Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Sickboy Moviez
Archives
13 mars 2015

DISCONNECT

Disconnect-afficheQu’en est-il de l’état des lieux de la communication aujourd’hui ? Les alertes se multiplient, les dangers autrefois hypothétiques se concrétisent, et les cas alarmants de tragédies liées aux débordements/harcèlements informatiques prennent des proportions dramatiques. Personne ne s’inquiétait de cet état de fait à l’orée des années 2000, tant les spécialistes étaient obnubilés par un bug fantôme susceptible de déstabiliser l’horloge mondiale. Pourtant, ce danger, bien tangible est aujourd’hui au centre de tous les débats. Alors que le bullying fait rage aux Etats Unis, les associations de parents s’inquiètent des conséquences horribles que peuvent avoir de simples messages laissés sur un réseau social. Autrefois, le harcèlement était cloisonné dans les murs des écoles/lycées, permettant aux victimes de se réfugier dans leur chambre sans crainte d’être moqué et/ou vilipendé. Mais ce havre de paix n’existe plus, la frontière déjà fine entre le réel et le virtuel s’estompe de plus en plus, à tel point que certains adolescents vivent dans un monde binaire peuplé de contacts invisibles, n’interagissent entre eux que par tweets, photos instagram et autres empruntes 2.0 beaucoup moins anodines qu’ils le croient.

The ghost in the machine ? Cette théorie énoncée il y a maintenant des décennies pourrait bien trouver son parangon en 2015, mais d’une façon détournée, et pas altérée. Car le célèbre fantôme de l’ordinateur n’a pas pris la forme d’un virus géant s’extirpant de son habitat de composants, mais bien celle d’un être de chair et de sang qui s’est lui-même intégré à la machine qu’il croyait dominer. Si le cinéma asiatique est votre tasse de thé, vous n’avez pas pu passer il y a quelques années à côté du chef d’oeuvre de Kiyoshi Kurosawa, Kaïro, qui s’imprégnait de l’air du temps pour incarner des forces surnaturelles émergeant d’un univers binaire parallèle, et pénétrant le réel via le virtuel et tous les moyens de communication modernes. Ce cauchemar éveillé réellement traumatique, était une très sombre allégorie sur la puissance de l’informatique dans le monde « vivant » des années 2000. Elle vient aujourd’hui de trouver son pendant « positif » inversé en la matière du premier film de Henry-Alex Rubin, Disconnect, qui outre sa pertinence imposée sans ambages, a le mérite d’être une œuvre de fiction de premier plan qui vous tient en haleine de bout en bout.

Un avocat de renom, en permanence attaché à son téléphone portable, n’arrive plus à communiquer avec sa famille. Un couple est mis en danger lorsque leurs petits secrets en ligne sont découverts.  Un ex-flic veuf fait ce qu’il peut pour élever seul son fils récalcitrant, qui lui-même persécute un camarade de classe online. Une journaliste ambitieuse sent qu’elle tient le sujet de sa carrière en la personne d’un jeune fugueur qui vend ses charmes via un site internet pour adultes. Ils ne se connaissent pas, sont juste voisins, collègues, mais leurs histoires vont se télescoper et poser une question existentielle : comment communiquer dans le monde actuel, saturé de câbles et connections, sans y perdre son âme ?  

De ce fait, Disconnect est sans conteste un film ancré dans son époque, comme l’expliquait mon préambule. En phase idéologiquement, mais aussi artistiquement. C’est un drame, sans hésitation, un thriller haletant, sans discussion, et un puzzle humaniste par extension. Les choix du réalisateur sont tous pertinents, et tout le monde se sentira concerné par le destin des différents protagonistes. Peu importe que vous soyez une mère/un père de famille absent ou dépassé par les évènements, un ado solitaire et introverti, une femme seule, un homme perdu, une femme délaissée ou quoi que ce soit d’autre, Disconnect vous parlera, ce qui, au vu de son thème, est un achèvement majeur et inespéré. Car l’intérêt général de ce film est justement de rétablir l’usage de la parole chez des individus persuadés que les mots doivent être écrits, que les actes doivent être immortalisés, et que tout doit être consigné…au lieu d’être vraiment vécus.

Qui n’a pas déploré le mutisme de son enfant collé à son ordinateur, gravant ses envies, son désespoir, ses limites et ses rêves sur le profil de son réseau social préféré, abandonnant de fait toute communication directe avec les personnes de son entourage ? La théorie du « c’était mieux avant », conspuée par toute une génération de nerds, nOobs et autres cyber-accros prend tout son sens dans ce film, mais pas sous l’angle moralisateur d’une arrière garde persuadée d’avoir raison. Car Disconnect pose des problèmes, souligne des disfonctionnements, mais en montre aussi les conséquences possibles, et offre des solutions. Utiliser la technologie oui, en devenir esclave, non. Et même si le virtuel peut parfois devenir réel, pour le meilleur et pour le pire, il ne restera jusqu’au bout qu’un moyen d’exister par procuration, en s’inventant une vie rêvée, ou en dévoilant la sienne pour chercher un peu de compassion dans un monde où l’information précède parfois les faits.

Pour en arriver à cette conclusion, Henry-Alex Rubin utilise tout son talent et celui de ses interprètes. Sur un pitch faussement simple faisant appel à des compétences inter connectives, il tisse une toile dont les fils s’allongent sous vos yeux, pour se réunir d’un lien fragile, avant d’exploser lors d’un final qu’on craignait beaucoup plus sombre. Le génie de sa mise en scène est d’avoir filmé le non-dit avec une maestria incroyable. Loin de se contenter de placer ses sujets dans un environnement favorable, il a pris des risques, fait preuve de modération et de précision dans la description des milieux qu’il décrit, et surtout, n’a pas cherché à mettre l’emphase sur un drame déjà quasiment palpable. Il se place ainsi en pendant très juste du terrifiant Megan Is Missing, auquel on pouvait reprocher un appui excessif dans ses aspects les plus dérangeants. Et finalement, en faisant le choix de la « normalité », il offre à son film un impact beaucoup plus fort. Au casting, nous retrouvons avec plaisir des visages familiers. Au premier plan, le très mésestimé Jason Bateman (Juno, Horrible Bosses, et une filmo longue comme un jour sans internet), dans la peau de cet avocat tellement investi dans son travail qu’il est incapable de ressentir le mal être de son fils. Ne le cachons pas, c’est lui le pivot du long métrage. De par sa présence, mais aussi parce qu’il est le personnage qui mettra le plus de temps à comprendre où se trouve l’essentiel. Soulignons aussi la performance du duo Andrea Riseborough (Oblivion, Birdman, et une jolie carrière qui décolle)/ Max Thieriot, dont la relation trouble donne au film un délicieux parfum subversif, inquiétante et vénéneuse dans sa première partie, tragique et lacrymale dans sa seconde, mais ces précisions ne sont qu’indications tant l’ensemble du casting offre une performance incroyablement humaine et convaincante.

Mais revenons à l’essentiel, le film en lui-même. Toute l’importance de Disconnect réside dans le traitement que lui a offert son concepteur. Car loin de se contenter du minimum à stigmatiser, loin de porter des jugements et d’offrir un simple constat de fait de société, Rubin a construit son long avec minutie, transformant le drame en thriller prenant, avant de revenir au drame, sans jamais lâcher ses sous intrigues se déversant dans le fleuve de la narration principale. On peut concevoir cette œuvre comme un film noir urbain aux relents dramatiques, sans tomber dans l’exagération, puisque c’est ainsi que l’a voulu son réalisateur. Détails soignés, photographie sobre qui n’en rajoute pas (ainsi le « squat/cybersalon érotique » dans lequel vivent les jeunes est assez anonyme), laissant les écrans et la nuit tels quels dans leur menace permanente, gros plans sobres qui n’alourdissent pas le pathos déjà imposant, etc…De plus, Rubin se permet de traiter tous les problèmes de communications liés au moyens relationnels modernes (portable, ipad, webcam, plateformes sociales, sites porno, mais aussi télévision, bouche à oreille), et les étale sur un rythme à couper le souffle symbolisant à merveille la vitesse hallucinante à laquelle transitent les informations de nos jours. Fond et forme en adéquation, équation parfaite, solutions multiples. Et parvenir à dénoncer les travers de la technologie en utilisant tous ses composants tout en signant un film profondément humain était un sacré défi à relever, sur lequel bien des artisans se sont cassé les dents. Car malgré l’issue pas forcément prévisible du film (et formidablement bien amenée par des faux semblants soudain stoppés en plein vol par un ralenti bien senti), Disconnect laisse des traces relativement faciles à suivre, vous emmène là où il le souhaite sans vous donner le tournis, installe son intrigue patiemment sans vraiment surprendre, et reste pourtant fascinant de bout en bout.

Et puis, peu importe après tout que ce film aborde des sujets graves comme la pornographie infantile, la perte d’un enfant, d’une femme, l’exploitation de la misère humaine à des fins personnelles, car il restera pour toujours un magnifique film sur des destins brisés par la solitude. Car cette solitude, de nos jours, on la partage en ligne, sur des réseaux, des plateformes, des forums, en se donnant la fausse impression d’être compris, d’être accompagné. Mais comme le dit l’adage, on n’est jamais aussi seul qu’au milieu de la foule. Sauf que la foule de nos jours prend des proportions gigantesques, et se chiffre en millions d’individus. Est-ce pour autant que nos blessures guérissent plus vite ? Est-ce pour autant que cette chambre, ce bureau dans lequel nous nous connectons paraitra moins carcéral sans ses barres virtuelles qu’érigent ces données que nous envoyons à la vitesse de la lumière ? Est-ce pour autant qu’en nous cachant derrière des pseudos, des téléphones portables, nous allons réussir indéfiniment à dissimuler aux gens notre vraie nature et trouver le bonheur dans ce « malheur des autres » qui nous rassure tant ?

La réponse de Disconnect est claire. C’est un non, un énorme non.  Mais loin de pointer du doigt les technologies modernes comme source de traumas et de drames, ce film préfère dénoncer le comportement des gens qui cèdent à la facilité, et oublient que les machines qu’ils croient utiliser pour le meilleur les transforment en prisonniers. Ou en criminels parfois plus cruels que les assassins qui tuent chaque jour dans les rues, parce que cachés derrière le confort du faux anonymat d’un réseau qui aura finalement raison de leur vrai visage un jour ou l’autre. Et finalement, la vraie question qui reste en suspens est celle-ci. Saurons-nous vraiment utiliser ces moyens de communication un jour, sans nous y perdre et oublier nos valeurs, notre nature ? Car sur Internet, rien ne se perd vraiment, rien n’est vraiment caché. Et finalement, sous couvert d’une carapace censée nous protéger nous finissons par révéler nos plus sombres desseins sans vraiment nous en rendre compte. Et nous oublions la misère, la peine, mais aussi la joie, le bonheur qui s’étalent sous nos yeux jour après jour, à force de rester les yeux rivés sur des écrans.

Et à force d’oublier qu’il n’y a pas que les actes qui blessent. Mais aussi l’indifférence.

Disconnect Bande Annonce

Publicité
Publicité
Commentaires
Sickboy Moviez
Publicité
Publicité