Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Sickboy Moviez
Archives
11 mars 2015

BIRDMAN

Birdman-Affiche-Michael-KeatonLe type même du « film à oscar » est facilement identifiable. Qu’il soit un biopic, l’adaptation d’un incunable, porteur d’un rôle difficile à endosser, on le repère généralement de loin, et on sait, au moment où on le voit, qu’il va recevoir une pluie de récompenses, formelles et de circonstances, ou sincères et méritées. Mais parfois, on se fait avoir. Du moins, on ne voit pas forcément la chose venir. Comme si, au milieu d’un couloir, on croisait un homme qu’on sent brillant, mais pas forcément remarquable, et qui finit par s’imposer dans la lumière de par ses qualités intrinsèques.

En regardant Birdman, d’Alejandro González Iñárritun j’ai immédiatement senti qu’il se passait quelque chose. Pourtant à des années lumières de pierres angulaires inévitables comme Le Discours d’un Roi, My Left Foot, 12 Years a Slave, Le Parrain et autres légendes dont personne ne remettra en cause la pertinence, j’ai tout de suite compris que ce nouveau film d’un réalisateur mexicain décidemment en marge avait un potentiel énorme qui pouvait frapper un grand coup dans le landerneau de l’industrie cinématographique hollywoodienne. Et pourtant, Dieu m’est témoin que ce film ne la ménage pas. Loin de là. On pourrait le rapprocher, d’une façon thématique, des éternels Sunset Boulevard ou Les Feux de la rampe pour cette quête d’une gloire passée qu’un homme n’est pas décidé à enterrer définitivement. Mais beaucoup plus loin que cette simple analogie, Birdman pose des questions fondamentales sur la vie d’un acteur/homme confronté de plein fouet à son égo, au talent de ses homologues et à ses propres échecs familiaux. Ce qui arrive donc à Riggan Thomson peut facilement être transposé dans la vie dite « réelle » de tout un chacun, puisque l’interrogation primaire qu’il pose nous concerne tous. Devons-nous nous définir par rapport à notre passé, à notre nature profonde, à nos actes présents et/ou futurs, et sommes-nous capable de nous accepter tels que nous sommes, pour enfin nous transcender et devenir…quelqu’un.

Ces bases ainsi posées, plongeons nous dans l’histoire elle-même. Riggan Thomson est essentiellement connu pour son rôle de super héros adapté d’un comics, tourné il y a vingt ans, Birdman, et ses deux séquelles à succès. Ce personnage a pris le contrôle sur sa vie, dans laquelle “Birdman” est plus célèbre que l’acteur Riggan Thomson lui-même. Ayant atteint l’âge mur, Riggan essaie de s’acheter une respectabilité en mettant en scène, produisant de ses fonds, et en jouant dans une adaptation à Broadway du roman de Raymond Carver, What We Talk About When We Talk About Love, en association avec son ami Jake. Il sait que son nom n’est pas synonyme de respectabilité, et investit tout son argent, son énergie et ses espoirs dans cette pièce. Mais alors que Jake et lui commencent les premières répétitions générales, ils doivent faire face à un certain nombre de problèmes. Remplacement d’un des acteurs principaux par une diva talentueuse de Broadway, Mike Shiner, aussi brillant que boursouflé d’égo et talentueux, et qui de plus menace d’éclipser Riggan, menaces de poursuites au tribunal par un acteur limogé et violenté, fille unique perdue sortant d’une cure de désintoxication avec laquelle Riggan a du mal à composer, malgré son désir d’être présent pour elle, et relations difficiles avec une critique célèbre à la dent dure, Tabitha Dickinson, qui déteste les acteurs hollywoodiens et promet à Thomson de descendre sa pièce en flammes. Mais l’obstacle le plus difficile à franchir semble être la lutte interne que mène Riggan contre ses démons, et la relation étrange qu’il a établi avec son ancien personnage, qui s’adresse constamment à lui pour lui ouvrir les yeux sur sa situation. Car selon son alter égo, Riggan EST Birdman, et ne sera jamais rien d’autre, malgré ses aspirations de légitimité et de reconnaissance du public.

Ce postulat énoncé, Birdman avait tout pour être une énième digression sur le thème de l’acteur déchu et de son chemin de croix pour accéder une dernière fois au statut de gloire adulée par le public, et honoré par la profession. Ce thème ayant déjà bénéficié d’un nombre conséquent de traitements, il semblait risqué d’en tenter une nouvelle digression sans tomber dans la redite. Mais le talent extraordinaire d’ Alejandro González Iñárritun est d’avoir transcendé un scénario convenu et linéaire pour en faire une œuvre éminemment personnelle et sans équivalent jusqu’à lors. Et pour en arriver là, il aura eu besoin d’une science millimétrée de la direction, d’une créativité extraordinaire, d’astuces de mise en scène, et d’un panel d’acteurs époustouflant, transformant ce qui semblait être un énième all star cast movie en  fable humaniste touchante et pourtant d’une objectivité froide et lucide. Une gageure ? Pour le moins.

D’un simple niveau technique, Birdman est un émerveillement. Tourné uniquement en plan séquence, réduisant de fait le montage à une portion congrue, il fait preuve d’une maestria ébouriffante qui accentue le côté « réel » de l’intrigue et des situations en découlant. Nous suivons les protagonistes dans les méandres de leurs névroses et les dédales du théâtre (lieu quasiment unique) comme si nous faisions partie de l'équipe, et cette focalisation interne doublée d’une focalisation zéro du personnage principal crée un décalage vertigineux, encore plus accentué par les saillies surréalistes de l’âme de Riggan confrontée à son alter égo. De par ce choix qui intègre des scènes complètement hors contexte (dont celle de l’attaque de la ville par des oiseaux robots géants) dans un terreau ultra concret, Alejandro González Iñárritun tisse un anti conte de fée cauchemardesque qui nous fait pénétrer l’inconscient et l’âme d’un acteur en pleine perdition, doublé d’un homme qui a planté sa vie privée comme il a cloisonné sa vie publique, guidé en cela par une soif de reconnaissance et d’admiration publique dont il ne semble pas pouvoir/vouloir s’extirper.

Et quel autre choix que le fantastique Michael Keaton pour incarner Riggan/Birdman…Dans une allégorie cruelle sur la destinée d’un acteur phare des années 90, l’acceptation de Keaton prend des airs de purgatoire, et représentait sans doute une prise de risque maximale. Maltraité dans ce film comme rarement un acteur l’aura été, Keaton compose avec une partition qui le malmène de bout en bout, autant physiquement que psychologiquement, et ressort transfiguré, quasi christique. Il aura dû pour ça endurer des moqueries frontales à base de calvitie mal assumée, de rides profondes et de démarches pathétiques, avec en exergue une hallucinante séquence durant laquelle il se voit contraint de regagner l’intérieur du théâtre en slip, harcelé par les fans éberlués de constater le vieillissement de leur super héros d’antan, et quasiment jeté dehors par des employés ne le reconnaissant pas…Comment après avoir assisté à un tel spectacle ne pas tomber à genoux devant une incarnation aussi absolue de la part d’un acteur confronté à son propre reflet dans un film/expiation qui se détourne finalement en anti hagiographie émouvante ?

Mais le reste du casting, loin d’assurer de seconds rôles indispensables au cahier des charges, se taille aussi une part non négligeable du lion en bouffant tout ce qui lui passe sous le nez. Mention spéciale bien évidemment à Naomi Watts et Edward Norton, dans deux rôles diamétralement opposés. La première pleurant ses échecs et ses rêves brisés à grands coups de contradictions et de recherche de compassion sincère ou non, le second en vampirisant autant à l’écran que concrètement les scènes où on le retrouve, au point de faire de l’ombre à Keaton de son arrogance crasse et de ses répliques assénées comme autant de constats cruels.

BIRDMAN Bande Annonce VOST

On pourrait penser en lisant ceci que Birdman n’est rien de plus qu’une introspection boursouflée d’orgueils à l’égard d’acteurs qui aiment à se regarder pousser le nombril. Mise en scène maligne et pétillante de petits détails (cette batterie Jazz, ces manipulations surnaturelles de Birdman, l’intrusion du fantastique dans le réel), rythme haletant et épuisant (calqué sur la rythmique musicale, choix du plan séquence qui finit par nous laisser le souffle coupé), partitions jouées à la double croche près par des acteurs plus ou moins concernés directement par leur incarnation (à l’exception de Zach Galifianakis, amaigri et sobre comme un contrat d’assurance, pourtant touchant lors du final), et final opaque et onirique qui laisse place à une interprétation personnelle. Riggan est-il devenu Birdman pour l’éternité ? Au-delà de la poésie de cette conclusion, je serais tenté de dire que là n’est pas la question. Comme là n’est pas la question de savoir si son acte désespéré est vraiment sincère, si tout ce qu’on a vu à une validation concrète ou pas. Car Birdman est tout sauf ce qu’il paraît être. Certains le jugeront formel et froid, et c’est l’impression qu’il peut laisser. Pour peu que l’on soit hermétique à ces dédales mentaux existentiels d’acteurs en pleine rédemption/affirmation, il peut laisser de marbre, au-delà de la reconnaissance de ses qualités intrinsèques indéniables. Il n’est pourtant rien d’autre qu’une gigantesque plongée dans l’inconscient d’un homme qui n’accepte pas ce qu’il est, admire ce qu’il a été, et craint ce qu’il va devenir. Et nous pouvons tous nous sentir concerné par cette névrose personnelle.  Je consens à admettre qu’il s’adresse plus volontiers dans son approche à un public masculin, plus réceptif aux interrogations et aux errances du personnage principal. Mais je pense sincèrement que les femmes peuvent aussi se reconnaître dans les personnages féminins, car nombre d’entre elles ont déjà été les victimes d’un père absent et recentré sur lui-même, d’un mari obnubilé par son image et la réception qu’en fait son auditoire féminin en termes de séduction, ou du temps qui passe et laisse tomber les rêves pour affronter une réalité quotidienne synonyme de souffrance. A vrai dire, Birdman s’adresse à tous ceux qui ont souffert un jour, à tous ceux qui se sont posé la question du pourquoi moi ? Du qui suis-je vraiment ? Du est-ce que tout cela en vaut vraiment la peine ? Du qu’ai-je fait de ma vie ?   

Mieux, Birdman est un plongeon du dernier étage d’un immeuble sans savoir si Dieu vous a donné des ailes pour voler. Et s’en rendre compte une fois la chute entamée, une fois qu’il est trop tard pour reculer. C’est une expérience hors du commun, comme de s’enfoncer les deux oreilles dans le solo interminable d’un batteur de jazz qui vous prend en otage de ses envies d’improvisation. C’est ça, le mot est juste. C’est une improvisation enivrante, et pourtant cadrée dans ses moindres détails. La question est de savoir si vous allez accepter de voir vos sens altérés pendant près de deux heures. Mais perdre contact avec la réalité tout en y restant ancré est une sensation unique, que Birdman vous propose de tester. A vous de savoir si vous aurez le souffle nécessaire pour en ressortir indemne.  

Publicité
Publicité
Commentaires
Sickboy Moviez
Publicité
Publicité