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12 juin 2014

THE GRAND BUDAPEST HOTEL

grand-budapest-hotel-posterLe cinéma est plus qu’un art parfois. C’est un voyage, simple, complexe ou initiatique, lorsqu'un réalisateur unique vous offre les clés d’un monde si personnel que nul autre que lui ne peut prétendre en connaître les horizons.

Mais ce statut est rare. Très rare. Certes, chaque metteur en scène à sa personnalité, plus ou moins affirmée, plus ou moins particulière, mais seule une petite poignée d’élus arrive à transcender chaque histoire qu’il raconte en se fiant uniquement à son imagination. Citons je vous prie, sans ouvrir de guillemets.

Orson Welles. Quentin Tarantino. Zach Snyder. Christopher Nolan. Peter Jackson. Stanley Kubrick. Federico Fellini. John Ford. John Cassavetes.

Dans un créneau que d’aucuns jugeront plus “discutable”, de part leur capacité à générer des œuvres aussi majeures qu’anecdotiques, concept Ô combien subjectif, John Huston, Dario Argento, Michael Mann, Michael Cimino, Francis Ford Coppola, Akira Kurosawa, Steven Spielberg, Georges Lucas…

 

La liste est modifiable à loisir, car elle est mienne. Libre à vous de changer certains noms, voire tous, chacun trouve son compte où il peut/veut. C’est ça le bonheur de l’art et donc de la subjectivité. Mais je dois vous avouer que j’attendais la sortie d’un film bien précis pour savoir si j’allais oui ou non y rajouter un nom (dans la partie supérieure, chez les grands maîtres), et mon avis est enfin fait. Car aujourd’hui, s’ajoute à cette liste le nom de Wes Anderson. Mais Wes Anderson, c’est quoi au juste ? Un caprice, une illusion, un fumiste, un génie ?

 

C’est d’abord une filmographie complètement à part. La famille Tenenbaum, La Vie Aquatique, A Bord du Darjeeling Limited, trois ovnis cinématographiques durant lesquels le décalage permanent le dispute à la poésie humaniste la plus débridée. Mais c’est aussi – et surtout pour certains – le génial Moonrise Kingdom, histoire d’amour initiatique de Sam et Suzy, dans laquelle les adultes sont les vrais enfants et les enfants des adultes en devenir beaucoup plus sincères et cohérents. Un road love movie unique, mélangeant l’humour et l’amour avec un sens de l’équilibre aussi fin et fragile qu’un fil d’araignée tissé sur une tige de rose des vents. Un chef d’œuvre, pour le moins.

 

Alors, j’attendais beaucoup, vraiment beaucoup de l’expansion de l’univers de Wes. Mais j’étais loin de me douter qu’avec une histoire aussi loufoque il irait aussi haut, et aussi loin, dans tous les sens des termes. Ne le cachons pas, The Grand Budapest Hotel est un bijou, un émerveillement visuel et narratif, qui synthétise tous les tics de réalisation d’Anderson en les transcendant et les transformant en fil d’Ariane que personne ne veut lâcher. Et surtout, la validation en moins de deux heures d’un style aussi ancien que décrié et propice à la facilité, le All Star Cast Movie.

 

The Grand Budapest Hotel est un film dans le film du film. Le pitch de base nous raconte l’histoire abracadabrante de Gustave H, concierge de légende d’un établissement hôtelier de luxe, le Grand Budapest Hotel. Sa vie nous est relatée oralement par l’énigmatique Zero Moustafa, son meilleur ami, propriétaire actuel de l’hôtel, dont la personnalité intrigue fortement un jeune écrivain en villégiature sur les lieux, lors d’un dîner marathon. Car il faut du temps pour dresser le tableau d’une vie aussi extraordinaire et haute en couleurs que celle de Gustave. Un peu gigolo, toujours tiré à quatre épingles, utilisateur forcené de l’Eau de Panache, mais amoureux de son travail qu’il accomplit sans fautes, ce dernier se lie d’amitié avec un jeune groom, le fameux Zero Moustafa, qu’il met un point d’honneur à former pour finir par l’aimer comme un frère, jusqu’au bout. Mais lorsque Madame D, riche pensionnaire, et accessoirement « cliente » de Gustave décède, les évènements prennent une tournure rocambolesque, entraînant nos deux héros dans des aventures picaresques dont ils ne sortiront pas forcément indemnes, sur fond de changement politique radical en Europe de l’Est.

 

De plusieurs choses l’unes. Soit vous êtes un fan de Wes et vous avez déjà vu le film, qui vous a régalé dans les grandes largeurs. Soit le réalisateur vous intrigue, et vous risquez de rester circonspect face à cette œuvre unique. Soit vous ne le connaissez pas du tout, et je vous laisse vous faire votre propre opinion. Soit la simple évocation de son nom vous donne la nausée, et vous avez déjà fui à toutes jambes. Je connais ce processus, c’est à peu près ce qui m’arrive lorsqu’on me parle de Baz Luhrmann. Mais il n’est pas infondé d’affirmer que The Grand Budapest Hotel est un des plus grands films de tous les temps. Et de tenter d’expliquer pourquoi.

 

Tout d’abord, pour la richesse de sa mise en scène. Rien de bien étrange à cela, puisque Wes est un virtuose de la réalisation, soignant chaque plan de ses films au scalpel. Si les couleurs et les contrastes ont toujours été des éléments clé de ses travaux, l’apothéose en est livrée ici dans un incessant ballet de décors grandioses et d’accessoires parfaits. De la moindre petite boite de gâteaux au plus grand hall de résidence grandiose, tout est léché, mesuré au millimètre, soigné, bichonné pour aboutir à un ravissement visuel. Evidemment, certains pointeront du doigt son obsession de la symétrie (qui est ici poussé à son maximum), mais nul ne peut contester qu’elle est ici à sa place et qu’elle sert le film de la façon la plus parfaite qui soit. Mention spéciale à l’hôtel en lui même, reconstitué dans ses moindres détails fantasmagoriques dans l’ancien « Karstadt », un magasin immense, et au funiculaire étrange digne de l’expressionnisme allemand mis en couleurs. Des tapisseries aux bijoux, des couverts aux mobilier, des gares aux cuisines, tout à un sens géographique, une utilité ludique, exploitée au maximum, parfois simplement en arrière plan, ce qui constitue une véritable gageure…Laissons quand même quelques surprises planer.

 

C’est aussi un chef d’œuvre pour la qualité de sa narration. The Grand Budapest Hotel n’est pas qu’une simple accumulation de beautés graphiques formelles, c’est aussi une histoire magnifique, tenant autant du nonsense des nursery rhymes que du slapstick, empruntant de ci de là des éléments oniriques à la Lewis Caroll, tout en gardant une cohésion compacte ne pouvant jamais être prise en défaut. Outre son délire visuel, c’est une formidable histoire d’amour et de fidélité, à couches multiples qui touchera chacun d’entre vous. Une émouvante amitié entre deux hommes pas si différents que leur première rencontre ne le laissait présager, une histoire d’amour pluri vectorielle entre un homme et son travail, un jeune groom et une jolie pâtissière, une histoire de peur de voir l’Histoire se transformer pour le pire sous leurs propres yeux. Car outre cette façon de romancer la transformation de l’Europe dans les années 30 tout en gardant sa brutalité de mutation, Wes dénonce à sa façon le comportement outrageusement passif de certains hommes face à l’abomination qui se dessinait alors. Sans moralisme déplacé aucun. Félicitations.

 

Parlons dialogues. Si Tarantino les revendique comme étendard de sa propre verve, Wes n’a absolument rien à lui envier bien au contraire. Les tirades de Grand Budapest évoquent le meilleur théâtre qui soit, mêlant le burlesque, l’absurde, l’ironie, la tendresse et l’humour noir (et même parfois les grossièretés les plus grivoises…) avec un panache hors normes. Justement, en parlant de panache, rien que les allusions permanentes à ce parfum dont Gustave est si friand sont le cadre d’un running gag hilarant qui ne lasse jamais. Tout est déclamé avec justesse, ce qui ne présente qu'une modeste gageure tant les punchlines sont savoureuses et variées. Je ne peux d’ailleurs m’empêcher de vous en citer quelques unes, tant leur révélation n’entamera en rien leur pertinence.

-          Gustave H : « C’était une affaire au pieu soit dit en passant »

-          Zero : « Mais elle avait 84 ans monsieur »

-          Gustave H : « J’en ai connu des plus âgées »

 

Ou encore :

 

-          Kovacs: Peut on considérer que c’est réglé? Vous êtes d’accord?

-          Dmitri: Je suis avocat. Pas d’accord.

-          Jansing: (Jette son chat par la fenêtre)

-          Dmitri: Est ce qu’il vient de jeter mon chat par la fenêtre?

 

Mais sans acteurs fabuleux, ces décors manqueraient de précision, ces dialogues perdraient de leur piquant. Et c’est donc le point fort de Wes d’avoir créé des personnages fabuleux et improbables, incarnés par des acteurs au dessus de tout. Si Ralph Fiennes est dantesque dans le rôle de Gustave, aussi collet monté que décalé, si Tony Revolori est aussi touchant que drôle dans la peau de Zero, le reste du film nous offre une palette impressionnante de seconds rôles, tous aussi étranges et hirsutes les uns que les autres, mais tous aussi indispensables. Sans tous vous les présenter, je ne peux que souligner les performances hallucinantes d’Edward Norton en représentant du nouvel ordre courtois et soigné, de Willem Dafoe en homme de main ultraviolent à la masse, de Jason Schwartzman en concierge un peu approximatif, d’Harvey Keitel en taulard évasif, et bien sur, une fois de plus, de Bill Murray en membre de loge fidèle et efficace. Cette galerie de bêtes de foire est un des atouts du film, car son utilisation est pertinente et ne relève jamais de l’anecdote placée là pour faire joli, ou pour impressionner le public. Chacun est à sa place, aussi ténue soit elle, et joue son rôle avec la folie et l’application que ce film requiert. Et si les accents sont prononcés, si les attitudes sont poussés, si la gestuelle est exagérée, c’est que chaque portion de la mise en scène en a besoin, comme d’une sève enivrante qui plonge le public dans une douce ivresse, à la mesure de la folie dégagée.

 

Alors, même si la carrière de Wes est loin d’être à son terme, gageons que The Grand Budapest Hotel restera pour beaucoup son chef d’œuvre (en français dans le texte). Et quoiqu’il puisse produire à partir de maintenant, il aura prouvé qu’il fait partie de cette caste si restreinte de réalisateurs de génie, en nous laissant avec ce film qui a des allures de livre de contes tridimensionnel, que l’on ouvre les yeux plein d’étoiles, et qu’on ne referme jamais. Peut être pouvons nous dresser des parallèles après tout.

Et si Wes avait l’acuité littéraire d’un Tarentino, la grandiloquence d’un Welles, la prise de liberté et le refus d’entraves d’un Kubrick, le sens du visuel époustouflant d’un Snyder, la complexité logique d’un Nolan, la démesure d’un Fellini, la folie et la magie d’un Jackson, l’acidité et la cohérence d’un Cassavetes, et la recherche perpétuelle de grandeur d’un Ford?

 

Ca paraît impossible. Mais si tel était le cas, ça en ferait le plus grand réalisateur ayant jamais existé.

 

THE GRAND BUDAPEST HOTEL - Bande-annonce [VOST|HD]

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