fille...Mais est on vraiment dupe?

 

La synthèse est limpide en soi. Kurt Cobain: Montage of Heck ne mettra personne d'accord, déchaînera la haine et les passions, et reste à l'image de Kurt Cobain. Complexe, ambivalent, déchiré, il colle au plus près de la réalité tout en prenant certaines libertés, décrit parfaitement le musicien, et aurait certainement été honni par son sujet d'étude. C'est une complète réussite esthétique, qui calque les délires graphiques de Cobain, ses petits films/montages, dessins, mais qui jette une lumière trop crue sur un musicien qui préférait l'ombre. Sur un homme qui vénérait le Punk tout en se rêvant compositeur Pop. Qui voulait aller de l'avant tout en regrettant son passé. Un labyrinthe dense dont on ne ressort pas indemne. Qui vous secoue les tripes comme la maladie broyait l'estomac de Cobain.

 

Mais vous savez quoi? Oh et puis, on s'en fout finalement...

 

Kurt Cobain, Montage Of Heck - Bande annonce VOSTFR

 

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13 mars 2015

DISCONNECT

Disconnect-afficheQu’en est-il de l’état des lieux de la communication aujourd’hui ? Les alertes se multiplient, les dangers autrefois hypothétiques se concrétisent, et les cas alarmants de tragédies liées aux débordements/harcèlements informatiques prennent des proportions dramatiques. Personne ne s’inquiétait de cet état de fait à l’orée des années 2000, tant les spécialistes étaient obnubilés par un bug fantôme susceptible de déstabiliser l’horloge mondiale. Pourtant, ce danger, bien tangible est aujourd’hui au centre de tous les débats. Alors que le bullying fait rage aux Etats Unis, les associations de parents s’inquiètent des conséquences horribles que peuvent avoir de simples messages laissés sur un réseau social. Autrefois, le harcèlement était cloisonné dans les murs des écoles/lycées, permettant aux victimes de se réfugier dans leur chambre sans crainte d’être moqué et/ou vilipendé. Mais ce havre de paix n’existe plus, la frontière déjà fine entre le réel et le virtuel s’estompe de plus en plus, à tel point que certains adolescents vivent dans un monde binaire peuplé de contacts invisibles, n’interagissent entre eux que par tweets, photos instagram et autres empruntes 2.0 beaucoup moins anodines qu’ils le croient.

The ghost in the machine ? Cette théorie énoncée il y a maintenant des décennies pourrait bien trouver son parangon en 2015, mais d’une façon détournée, et pas altérée. Car le célèbre fantôme de l’ordinateur n’a pas pris la forme d’un virus géant s’extirpant de son habitat de composants, mais bien celle d’un être de chair et de sang qui s’est lui-même intégré à la machine qu’il croyait dominer. Si le cinéma asiatique est votre tasse de thé, vous n’avez pas pu passer il y a quelques années à côté du chef d’oeuvre de Kiyoshi Kurosawa, Kaïro, qui s’imprégnait de l’air du temps pour incarner des forces surnaturelles émergeant d’un univers binaire parallèle, et pénétrant le réel via le virtuel et tous les moyens de communication modernes. Ce cauchemar éveillé réellement traumatique, était une très sombre allégorie sur la puissance de l’informatique dans le monde « vivant » des années 2000. Elle vient aujourd’hui de trouver son pendant « positif » inversé en la matière du premier film de Henry-Alex Rubin, Disconnect, qui outre sa pertinence imposée sans ambages, a le mérite d’être une œuvre de fiction de premier plan qui vous tient en haleine de bout en bout.

Un avocat de renom, en permanence attaché à son téléphone portable, n’arrive plus à communiquer avec sa famille. Un couple est mis en danger lorsque leurs petits secrets en ligne sont découverts.  Un ex-flic veuf fait ce qu’il peut pour élever seul son fils récalcitrant, qui lui-même persécute un camarade de classe online. Une journaliste ambitieuse sent qu’elle tient le sujet de sa carrière en la personne d’un jeune fugueur qui vend ses charmes via un site internet pour adultes. Ils ne se connaissent pas, sont juste voisins, collègues, mais leurs histoires vont se télescoper et poser une question existentielle : comment communiquer dans le monde actuel, saturé de câbles et connections, sans y perdre son âme ?  

De ce fait, Disconnect est sans conteste un film ancré dans son époque, comme l’expliquait mon préambule. En phase idéologiquement, mais aussi artistiquement. C’est un drame, sans hésitation, un thriller haletant, sans discussion, et un puzzle humaniste par extension. Les choix du réalisateur sont tous pertinents, et tout le monde se sentira concerné par le destin des différents protagonistes. Peu importe que vous soyez une mère/un père de famille absent ou dépassé par les évènements, un ado solitaire et introverti, une femme seule, un homme perdu, une femme délaissée ou quoi que ce soit d’autre, Disconnect vous parlera, ce qui, au vu de son thème, est un achèvement majeur et inespéré. Car l’intérêt général de ce film est justement de rétablir l’usage de la parole chez des individus persuadés que les mots doivent être écrits, que les actes doivent être immortalisés, et que tout doit être consigné…au lieu d’être vraiment vécus.

Qui n’a pas déploré le mutisme de son enfant collé à son ordinateur, gravant ses envies, son désespoir, ses limites et ses rêves sur le profil de son réseau social préféré, abandonnant de fait toute communication directe avec les personnes de son entourage ? La théorie du « c’était mieux avant », conspuée par toute une génération de nerds, nOobs et autres cyber-accros prend tout son sens dans ce film, mais pas sous l’angle moralisateur d’une arrière garde persuadée d’avoir raison. Car Disconnect pose des problèmes, souligne des disfonctionnements, mais en montre aussi les conséquences possibles, et offre des solutions. Utiliser la technologie oui, en devenir esclave, non. Et même si le virtuel peut parfois devenir réel, pour le meilleur et pour le pire, il ne restera jusqu’au bout qu’un moyen d’exister par procuration, en s’inventant une vie rêvée, ou en dévoilant la sienne pour chercher un peu de compassion dans un monde où l’information précède parfois les faits.

Pour en arriver à cette conclusion, Henry-Alex Rubin utilise tout son talent et celui de ses interprètes. Sur un pitch faussement simple faisant appel à des compétences inter connectives, il tisse une toile dont les fils s’allongent sous vos yeux, pour se réunir d’un lien fragile, avant d’exploser lors d’un final qu’on craignait beaucoup plus sombre. Le génie de sa mise en scène est d’avoir filmé le non-dit avec une maestria incroyable. Loin de se contenter de placer ses sujets dans un environnement favorable, il a pris des risques, fait preuve de modération et de précision dans la description des milieux qu’il décrit, et surtout, n’a pas cherché à mettre l’emphase sur un drame déjà quasiment palpable. Il se place ainsi en pendant très juste du terrifiant Megan Is Missing, auquel on pouvait reprocher un appui excessif dans ses aspects les plus dérangeants. Et finalement, en faisant le choix de la « normalité », il offre à son film un impact beaucoup plus fort. Au casting, nous retrouvons avec plaisir des visages familiers. Au premier plan, le très mésestimé Jason Bateman (Juno, Horrible Bosses, et une filmo longue comme un jour sans internet), dans la peau de cet avocat tellement investi dans son travail qu’il est incapable de ressentir le mal être de son fils. Ne le cachons pas, c’est lui le pivot du long métrage. De par sa présence, mais aussi parce qu’il est le personnage qui mettra le plus de temps à comprendre où se trouve l’essentiel. Soulignons aussi la performance du duo Andrea Riseborough (Oblivion, Birdman, et une jolie carrière qui décolle)/ Max Thieriot, dont la relation trouble donne au film un délicieux parfum subversif, inquiétante et vénéneuse dans sa première partie, tragique et lacrymale dans sa seconde, mais ces précisions ne sont qu’indications tant l’ensemble du casting offre une performance incroyablement humaine et convaincante.

Mais revenons à l’essentiel, le film en lui-même. Toute l’importance de Disconnect réside dans le traitement que lui a offert son concepteur. Car loin de se contenter du minimum à stigmatiser, loin de porter des jugements et d’offrir un simple constat de fait de société, Rubin a construit son long avec minutie, transformant le drame en thriller prenant, avant de revenir au drame, sans jamais lâcher ses sous intrigues se déversant dans le fleuve de la narration principale. On peut concevoir cette œuvre comme un film noir urbain aux relents dramatiques, sans tomber dans l’exagération, puisque c’est ainsi que l’a voulu son réalisateur. Détails soignés, photographie sobre qui n’en rajoute pas (ainsi le « squat/cybersalon érotique » dans lequel vivent les jeunes est assez anonyme), laissant les écrans et la nuit tels quels dans leur menace permanente, gros plans sobres qui n’alourdissent pas le pathos déjà imposant, etc…De plus, Rubin se permet de traiter tous les problèmes de communications liés au moyens relationnels modernes (portable, ipad, webcam, plateformes sociales, sites porno, mais aussi télévision, bouche à oreille), et les étale sur un rythme à couper le souffle symbolisant à merveille la vitesse hallucinante à laquelle transitent les informations de nos jours. Fond et forme en adéquation, équation parfaite, solutions multiples. Et parvenir à dénoncer les travers de la technologie en utilisant tous ses composants tout en signant un film profondément humain était un sacré défi à relever, sur lequel bien des artisans se sont cassé les dents. Car malgré l’issue pas forcément prévisible du film (et formidablement bien amenée par des faux semblants soudain stoppés en plein vol par un ralenti bien senti), Disconnect laisse des traces relativement faciles à suivre, vous emmène là où il le souhaite sans vous donner le tournis, installe son intrigue patiemment sans vraiment surprendre, et reste pourtant fascinant de bout en bout.

Et puis, peu importe après tout que ce film aborde des sujets graves comme la pornographie infantile, la perte d’un enfant, d’une femme, l’exploitation de la misère humaine à des fins personnelles, car il restera pour toujours un magnifique film sur des destins brisés par la solitude. Car cette solitude, de nos jours, on la partage en ligne, sur des réseaux, des plateformes, des forums, en se donnant la fausse impression d’être compris, d’être accompagné. Mais comme le dit l’adage, on n’est jamais aussi seul qu’au milieu de la foule. Sauf que la foule de nos jours prend des proportions gigantesques, et se chiffre en millions d’individus. Est-ce pour autant que nos blessures guérissent plus vite ? Est-ce pour autant que cette chambre, ce bureau dans lequel nous nous connectons paraitra moins carcéral sans ses barres virtuelles qu’érigent ces données que nous envoyons à la vitesse de la lumière ? Est-ce pour autant qu’en nous cachant derrière des pseudos, des téléphones portables, nous allons réussir indéfiniment à dissimuler aux gens notre vraie nature et trouver le bonheur dans ce « malheur des autres » qui nous rassure tant ?

La réponse de Disconnect est claire. C’est un non, un énorme non.  Mais loin de pointer du doigt les technologies modernes comme source de traumas et de drames, ce film préfère dénoncer le comportement des gens qui cèdent à la facilité, et oublient que les machines qu’ils croient utiliser pour le meilleur les transforment en prisonniers. Ou en criminels parfois plus cruels que les assassins qui tuent chaque jour dans les rues, parce que cachés derrière le confort du faux anonymat d’un réseau qui aura finalement raison de leur vrai visage un jour ou l’autre. Et finalement, la vraie question qui reste en suspens est celle-ci. Saurons-nous vraiment utiliser ces moyens de communication un jour, sans nous y perdre et oublier nos valeurs, notre nature ? Car sur Internet, rien ne se perd vraiment, rien n’est vraiment caché. Et finalement, sous couvert d’une carapace censée nous protéger nous finissons par révéler nos plus sombres desseins sans vraiment nous en rendre compte. Et nous oublions la misère, la peine, mais aussi la joie, le bonheur qui s’étalent sous nos yeux jour après jour, à force de rester les yeux rivés sur des écrans.

Et à force d’oublier qu’il n’y a pas que les actes qui blessent. Mais aussi l’indifférence.

Disconnect Bande Annonce

12 mars 2015

THESE FINAL HOURS

507694On pourrait lancer un grand débat sur les petits films qui ne paient pas de mine, car ils sont légion. Produits pour pas grand-chose, promis à une exposition minimale, voire à un destin direct-to-video, ils sont pourtant parfois source d’un grand plaisir, justement parce qu’on en attend rien, et qu’ils transcendent cette absence d’exigences par une qualité indéniable. Au-delà des blockbusters, des biopics, des adaptations de romans à succès, ils constituent une partie non négligeable de la production cinématographique, et je tiens aujourd’hui à leur rendre hommage au travers de cette critique d’un film australien.

Tout comme moi je suppose, le nom de Zak Hilditch ne doit pas vous être très familier. Sur son CV, quelques courts, et cinq longs métrages dont quatre que je n’ai pas eu la chance de voir, mais qui ont forcément titillé mon intérêt à postériori après le visionnage de son dernier né, l’inventif et captivant These Final Hours. Au départ assez dubitatif quant à la pertinence d’un pitch assez sommaire, j’ai vite été pris dans le tourbillon d’une histoire simple, racontée avec passion, et relatée d’une manière plus que convaincante. Et tenez, puisque j’aime les comparaisons à l’emporte-pièce, j’affirmerai ceci. These Final Hours est l’antithèse parfaite et contradictoire du pitoyable Melancholia de cet a***** de Lars Von Trier. Sur une même idée apocalyptique de départ, l’un construit une intrigue haletante et profondément humaniste, tandis que l’autre se perd dans de longs soliloques pseudo philosophiques ennuyeux. Et si le premier tisse une splendide toile d’amour autour de deux personnages perdus dans tous les sens du terme, l’autre se contente d’aligner des scènes pompeuses et prétentieuses, complètement vides de sens. Et pourtant, c’est un euphémisme de dire que leur budget pour en arriver là n’a pas dû être le même. Mais comme je déteste dire du mal sans en expliquer la raison, lançons-nous dans l’analyse.

La terre va connaître son dernier jour, a douze heures d’un évènement cataclysmique qui va mettre fin à toute forme de vie telle que nous la connaissons. James se fraie un chemin à travers une ville livrée au chaos et à la violence pour rejoindre une dernière fête qui promet d’être à la hauteur de la situation apocalyptique. Mais sa route croise celle d’une petite fille, Rose, qui cherche son père, complètement perdue et apeurée dans un environnement hostile. Malgré ses réticences, James accepte de la prendre en charge et de l’aider à retrouver sa seule famille. Face à cette situation imprévue, il va devoir faire face à des choix de dernière minute, et assumer des responsabilités qu’il aurait préféré fuir. Il comprendra finalement que ce qui est vraiment important, n’était pas forcément ce qu’il croyait l’être….

Ainsi les bases sont posées. Comme vous le constatez, These Final Hours dès son énoncé semble prendre le chemin d’un énième road movie existentialiste, sur fond de toile catastrophique dans l’air du temps. Ce qu’il est d’une certaine façon, puisque son déroulement n’est pas vraiment décalé par rapport à des œuvres antérieures comme The Road par exemple. Mais loin de se contenter de suivre une route déjà tracée, ce petit film va s’ingénier à emprunter des chemins de traverse, ne garder de son caractère fataliste que le fond, sans se concentrer sur sa forme, qui privilégie les rapports entre deux êtres que tout sépare et qui finalement, se ressemblent.

Tout commence dans une chambre, climat intimiste, un homme, une femme. Elle veut qu’il reste, il veut partir. Sans savoir ce qui paraît les effrayer dans sa finalité, on sent qu’une certaine issue est proche. La fin de leur histoire ? Autre chose ? Toujours est-il que d’emblée, le réalisateur dessine l’ambiance qui va animer l’âme de son film. Elle, c’est l’amour, la vie, les responsabilités. Lui, c’est la négation de ces responsabilités, la légèreté, l’inconscience du désespoir. Il va finir par la quitter pour rejoindre une fête qui s’annonce gigantesque selon ses dires. Il va boire, se droguer, certainement faire l’amour, puisque sa femme l’attend là-bas. Il va surtout essayer une dernière fois de fuir la rigueur d’une vie qu’il ne veut pas accepter. Alors il part, en voiture, et traverse une ville en proie au chaos total, dans laquelle la seule loi à respecter est celle du plus fort. Magasin pillés, scènes de débauche, violence, agressions, le tableau est sombre, mais il taille sa route. Mais par hasard, et surtout sans le vouloir, il tombe sur une adorable petite fille, sur le parking d’un supermarché. Elle, c’est Rose, elle a perdu son père et veut le retrouver. Lui, c’est James, il ne veut pas s’encombrer d’un fardeau inutile, et de responsabilités de dernière minute. Pourtant il ne va pas avoir le choix, parce que Rose va le suivre. Et il va l’aider. Et en l’aidant, il va s’aider lui-même, et finalement réaliser que l’endroit où il se rend est le dernier où il aura envie d’être.

J’opposais en début d’écriture la lecture d’un même thème par deux réalisateurs n’ayant pas les mêmes prétentions, dans tous les sens du terme. Si Lars Von Trier s’est planté dans les grandes largeurs en tombant dans la vacuité philosophique/soporifique, Zak Hilditch a réussi son pari haut la main en racontant une histoire simple, touchante, tout en gardant un lien étroit avec la science-fiction la plus classique. S’il est impossible d’en vouloir à Kirsten Dunst et Charlotte Gainsbourg pour le naufrage prévisible de l’affreux Melancholia, on peut au contraire louer le talent de Nathan Phillips et de la jeune Angourie Rice pour la réussite de These Final Hours. Les deux acteurs ont su se montrer à la hauteur des ambitions de leur directeur, pour faire passer des émotions primaires, et construire une histoire d’amour de l’impossible entre un père dans le déni et une enfant perdue dans un monde d’adulte en pleine folie conclusive.

Grâce à une mise en scène sobre mais juste, Hilditch brosse un tableau effrayant d’une société humaine en pleine perdition face à l’inéluctabilité de la fin d’un monde que les hommes ne pensaient pas si proche. La violence est omniprésente dans son œuvre, sous la forme globale d’un soleil de plomb qui va bientôt faire disparaître toute forme de vie, et de comportements absurdes, violents, qui traumatisent des scènes incroyablement tendues. A ce titre, le segment central qui se focalise sur cette fameuse « Apocalypse Party » est un modèle du genre. Camp retranché, boisson à gogo, sexe, armes à feu, luxure, drogues, tout est fait pour symboliser ce qui serait certainement le dernier achèvement d’êtres confrontés à leur destin funeste. Ce segment est d’ailleurs le parangon d’une interprétation et d’une mise en scène impeccable. On y retrouve avec un plaisir non feint le Daniel Henshall psychotique et psychopathe qu’on adore (incroyable performance dans le traumatisant Les Crimes de Snowtown, à voir absolument), et la névrotique et perturbée Sarah Snook (Jessabelle, Predestination, deux bonnes raisons d’aimer cette superbe rousse), incarnant deux personnages souffrant du même syndrome, mais l’exprimant de manière radicalement différente.

Aidé dans sa tâche par la splendide cinématographie de Bonnie Elliott, qui laisse toutes les scènes baigner dans une atmosphère faussement onirique saturée de jaunes solaires, Hilditch s’amuse d’un dernier soir d’été comme Hooper se gaussait d’un même après midi fatal dans son légendaire Texas Chainsaw. Mais là où réside la force du réalisateur, c’est de ne pas avoir cherché le spectaculaire, ni le moralisateur. Il s’est contenté de se lover dans une histoire sincère, entre un homme comprenant l’essentiel à quelques heures de sa fin, offrant un peu d’amour à une petite fille qui pourrait être la sienne, ce même amour qu’il a refusé à sa maîtresse quelques heures plus tôt. Vous découvrirez la fin de leur périple commun lors d’une scène absolument déchirante, scène clé qui déclenchera chez le héros une prise de conscience mettant un terme à sa fuite en avant. Mais avant d’en arriver là, il vous faudra passer par des moments éprouvants (la maison des pervers, la fête traumatique et névrotique, la découverte d’une mort qu’on présentait depuis le départ), qui loin d’en rajouter, se contentent de montrer ce qui ne manquerait pas d’arriver à l’humanité en cas de catastrophe imminente.

Cette fin, vous pourrez la juger superfétatoire, convenue, un peu trop complaisante. Elle surclasse pourtant sans peine selon moi le final ridicule de Melancholia sur tous les points, autant visuels qu’émotionnels. Car à ce moment-là, on y croit. On comprend, et on réalise que finalement, aussi manichéen soit ce choix, il serait certainement le nôtre. Et peu importe qu’elle emprunte des éléments de ci de là (la course contre la montre haletante à la Time Out, l’irradiation ultime à la Sunshine de Danny Boyle), elle valide par sa sincérité toute la démarche antérieure du film.

Alors oui, il y a peu de chances que These Final Hours laisse une trace indélébile dans la mémoire de cinéphiles un peu trop académiques dans leurs inclinaisons. Non, il n’est pas une œuvre majeure, il n’est qu’un petit film, aux petites prétentions, mais aux qualités énormes. On ne s’ennuie pas une seconde, on est souvent touché, parfois effrayé, souvent stressé, mais on est surtout séduit par cette relation humaine sincère et simple, comme on peut l’être par le comportement de quelqu’un qui choisit en dernier lieu de faire preuve d’empathie et d’abnégation au lieu d’être égoïste. Et These Final Hours, bien au contraire, est généreux, très. Il donne beaucoup, pour pas grand-chose. Il est à la fois d’anticipation, de science-fiction, un road movie, du fantastique, dramatique, et finalement euphorisant.

Pas mal pour un petit film non ?

 

These Final Hours bande annonce VF

11 mars 2015

BIRDMAN

Birdman-Affiche-Michael-KeatonLe type même du « film à oscar » est facilement identifiable. Qu’il soit un biopic, l’adaptation d’un incunable, porteur d’un rôle difficile à endosser, on le repère généralement de loin, et on sait, au moment où on le voit, qu’il va recevoir une pluie de récompenses, formelles et de circonstances, ou sincères et méritées. Mais parfois, on se fait avoir. Du moins, on ne voit pas forcément la chose venir. Comme si, au milieu d’un couloir, on croisait un homme qu’on sent brillant, mais pas forcément remarquable, et qui finit par s’imposer dans la lumière de par ses qualités intrinsèques.

En regardant Birdman, d’Alejandro González Iñárritun j’ai immédiatement senti qu’il se passait quelque chose. Pourtant à des années lumières de pierres angulaires inévitables comme Le Discours d’un Roi, My Left Foot, 12 Years a Slave, Le Parrain et autres légendes dont personne ne remettra en cause la pertinence, j’ai tout de suite compris que ce nouveau film d’un réalisateur mexicain décidemment en marge avait un potentiel énorme qui pouvait frapper un grand coup dans le landerneau de l’industrie cinématographique hollywoodienne. Et pourtant, Dieu m’est témoin que ce film ne la ménage pas. Loin de là. On pourrait le rapprocher, d’une façon thématique, des éternels Sunset Boulevard ou Les Feux de la rampe pour cette quête d’une gloire passée qu’un homme n’est pas décidé à enterrer définitivement. Mais beaucoup plus loin que cette simple analogie, Birdman pose des questions fondamentales sur la vie d’un acteur/homme confronté de plein fouet à son égo, au talent de ses homologues et à ses propres échecs familiaux. Ce qui arrive donc à Riggan Thomson peut facilement être transposé dans la vie dite « réelle » de tout un chacun, puisque l’interrogation primaire qu’il pose nous concerne tous. Devons-nous nous définir par rapport à notre passé, à notre nature profonde, à nos actes présents et/ou futurs, et sommes-nous capable de nous accepter tels que nous sommes, pour enfin nous transcender et devenir…quelqu’un.

Ces bases ainsi posées, plongeons nous dans l’histoire elle-même. Riggan Thomson est essentiellement connu pour son rôle de super héros adapté d’un comics, tourné il y a vingt ans, Birdman, et ses deux séquelles à succès. Ce personnage a pris le contrôle sur sa vie, dans laquelle “Birdman” est plus célèbre que l’acteur Riggan Thomson lui-même. Ayant atteint l’âge mur, Riggan essaie de s’acheter une respectabilité en mettant en scène, produisant de ses fonds, et en jouant dans une adaptation à Broadway du roman de Raymond Carver, What We Talk About When We Talk About Love, en association avec son ami Jake. Il sait que son nom n’est pas synonyme de respectabilité, et investit tout son argent, son énergie et ses espoirs dans cette pièce. Mais alors que Jake et lui commencent les premières répétitions générales, ils doivent faire face à un certain nombre de problèmes. Remplacement d’un des acteurs principaux par une diva talentueuse de Broadway, Mike Shiner, aussi brillant que boursouflé d’égo et talentueux, et qui de plus menace d’éclipser Riggan, menaces de poursuites au tribunal par un acteur limogé et violenté, fille unique perdue sortant d’une cure de désintoxication avec laquelle Riggan a du mal à composer, malgré son désir d’être présent pour elle, et relations difficiles avec une critique célèbre à la dent dure, Tabitha Dickinson, qui déteste les acteurs hollywoodiens et promet à Thomson de descendre sa pièce en flammes. Mais l’obstacle le plus difficile à franchir semble être la lutte interne que mène Riggan contre ses démons, et la relation étrange qu’il a établi avec son ancien personnage, qui s’adresse constamment à lui pour lui ouvrir les yeux sur sa situation. Car selon son alter égo, Riggan EST Birdman, et ne sera jamais rien d’autre, malgré ses aspirations de légitimité et de reconnaissance du public.

Ce postulat énoncé, Birdman avait tout pour être une énième digression sur le thème de l’acteur déchu et de son chemin de croix pour accéder une dernière fois au statut de gloire adulée par le public, et honoré par la profession. Ce thème ayant déjà bénéficié d’un nombre conséquent de traitements, il semblait risqué d’en tenter une nouvelle digression sans tomber dans la redite. Mais le talent extraordinaire d’ Alejandro González Iñárritun est d’avoir transcendé un scénario convenu et linéaire pour en faire une œuvre éminemment personnelle et sans équivalent jusqu’à lors. Et pour en arriver là, il aura eu besoin d’une science millimétrée de la direction, d’une créativité extraordinaire, d’astuces de mise en scène, et d’un panel d’acteurs époustouflant, transformant ce qui semblait être un énième all star cast movie en  fable humaniste touchante et pourtant d’une objectivité froide et lucide. Une gageure ? Pour le moins.

D’un simple niveau technique, Birdman est un émerveillement. Tourné uniquement en plan séquence, réduisant de fait le montage à une portion congrue, il fait preuve d’une maestria ébouriffante qui accentue le côté « réel » de l’intrigue et des situations en découlant. Nous suivons les protagonistes dans les méandres de leurs névroses et les dédales du théâtre (lieu quasiment unique) comme si nous faisions partie de l'équipe, et cette focalisation interne doublée d’une focalisation zéro du personnage principal crée un décalage vertigineux, encore plus accentué par les saillies surréalistes de l’âme de Riggan confrontée à son alter égo. De par ce choix qui intègre des scènes complètement hors contexte (dont celle de l’attaque de la ville par des oiseaux robots géants) dans un terreau ultra concret, Alejandro González Iñárritun tisse un anti conte de fée cauchemardesque qui nous fait pénétrer l’inconscient et l’âme d’un acteur en pleine perdition, doublé d’un homme qui a planté sa vie privée comme il a cloisonné sa vie publique, guidé en cela par une soif de reconnaissance et d’admiration publique dont il ne semble pas pouvoir/vouloir s’extirper.

Et quel autre choix que le fantastique Michael Keaton pour incarner Riggan/Birdman…Dans une allégorie cruelle sur la destinée d’un acteur phare des années 90, l’acceptation de Keaton prend des airs de purgatoire, et représentait sans doute une prise de risque maximale. Maltraité dans ce film comme rarement un acteur l’aura été, Keaton compose avec une partition qui le malmène de bout en bout, autant physiquement que psychologiquement, et ressort transfiguré, quasi christique. Il aura dû pour ça endurer des moqueries frontales à base de calvitie mal assumée, de rides profondes et de démarches pathétiques, avec en exergue une hallucinante séquence durant laquelle il se voit contraint de regagner l’intérieur du théâtre en slip, harcelé par les fans éberlués de constater le vieillissement de leur super héros d’antan, et quasiment jeté dehors par des employés ne le reconnaissant pas…Comment après avoir assisté à un tel spectacle ne pas tomber à genoux devant une incarnation aussi absolue de la part d’un acteur confronté à son propre reflet dans un film/expiation qui se détourne finalement en anti hagiographie émouvante ?

Mais le reste du casting, loin d’assurer de seconds rôles indispensables au cahier des charges, se taille aussi une part non négligeable du lion en bouffant tout ce qui lui passe sous le nez. Mention spéciale bien évidemment à Naomi Watts et Edward Norton, dans deux rôles diamétralement opposés. La première pleurant ses échecs et ses rêves brisés à grands coups de contradictions et de recherche de compassion sincère ou non, le second en vampirisant autant à l’écran que concrètement les scènes où on le retrouve, au point de faire de l’ombre à Keaton de son arrogance crasse et de ses répliques assénées comme autant de constats cruels.

BIRDMAN Bande Annonce VOST

On pourrait penser en lisant ceci que Birdman n’est rien de plus qu’une introspection boursouflée d’orgueils à l’égard d’acteurs qui aiment à se regarder pousser le nombril. Mise en scène maligne et pétillante de petits détails (cette batterie Jazz, ces manipulations surnaturelles de Birdman, l’intrusion du fantastique dans le réel), rythme haletant et épuisant (calqué sur la rythmique musicale, choix du plan séquence qui finit par nous laisser le souffle coupé), partitions jouées à la double croche près par des acteurs plus ou moins concernés directement par leur incarnation (à l’exception de Zach Galifianakis, amaigri et sobre comme un contrat d’assurance, pourtant touchant lors du final), et final opaque et onirique qui laisse place à une interprétation personnelle. Riggan est-il devenu Birdman pour l’éternité ? Au-delà de la poésie de cette conclusion, je serais tenté de dire que là n’est pas la question. Comme là n’est pas la question de savoir si son acte désespéré est vraiment sincère, si tout ce qu’on a vu à une validation concrète ou pas. Car Birdman est tout sauf ce qu’il paraît être. Certains le jugeront formel et froid, et c’est l’impression qu’il peut laisser. Pour peu que l’on soit hermétique à ces dédales mentaux existentiels d’acteurs en pleine rédemption/affirmation, il peut laisser de marbre, au-delà de la reconnaissance de ses qualités intrinsèques indéniables. Il n’est pourtant rien d’autre qu’une gigantesque plongée dans l’inconscient d’un homme qui n’accepte pas ce qu’il est, admire ce qu’il a été, et craint ce qu’il va devenir. Et nous pouvons tous nous sentir concerné par cette névrose personnelle.  Je consens à admettre qu’il s’adresse plus volontiers dans son approche à un public masculin, plus réceptif aux interrogations et aux errances du personnage principal. Mais je pense sincèrement que les femmes peuvent aussi se reconnaître dans les personnages féminins, car nombre d’entre elles ont déjà été les victimes d’un père absent et recentré sur lui-même, d’un mari obnubilé par son image et la réception qu’en fait son auditoire féminin en termes de séduction, ou du temps qui passe et laisse tomber les rêves pour affronter une réalité quotidienne synonyme de souffrance. A vrai dire, Birdman s’adresse à tous ceux qui ont souffert un jour, à tous ceux qui se sont posé la question du pourquoi moi ? Du qui suis-je vraiment ? Du est-ce que tout cela en vaut vraiment la peine ? Du qu’ai-je fait de ma vie ?   

Mieux, Birdman est un plongeon du dernier étage d’un immeuble sans savoir si Dieu vous a donné des ailes pour voler. Et s’en rendre compte une fois la chute entamée, une fois qu’il est trop tard pour reculer. C’est une expérience hors du commun, comme de s’enfoncer les deux oreilles dans le solo interminable d’un batteur de jazz qui vous prend en otage de ses envies d’improvisation. C’est ça, le mot est juste. C’est une improvisation enivrante, et pourtant cadrée dans ses moindres détails. La question est de savoir si vous allez accepter de voir vos sens altérés pendant près de deux heures. Mais perdre contact avec la réalité tout en y restant ancré est une sensation unique, que Birdman vous propose de tester. A vous de savoir si vous aurez le souffle nécessaire pour en ressortir indemne.  

3 février 2015

STAGE FRIGHT

Stage-Fright-PosterLorsqu’on se lance dans un hommage « pastiche », la tâche la plus ardue est de parvenir à trouver un équilibre entre l’humour et la stabilité de la narration. Cet équilibre, souvent instable, permet à un film de ne pas tomber dans le délire gratuit mais vite roboratif, ni dans le linéaire souriant qui ne satisfait personne. Je ne me lancerai pas dans une énumération de réussites ou d’échecs, à vous de trouver les références susceptibles de rentrer en ligne de compte. Jusqu’ici, le film dit « d’horreur », avait servi de base thématique à bien des digressions humoristiques. Gore outrageux qui éclabousse les chaussures (Jackson, Raimi, Gordon pour les têtes de file), bouseux, rednecks et autres dégénérés du bulbe (Redneck Zombies, Ozone, Bloodsuckers from Outer Space), excroissances british tongue in cheek (The Sightseers, Shaun of The Dead, etc…), les exemples ne manquent pas pour évoquer l’intrusion du burlesque dans le contexte si sérieux du film à frissons, mais jusqu’à lors, et à de très rares exceptions près, nous n’avions pas encore eu droit à l’invasion musicale teintée de sang rouge vif qui dégouline. En gros, l’équation gore+musical restait encore une inconnue, à une œuvre près, le très décalé et crétin Cannibal! The Musical de Trey Parker.

Mais aussi jouissive (à quelques détails près) que fut cette « œuvre/énigme » (Captain Orgazmo, à cent lieues de la boucherie était bien plus réussi dans son genre) ait pu être, elle restait encore en marge, seule, isolée, et pas franchement réussie. Aujourd’hui, soyez heureux chers fans d’horreur qui ne respecte pas les règles mais multiplie les clins d’œil, nous célébrons l’arrivée sur le marché d’un « film » qui plonge la tête la première dans le vaudeville musical, le slasher harmonique, le dézinguage opératique, Stage Fright, du québécois Jérôme Sable.

Sable, c’est un peu le Ryan Murphy de l’horreur. Un mec qui n’hésite pas, et qui célèbre Jacques Demy et Dario Argento, Giuseppe Verdi et Wes Craven, assis à la même table et devisant de leurs qualités respectives. Un mec qui multiplie les hommages, les saupoudre d’une bonne dose de fun, de musique, pour aboutir à un truc un peu bancal, mais terriblement neuf et rafraichissant. Ce qui, dans le landerneau très conservateur du fantastique représente une bouffée d’air frais non négligeable. Oubliez pendant quelques instants que la production de ces vingt dernières années n’a été envahie que par des remakes foireux, des shaky cam nauséeuses et des histoires de fantômes/possession rances, la relève n’est pas forcément arrivée, mais il y a du mieux. Même si ce mieux est loin d’être parfait. Mais narrons, narrons.

Stage Fright nous raconte l’histoire de Camilla Swanson, jeune fille de feu Kylie Swanson, cantatrice assassinée dix années plus tôt après une représentation homérique du Fantôme de l’Opéra. Aujourd’hui simple cantinière dans un camp accueillant des apprentis artistes, elle travaille aux côtés de son frère Buddy, élevé comme elle par le bouillonnant Roger McCall, ancien impresario de leur mère. Mais les aspirations de Camilla ne se trouvent pas dans les pizzas qu’elle prépare, mais bien dans une vocation artistique héritée de sa défunte maman, dont on a jamais retrouvé l’assassin. Et ça tombe bien, puisque McCall a décidé cette année-là de monter une adaptation du fantôme, bien décidé à en faire un triomphe susceptible de renflouer ses caisses et de sauver cette structure qu’il a montée de ses propres mains. Allant à l’encontre du règlement, Camilla décide de passer le casting réservé aux élèves « payants », et décroche en alternance le premier rôle. Dès lors, les choses vont salement se barrer en couille, et les cadavres vont s’accumuler, mettant la pression sur les épaules de la jeune fille, mais aussi sur celles de Roger, qui a désespérément besoin d’une réussite pour sauver ses affaires, et qui décide donc de ne rien révéler à la police pour pouvoir achever son grand œuvre. Qui se cache derrière le masque du fantôme, qui est cet assassin qui rode et dont le seul but semble d’empêcher ce spectacle de voir le jour ? Telle est la clé d’une énigme qui va s’ingénier à multiplier les pistes, parsemées de gags et d’interventions musicales hautes en couleur….

Avec un tel postulat de départ, les peaux de bananes sur la route vous faisant rapidement choir dans le grotesque étaient nombreuses. Oser imaginer un slasher dans la droite lignée des 80’s, rythmé par des saillies opératiques et des emprunts multiples, c’était dans quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas s’offrir un enterrement en grandes pompes, et un aller simple vers les oubliettes de la pochade foireuse et risible. Et pourtant, sans accoucher d’un chef d’œuvre (ce qui dans ce cas précis paraissait hautement improbable), Jérôme Sable a accompli une prouesse, en rendant son film irrésistible, par le biais de scènes complétement improbables et loufoques, interprétées par des acteurs cabotins, n’hésitant jamais à trop en faire, et en jouant de la caricature avec un brio surprenant.

Soyons précis, avant toute chose, Stage Fright est à la base une accumulation d’emprunts à droite à gauche que l’initié se fera un plaisir d’identifier en quelques secondes. Ce jeu de piste vous mènera au hasard et par ordre d’importance, du giallo amateur et bricolé des 80’s, au slasher de tradition, en passant bien sûr par le musical de Broadway, le ciné chantant des 70’s, et bien évidemment, la parodie (indépendamment, et selon l’humeur datée des années 80, 90 ou même 2000 pourquoi pas…). Vous reconnaitrez au détour des décors, des dialogues, des armes blanches, des personnages, des chansons et des meurtres plusieurs œuvres antérieures ayant fait date ou pas, et j’avoue que cette accumulation d’hommages reste très ludique. Ainsi, si le titre même du film fait directement référence au Deliria (renommé pour le marché international au choix Bloody Bird, ou…Stage Fright !), de Montefiori/Soavi/D’Amato, en lui piquant par la même occasion son tueur masqué, son intrigue, et pas mal de ses personnages un peu falots (quoique dans le cas de l’original italien, l’interprétation à côté de la plaque n’ait pas été intentionnelle…), le corps même de son sujet fait appel à de multiples thématiques passées, du camp isolé de Vendredi 13, de l’ambiance faussement baroque de l’Opera d’Argento, en passant par l’allusion directe au Fantôme de L’Opéra, The Rocky Horror Picture Show, Carrie, Halloween, Hellraiser, et même, avec l’esprit un peu tordu et définitivement cinéphile, au Chef D’Orchestre avec Louis de Funès.

Mais au-delà de ce simple empilage qui aurait pu servir de prétexte, Sable a soigné son film pour le rendre cohérent, et surtout – le plus important – infiniment drôle.  Si les personnages ne sont tous que des clichés ambulants (la starlette/orpheline talentueuse mais brimée, le frère protecteur et râleur, le producteur dévoré d’ambition, le tueur masqué, le casting improbable, le metteur en scène partial et lubrique), c’est un parti pris de réalisation qui permet à Jérôme de se faire plaisir et de se lancer à corps perdu dans une succession de scènes d’anthologie qui déclencheront un maximum de fous rires chez le spectateur. Sur une intrigue sommaire (qui, je le précise à nouveau, n’est rien d’autre qu’un croisement entre Bloody Bird et le Popcorn de Mark Herrier), il brode des saynètes loufoques qui dans un contexte moins serré, auraient donné lieu à une catastrophique pantalonnade laissant de marbre. Je me bornerai à vous en présenter une poignée, avec en premier lieu toutes les interventions chantées du tueur masqué, délirantes et foncièrement Hard Rock (un peu comme le « Somebody Super Like You »-« Life At Last » de Phantom of the Paradise, autre emprunt notable), qui ont bien failli me faire mouiller mon pantalon, en passant par le duel chanté/dansé entre l’homosexuel de service et la starlette dévorée d’ambition, l’improvisation improbable du chef d’orchestre, obligé de meubler pendant que les massacres font rage et qui finit par se lancer dans une version personnelle du Beau Danube Bleu, la présentation des nouveaux arrivants au camp payant son tribut à la Famille Adams et à Happy Campers (« Je suis gay, parce que j’aime les comédies musicales !!! », « Moi je suis vraiment gay !!! »), et la liste est loin d’être exhaustive…

La force de Stage Fright, est d’avoir réussi à maintenir la tension et les fulgurances comiques jusqu’au bout. Si beaucoup de films condensent leurs meilleures idées dans les trois premiers quarts d’heure, celui de Sable évite cet écueil avec brio, reste concentré sur son intrigue, et s’autorise un crescendo humoristique qui monte, monte et finit par exploser dans une dernière scène, acmé d’un genre nouveau, le Horror Musical, dont il jette les bases solides et qu’il traite comme un art à part entière. Stage Fright, c’est un peu l’épitomé du léger traité avec le plus grand sérieux. Bien sûr, outre la réalisation, parfois hésitante et maladroite mais professionnelle de Sable, les performances de Meat Loaf (un habitué de ce genre de digression baroque frapadingue), Allie MacDonald (parfaite en jeune actrice candide et belle comme le jour) et Douglas Smith en tueur métallique kabuki un peu à la masse, tirent le film vers le haut, sans bien sûr parvenir à lui faire éviter certaines longueurs, répétitions et gags un peu roboratifs et poussés.

Mais dans les grandes largeurs, Stage Fright fait du bien, beaucoup de bien. Il réussit à rendre hommage à de grands noms du fantastique, sans pour autant perdre son identité en route, et sans tomber dans la pochade révérencieuse n’osant pas aller jusqu’au bout de son délire. Il n’en fait jamais trop, parfois pas assez (le personnage de Camilla aurait pu être encore plus naïf), mais au final restera gravé dans la mémoire des cinéphiles comme un premier jet jouissif, mettant en parallèle avec un bonheur et un flair indéniables les exécutions à l’arme blanche bien graphiques, et les envolées lyriques faussement dramatiques, mais réellement hilarantes. C’est en tout cas un ovni qui fait plaisir à voir, et qui prouve que certains réalisateurs d’horreur en ont encore dans le pantalon, et ne se contentent pas d’appliquer un cahier des charges déjà bien raturé.

Un film ambitieux, mais qui reste sans prétention, et qui laisse un sourire béat sur le visage, tout en laissant le sang gicler sur l’écran. Et rien ne vous empêche, à l’instar du séminal Rocky Horror Picture Show de vous rejouer les scènes d’une façon perso, at home. Et qui à part Sable aurait pu vous balancer comme ça, un tueur masqué, s’emparant soudain d’une guitare pour se lancer dans un solo hystérique en plein meurtre à l’arme blanche ?

Personne, vous avez raison.

Stage Fright Bande annonce VF

27 janvier 2015

BOYHOOD

Boyhood-A4-PosterQuel exercice difficile que de parler d’un film unique. Quel exercice difficile de parler d’un film remarquable tout en ayant beaucoup de reproches à lui faire. Il est en effet relativement ardu de porter au pinacle une œuvre qui le mérite tout en critiquant plus ou moins sa forme, paradoxalement à son fond qui fera date dans l’histoire du cinéma. Mais telle est la particularité du talent de Richard Linklater réalisateur isolé, obnubilé par une thématique qui hante son œuvre depuis ses débuts. La vie, le quotidien, le temps qui passe…Certes, ces thèmes universels ont un jour ou l’autre agité le parcours de metteurs en scène illustres (Truffaut, Sautet, j’en passe et des moins nationaux), mais chez Linklater, c’est une obsession quasi vitale si je peux me permettre ce terme un peu facile…

Facile, son cinéma l’est en surface, tout en étant extrêmement complexe. Pour qui a vu et apprécié la trilogie Before (Sunrise, Sunset, Midnight), la clé de l’énigme Linklater repose sur une équation simple. Quelle est votre propre perception de la vie illustrée en images ? Doit-elle se révéler unique, fantasmagorique, « extra-ordinaire », dans le sens le plus littéral du terme ? Ou au contraire, doit-elle coller au réel, le vôtre, le mien, le leur, sans artifices, sans événement hors du commun, afin que l’on puisse s’y identifier dans les moindre détails ? En gros, le cinéma doit-il faire rêver, en proposant des personnages hors normes,  ou à l’opposé coller à la réalité la plus « ordinaire », sans chercher à magnifier un quotidien que d’aucuns (nombreux je le crains) jugeront routinier et ennuyeux ?

La réponse à cette question, Linklater l’avait peut-être déjà donnée dans son premier carton, le magnifique et ludique Dazed and Confused. Il filmait à l’époque, presque en temps réel, la dernière journée de classe d’un groupe de lycéens/collégiens des années 70, avec son lot de beuveries, d’amours naissantes, de bizutage et de douce folie d’été, rythmée par une musique impeccable, mais sans pour autant trop scénariser son propos. Il a toute sa carrière (loin d’être finie on l’espère) continué cette quête de la normalité, avec de temps à autres une petite escapade dans la comédie attendrissante et loufoque (School of Rock, sous-estimé), le fantastique alambiqué et animé (A Scanner Darkly, bonne surprise), ou dans le presque mockumentary dénonciateur (Fast Food Nation). On savait que depuis des années, il fomentait sa grande œuvre, son magnum opus, pas vraiment dans le plus grand secret puisque les informations filtraient régulièrement, nous tenant au courant de l’avancée de son projet. Et celui-ci était de taille, dantesque même. Il avait choisi cette fois ci non pas d’être larger than life, mais d’être lui-même la vie, en tout cas de la symboliser sous les accords d’une symphonie faussement simpliste mais réellement époustouflante d’abnégation.

Filmer, à intervalles réguliers, avec les mêmes acteurs, la vie d’une famille américaine lambda, au travers du regard d’un jeune garçon. En capter ses moindres détails, fouiller ses moindres recoins, sans tomber dans l’exhaustivité pénible ou le démonstratif tatillon. Pensez donc. Presque douze années passées à assembler son projet, en étant dépendant des impératifs de son casting. Le voir vieillir, évoluer, changer, fixer ce changement sur pellicule, pour ensuite le livrer au public, hagard de partager sur une période aussi longue le quotidien d’une famille fictive, et pourtant presque concrète. Une gageure, pour le moins, un pari un peu fou en tout cas. Mais réussi, et haut la main. Et on ne peut que rester admiratif devant tant de facilité à faire aboutir un chantier aussi gigantesque tout en donnant le sentiment de n’avoir filmé que des petits riens. Mais parlons-en.

Boyhood, ça n’est ni plus ni moins que la vie de Mason, que nous suivons de ses cinq à ses dix-huit ans. Mason est le cadet d’une famille de trois personnes, famille monoparentale dominée péniblement par une mère qui fait ce qu’elle peut, et qui, fatiguée d’un quotidien harassant décide de reprendre ses études pour décrocher enfin le boulot dont elle rêve. Pour elle, chaque jour est un combat. Elle doit assurer le quotidien de sa famille, mettre ses envies de côté pour que ses enfants ne manquent de rien. De temps à autres, Mason et sa sœur Samantha retrouvent leur père, sa voiture de collection et ses cartouches huit pistes vieillottes. Ils sont ballotés de déménagement en déménagement, traversent leur enfance, puis leur adolescence, avant d’être projeté dans l’âge adulte. On pourrait apporter quelques précisions à cet ensemble un peu diffus, mais le propos du film étant de vous faire découvrir cette vie qui pourrait être la vôtre, je n’en dirai pas plus. Et de toute façons, quel intérêt ?

Pour bien comprendre l’ampleur du projet Boyhood, il me faut porter à votre connaissance certains faits. Le tournage a duré en tout et pour tout, quarante-cinq jours, étalés entre mai 2002 et août 2013, soit quatre mille jours. Chaque année, Linklater et son équipe se réunissaient pour filmer des courtes séquences de dix à quinze minutes, illustrant chaque période de la vie de Mason, et ce pendant douze ans. Malgré ces contraintes, la production du film n’a coûté que deux millions et demi de dollars. Soit la moitié du budget catering d’un blockbuster lambda. Chaque séquence annuelle représentait un tournage d’une semaine. Aucune indication temporelle n’étant donnée clairement à l’écran, seuls les avancées techniques (portables, ordinateurs, voitures, etc…) permettent de calculer le temps séparant chaque segment. De ce fait, l’équipe de production a pris grand soin de sélectionner un background musical très précis, en choisissant des chansons sorties l’année précise du tournage. Boyhood est composé de cent quarante-trois scènes, dont la moyenne individuelle est de quatorze minutes. Il s’appelait au départ The Untitled 12 Year Project, puis 12 Years, mais est sorti sous le titre Boyhood pour éviter la confusion avec 12 Years a Slave. Dans le rôle de Samantha, Linklater a choisi sa propre fille, Lorelei, parce qu’elle n’arrêtait pas de danser et de chanter en le tannant pour qu’il la fasse jouer dans ses films. La motivation de la jeune fille connut des hauts et des bas, à tel point qu’elle faillit abandonner le projet, exigeant de son père qu’il fasse mourir son personnage. Mais Linklater s’accrocha, redonna à Lorelei la motivation nécessaire, et put finir son film…

En lisant le paragraphe ci-dessus, très descriptif, et sans doute un peu roboratif, vous pourrez juger vous-même de l’ampleur de ce projet hors du commun. Et une fois Boyhood visionné, vous pourrez comprendre à quel point le fait d’avoir remporté ce pari un peu fou est une incroyable gageure que tout fan de cinéma se doit de saluer comme il le mérite. On savait Linklater fasciné par la vie, il vient de nous offrir la vision définitive du quotidien que tout réalisateur « réaliste » rêvait de porter à l’écran, sans trop y croire. Car il y a eu un avant Boyhood, et il y aura un après. Sauf que l’après se résumera en quelques signes. Rien n’égalera jamais ce film. Quand bien même, comme moi, vous le regarderez avec un peu de lassitude devant la similitude des scènes présentées, vous serez forcé de reconnaître qu’il s’agit là d’une pièce unique, d’une maîtrise extraordinaire. L’abnégation dont ont fait preuve le réalisateur, son équipe et ses acteurs est tout bonnement époustouflante. Car même avec cette mise en scène morcelée, le film ne souffre ni d’approximations, ni d’incohérence, ni d’une interprétation fluctuante, ce qui aurait pu être légitime dans ce cas de figure.

En plus d’un postulat de départ incroyable, Boyhood repose sur une incarnation époustouflante d’une bordée d’acteurs au sommet de leur art. Si Ethan Hawke (ami proche de Richard Linklater) n’a plus rien à prouver depuis longtemps, Patricia Arquette livre une partition impeccable qui fait regretter ses apparitions trop rares sur grand écran. Ellar Coltrane et Lorelei Linklater campent deux enfants traversant une période difficile de la vie sans avoir besoin d’en rajouter. En les suivant douze années durant, Linklater nous montre non seulement leur évolution en tant que personnages, mais aussi comme les enfants/adolescents/jeunes adultes qu’ils sont réellement, et cette dualité qui se fond au final dans la cohésion est tout simplement fascinante.

Et là réside la plus grande réussite de ce film. En dépit de son statut de fiction pure, Boyhood pourrait bien incarner la forme la plus absolue de cinéma vérité que les cinéastes de la nouvelle vague se sont échinés à décrire il y a quelques décennies, sans jamais y parvenir. Mais de fait, il convient de le prendre pour ce qu’il est. Une chronique fidèle et sans artifices du quotidien d’une famille qui pourrait être la vôtre, celle de votre voisin, ou de n’importe qui. N’attendez rien d’autre de Boyhood que ça. Durant les trois heures de métrage, n’espérez aucune surprise de taille, aucun suspens à couper le souffle, car dès le départ, Linklater a renoncé à tous ces trucs. Si le cas de figure initial se rapproche de vos journées, ce film sera en quelque sorte une focalisation zéro sur votre propre vie, ni plus, ni moins. Il se pose en contrepoint parfait d’un film comme Forrest Gump qui suivait sur plusieurs décennies les aventures extraordinaires d’un homme ordinaire, ou des digressions croisées les plus fournies de Robert Altman. Ici, la fiction colle au réel le plus ordinaire (conflits, divorces, amours, travail, adolescence, etc…), à tel point qu’on pourrait presque humer le parfum des pommes de terre chips à chaque repas.

Mais par extension – et c’est ce qui motivait mes nuances d’introduction – ce qui fait la force du film en est aussi sa faiblesse. Car bien que représentant un fond incroyable en termes de contraintes de tournage, Boyhood offre une forme d’une simplicité exemplaire, que beaucoup trouveront justement un peu trop fidèle à la réalité, et trop redondante. La réalisation « concrète » de Linklater, indispensable au traitement de son sujet, sa photographie « non cinématographique » qui semble sortir du mode « auto » d’un reflex, ses dialogues semblant émaner de conversations que vous pourriez avoir avec vos enfants, vous plongent dans un univers familier, si familier que vous aurez la sensation de regarder parfois la vie d’un de vos proches sur un écran de cinéma. Une vie banale, sans drame réel, influée par une courbe ascendante/descendante sans pic ni creux, en gros, une vie dont n’importe qui pourrait faire l’expérience, à l’image de ces reportages TV nous glissant dans la peau de commerçants, agriculteurs, ou quidams commentant les programmes télé. Avec bien sur la patte d’un réalisateur prodige, qui parvient à rendre touchant des petits détails du quotidien.

Mais ne vous laissez pas leurrer par cette apparente tranquillité. Que celle-ci ne vous empêche pas de comprendre à quel point Boyhood fera date dans l’histoire du cinéma. Car ce film, c’est un peu le blockbuster du naturel, qui aurait dépensé des millions de dollars dans des effets spéciaux si poussés qu’ils resteraient invisible à l’écran, tout en faisant comprendre au spectateur que la prouesse technique était quasiment impossible. Boyhood, c’est l’antithèse de l’histoire sans fin, c’est le cinéma indépendant qui se donne les moyens de ses idées, pas financièrement, mais au travers d’une patience et d’une abnégation sans limites. C’est une ligne de vie, tout du moins une portion de ligne de vie, qu’on regarde comme un journal intime que personne n’aurait vraiment signé. Et au final, même sans effet de manche ni musique grandiloquente, c’est un hymne à la vie, un hymne au quotidien que nous traversons tous que nous le voulions ou pas, une trace figée du temps qui passe et ne s’arrête jamais.

Et donc, par définition, plus qu’un simple pari. Peut-être objectivement le plus beau film de cinéma jamais réalisé.

BOYHOOD - Bande-annonce VOSTF

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