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9 août 2012

WE NEED TO TALK ABOUT KEVIN

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Le thème de l’enfant maléfique a souvent été traité au cinéma. Du séminal The Omen, en passant par Kiss Daddy Goodbye, Les Tueurs de L’Eclipse, ou encore Les Innocents et Une si Gentille Petite Fille, les réalisateurs n’ont jamais manqué de matière pour nous décrire le calvaire de parents abandonnés par Dieu face aux desseins funestes d’une progéniture à l’allure innocente et virginale.

Mais si le résultat final ne manquait pas parfois de piment et/ou de crédibilité, ils usaient toujours d’un élément extérieur pour justifier la cruauté de ces chers bambins, de la démonologie (Damien, Insidious), à un événement naturel extraordinaire (Les Tueurs de L’Eclipse), ou encore une pathologie physique/psychologique extraordinaire (Esther). Nul ne se contentait du simple postulat énoncé par Lynne Ramsay, à savoir qu’un être peut être foncièrement mauvais, sans raison particulière.

 

Nous voici donc plongé directement dans l’éternel débat entre l’inné et l’acquis. Un être humain peut-il par essence venir au monde en étant déjà enclin à verser dans la méchanceté la plus gratuite, sous le simple prétexte de faire souffrir ceux qui l’entourent ?

Question simple, débat sans réponse tangible. Rousseau, Darwin, Nietzsche, Lautréamont, Sade, les sociologues, philosophes, psychologues se sont penchés sur cette problématique, sans jamais dénouer le fil d’Ariane qui nous relie à la rationalité de la pensée.

Et la force de l’œuvre de Ramsay, est qu’elle non plus ne propose pas de réponse. Mais multiplie les questions.

 

Organisé en ballet fragmenté à la 21 Grams, We Need To Talk About Kevin se pose en puzzle organique de la vie d’une femme seule, dont on devine dès les premiers instants qu’elle a été secouée par une énorme tragédie. Construit sous la forme de flash-back incessants, il nous narre l’existence mi-pitoyable (le présent), mi-pseudo idyllique (le passé) d’Eva, femme qu’on devine célibataire, qui occupe un poste sans intérêt dans une boite glauque, ou elle se contente de scanner et photocopier des documents, et à taper sur le clavier de son ordinateur. En replongeant dans son histoire, on devine qu’elle a rencontré son futur mari dans un grand rassemblement de type Woodstockien, homme qui va la mettre enceinte, à son plus grand désarroi.

Fast-forward. Eva sort de son entretien, elle est prise à parti d’une manière faussement onctueuse par une femme sur le trottoir, qui finit par lui décocher une énorme gifle. Scène choc. Eva ne renchérit pas, et refuse l’aide d’un badaud. A ce moment là, on sait qu’elle a choisi de porter sa croix, quoiqu’il lui en coûte.

Et nous découvrons enfin le fruit des amours d’Eva et Franklin, cet enfant qui donne son prénom au film, Kévin.

Kévin est un enfant qui ne parle pas. Kévin est un enfant qui ne joue pas. Mais Kévin est de morphologie normale, et grandit normalement, au sein d’une famille normale, dans une vie normale.

Mais Kévin n’est pas normal. Il ne regarde pas sa mère normalement. Ses yeux trahissent des sentiments qu’on devine ambigus envers celle qui lui a donné le jour.

Eva n’aime pas Kévin. Lorsqu’elle pense à lui, elle a envie de se réveiller en France.

 

Le décor est planté. La pièce peut se jouer.

 

D’avant en arrière, nous découvrons Eva subir son présent/pénitence et son passé/chemin de croix. Kévin grandit, porte des couches à 6 ans, déteste de plus en plus sa mère, qui le lui rend bien. Puis il tombe malade. Et sa mère lui raconte l’histoire de Robin Hood, la plus fine flèche de la forêt de Sherwood. Kévin se love dans les bras de sa mère, et rejette son père qu’il aime tant. Instant de tendresse immense qui nous laisse sans voix. Mais Kévin, guérit, son père lui achète un arc, une cible, et Kévin s’entraîne. A dessein. Il se défèque dessus, sa mère le change en le blâmant, il se relève, se défèque dessus à nouveau, et Eva lâche la bride qui censure ses émotions. Elle s’empare de lui, et le jette violemment à terre. Hôpital. Kévin rentre à la maison le bras plâtré, et couvre sa mère auprès de son père.

Tout va mal jusqu’à la naissance de Célia, petite sœur désirée cette fois de Kévin. Et là, tout va s’aggraver. Kévin devient pré-ado, puis ado. Et l’inéluctable est en route.

 

Ici s’arrête mon résumé, même si vous avez tous deviné que l’issue de We Need To Talk About Kevin sera tragique ou ne sera pas. Elle sera. Mais je préfère vous laisser découvrir de quelle manière. C’est cruel, horrible, mais c’est. Et c’est ce qui compte.

 

We Need To Talk About Kevin est un film choc, sans effets choc. C’est une fable réaliste, animée par une réalisatrice qui sait parfaitement où elle va, et comment. Interprétée (habitée devrais-je dire) par un trio d’acteurs phénoménal, porté par une musique fabuleuse (signée par Jonny Greenwood de RADIOHEAD), c’est une tragédie grecque moderne, striée de couleurs criardes déchirant la grisaille et la monotonie ambiante.

Niveau technique, Ramsay a tout bon. Une photographie mi-onirique (les flash-back), mi-crue/pale/passée (le présent), des cadrages tantôt serrés (les plans de visages lors des discussions/affrontements), tantôt asymétriques (le présent d’Eva, toujours isolée dans un décor aux lignes droites cruelles qui l’isolent un peu plus), un format 2,35 : 1 qui étire le panorama comme la dureté de l’existence d’Eva, tout est calibré pour que le spectateur se fonde dans le personnage central, et éprouve les mêmes émotions.

Une narration linéaire et lente, cassée par des fulgurances de propos et/ou d’actes, propulse We Need To Talk About Kevin au rang d’électrochoc en plein cœur du pathos, traité tout à fait délicatement.

 

Et les acteurs bien sur.

 

Comment ne pas souligner la performance hallucinante de Tilda Swinton, qui lors des scènes illustrant le présent semble porter toute la misère du monde sur son âme, sans pourtant en rajouter dans le pathos? D’une justesse et d’une sobriété incroyables, elle est tour à tour touchante, émouvante, impassible, presque transparente, et pourtant, on ne remarque qu’elle. Et le contraste avec les retours en arrière n’en est que plus frappant. Dans ces scènes passées, on retrouve une Eva sure d’elle et pourtant fragile à l’extrême, inflexible, déchirée entre les obligations d’un amour maternel qu’elle n’a pas choisi, et son animosité envers un fils qui la rejette inlassablement, avec une violence verbale et gestuelle rare. Une prestation de très, très haute volée, qui aurait du lui valoir bien des récompenses.

John C. Reilly est lui aussi admirable dans le rôle du père qui ne soupçonne rien des instincts sadiques de son fils Kevin. Lui, le père aimant, doux, peut être un peu passif, est l’huile qui lubrifie les rouages déjà bien enrayés d’une famille scindée en deux camps. Il a depuis longtemps choisi le sien, celui de son fils, qui lui cache avec flair ses actes de méchanceté et de rejet maternel.

Quant aux deux acteurs campant le personnage trouble de Kévin, ils sont eux aussi au-dessus de tout soupçon. Jasper Newell, qui incarne Kévin enfant, a le regard noir, le geste imprévisible, et la moue inquiétante. Sa beauté diabolique agit sur le spectateur avec un magnétisme incroyable, et plusieurs scènes d’anthologie le placent déjà en tant que révélation à suivre. Suivez à ce titre la séquence du ballon, qui semble de prime abord anodine, mais incroyablement révélatrice des évènements à venir. Ezra Miller, qui prend la suite en se glissant dans la peau du Kévin ado, à la beauté trouble et fine des personnages vénéneux. D’un simple regard, il vous cloue à votre fauteuil, d’un simple mouvement de tête, il suscite la nervosité et l’inquiétude. Félin quand il le faut, Miller louvoie entre les différentes facettes de son personnage comme un serpent dans le désert. Et ses aphorismes/digressions sur la vie vous glacent les sangs. Rien de moins.

 

We Need To Talk About Kevin est un film qui fonctionne à plusieurs niveaux de raisonnement et d’analyse.

 

Au premier degré, c’est un terrible conte familial qui tourne mal. Il pose la question définitive suivante : un enfant peut-il être mauvais dès la naissance ? Peut-il ressentir le non-désir d’enfantement de sa mère dès son stade embryonnaire et choisir le mal dès son entrée dans le monde des vivants ? La réponse est dans ce cas : oui. Un être peut être mauvais dès son plus jeune âge, et ne jamais guérir. L’anti-naturalisme par définition.

 

Au second degré, c’est une désacralisation en règle de l’éducation, et du rôle de la mère au sein d’un strict cadre familial. Une mère à elle le devoir d’aimer son enfant non désiré coûte que coûte ? Doit-elle le considérer comme un cadeau divin qu’elle n’a la droit de refuser, et qu’elle doit entourer d’amour même si son cœur lui dicte un comportement inverse et sincère ? We Need To Talk About Kevin, et son réalisme cru, dynamite l’idéalisation du cadre familial tel que le conçoivent bien des psychologues et des médias, et replace la mère dans une dimension d’être humain à part entière, individualiste et entité concrète et viable. Il balaie d’un revers de manche les baby-shower, et autres manifestations pathétiques d’un amour forcé, et appréhende l’éducation comme un double apprentissage, celui de l’enfant et du parent, apprentissage qui n’est régit par aucune règle pré-établie et sacrée. Avant d’être une mère, la femme est femme, avec ses désirs, ses aspirations, son dégoût, voire sa haine d’être reléguée au simple rang d’éducatrice/formatrice d’un être en devenir.

 

On peut aussi le voir comme un complexe d’Œdipe concret. Les indices que sont la scène de masturbation très dérangeante, et la tragédie finale peuvent étayer cette interprétation. Cette dualité Eros/Némésis, Thanatos/Catharsis en dit long sur toutes les théories Freudiennes, et nous offre une lecture trouble de relations mère/fils, père/fils, femme/mari, beaucoup moins simples qu’elles n’en ont l’air. Des parallèles amour/amour et amour/haine qui compliquent la vision, mais qui expliquent indirectement le pourquoi du comment.

 

Au final, We Need To Talk About Kevin laisse plus de questions en suspens qu’il ne donne de réponses (le « Je ne suis plus sur de savoir » final est un aveu flagrant de l’impossibilité d’explication). Bien sur, des éléments narratifs et graphiques donnent des pistes, avec cette scène d’ouverture placée sous le signe rouge vif du sang, que l’on retrouve tout le long du métrage, et plus particulièrement sur les murs extérieurs de la maison d’Eva. La demeure est frappée du sceau de l’infamie, et Eva passera tout le métrage a nettoyer ces traces de culpabilité, qu’elle assume pourtant intérieurement. Ces tonalités rouges qui font souvent penser au De Palma de Carrie (comme dans le bouquin de King, l’enfant et sa croissance sont vus sous l’angle de la douleur et de la pénitence) agissent comme un filtre coloré qui teinte la réalité d’une nuance matricielle indéniable. L’accouchement subi comme un acte de contrition doit s’effectuer dans la douleur et les flots de sang.

 

Et on pourrait résumer l’histoire d’Eva, qui n’est rien d’autre qu’une parabole sur l’abnégation ultime, et celle de Kévin, qui symbolise le fatalisme inéluctable et le rôle de victime/bourreau assumé par cette réplique qui fait froid dans le dos de par sa vacuité et sa flagrante et lénifiante évidence.

 

« Pourquoi collectionnes-tu ces photos ? »

« Je ne sais pas. »

« Quel est l’intérêt ? »

« Ca n’a aucun intérêt. C’est justement ça l’intérêt. »

 

Un aphorisme sur la vie en quelque sorte.

 

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