Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Sickboy Moviez
Archives
16 février 2012

HESHER

Hesher_afficheUn scénario béton est un atout de taille pour réaliser un film de qualité, à succès ou non. Les exemples ne manquent pas, d’Usual Suspects à Inception en passant par Memento, The Machinist, Sixième Sens, j’en passe et des plus illustres certainement.

Mais parfois, un pitch microscopique, un script minimaliste suffisent à bâtir une histoire fantastique, pas aussi simple et premier degré qu’elle n’en a l’air. Il suffit juste de trouver les bons ingrédients, de les accommoder avec flair, et la sauce prend d’elle-même.

Vous connaissez tous l’histoire du clown triste qui fait son dernier tour de piste. Serge Reggiani l’a si bien chanté…En voici l’illustration.

Je résume. Un scénario basique, un réalisateur inspiré, des acteurs fabuleux.

A+B+C = D

D = Film unique, OVNI improbable, réussite totale. Biffez la (les) mentions redondantes.

 

Difficile de croire que Hesher soit un premier film. Spencer Susser, élevé à la rude école de la vidéo et du docu, se lance direct dans le grand bain et réussit un plongeon qui affiche 10 sur tous les cartons des juges. Un parti pris de mise en scène simple mais génial, des petites trouvailles permanentes qui relancent le récit, une direction d’acteurs lâche, mais la bride à portée de main, un don indéniable pour trouver l’équilibre parfait. Bravo. Coup d’essai, quasi coup de maître.

Sur un script comme je le disais très succinct, Susser nous brosse un tableau empruntant autant à Jackass/South Park qu’au réalisme de John Cassavetes.

Détaillons.

 

T.J, jeune garçon de onze ans, pédale comme un dératé sur sa petite bicyclette pour essayer de rattraper une dépanneuse emportant un vieux Break rouge délabré. Il réussit à atteindre le garage, et s’installe au volant de l’épave, en larmes et en sueur.

T.J vit avec son père, devenu neurasthénique par surdose d’antidépresseurs depuis la mort de sa femme. Il ne quitte jamais son fauteuil/canapé, ne se rase plus, n’a plus goût à rien. C’est « grand-mère » qui s’occupe tant bien que mal de son petit-fils. C’est une vieille femme fatiguée, usée par les épreuves de la vie mais qui continue à s’accrocher à ce semblant de famille.

T.J est constamment harcelé par un petit connard qui travaille au garage, et qui l’humilie avec le sadisme de ceux qui se savent plus forts. Agressé sur un parking, il est tiré d’affaire par Nicole, caissière dans une supérette, attifée comme l’as de pique, qui semble aussi perdue que le reste des protagonistes.

Ca pourrait être un drame familial comme les autres, symptomatique de cette Amérique qui n’a aucune compassion pour ses laissés pour compte, mais ce serait trop simple. Parce qu’aussi instable soit la machine, il y a toujours un grain de sable qui vient s’y glisser.

 

Et cette fois ci, le grain de sable s’appelle Hesher.

 

Hesher est un greaser de troisième catégorie. Look de roadie stoner, tatouages faits main dans la plus grande tradition des fouteurs de merde à la G.G Allin, torse nu la plupart du temps, c’est l’épouvantail Hard-Rock dans toute sa splendeur, qui en surface ne respecte rien ni personne. Un poil pyromane, un (gros) poil squatter, il rencontre T.J dans une vieille maison abandonnée sur laquelle le jeune garçon était venu s’écraser après une poursuite à vélo. Dérangé dans sa relative tranquillité par une voiture de police alertée par le vacarme, Hesher sort de la masure en prince, la tête haute, le torse bombé, tout en prenant soin de balancer un bâton de dynamite à la gueule du flic. Rideau. Ca aurait pu/du s’arrêter là, sauf que quelques temps après, T.J retrouve le parasite confortablement installé chez lui en train de regarder la télé. Le problème, c’est que le poste n’offre que quatre chaînes. Alors Hesher grimpe au poteau, bidouille une liaison illégale, se vautre la gueule dans un concert de jurons, avant de revenir dans le sofa pour bloquer sur un film de boules. Devant l’air hébété de T.J et son père, il se contente d’un laconique « Vous avez plus de chaînes maintenant », avant de se barrer dans le garage.

 

Bien. Dit comme ça, ça part comme Le Clochard de Beverley Hills  mâtiné de Boudu Sauvé des Eaux. Le tout, saupoudré d’un humour gras à la Beavis & Butthead. Mais pas du tout. Enfin, en partie seulement. Voyez ça plutôt comme une hybridation entre un Clerks poussé à l’extrême et un Little Miss Sunshine plus déviant et trash.

Le génie du directeur de casting est d’avoir fait appel à des pointures pour incarner les personnages principaux. Bien sur, deux d’entre eux crèvent l’écran et monopolisent l’attention. Mais ce sont eux qui portent le film, parfois sur leurs frêles épaules.

 

Parlons révélation. Devin Brochu, dans le rôle de T.J est à tomber. Incarnant un pré ado miné par les tragédies secouant sa famille, il est d’une crédibilité rare. Passant avec une facilité déconcertante de la tristesse la plus profonde à la rage la plus extrême, il nous bluffe par son naturel. Cette façon d’abuser du faux constat « Pas vraiment », le regard vide et les pensées lointaines est tout simplement louable d’authenticité. Il ne surjoue jamais, il est toujours juste, et on se prend d’une énorme affection pour lui. Il pourrait être un fils, un petit voisin, un écolier qu’on voit passer au loin et qui enquille les journées mornes comme autant de perles autour d’un collier d’indifférence. Dès le début du film, son interprétation nous prend aux tripes, et ne nous relâche jamais. Ce mélange de larmes et de haine contre son père, contre cet abruti qui se soulage sur lui (la scène dans les toilettes où le rageux le force à bouffer une pastille de chiotte est dure, très dure), contre Hesher qui observe goguenard et sans rien faire sa douleur est d’une tristesse insondable et nous fait souvent perler une larme au coin de l’œil.

 

Parlons confirmation. Nathalie Portman, loin du faste de Black Swan, fringuée comme une nerd et affublée de lunettes pur sécu style est parfaite. Incarnant la pauvre employée type de l’Amérique de banlieue, elle galère pour payer ses factures, et subit la vie plus qu’elle ne la vit. Bien que son look improbable n’arrive jamais à dissimuler sa beauté profonde, elle est aussi décalée qu’émouvante (sa crise de larmes lorsqu’elle découvre la contravention sur sa voiture est terrible), et indispensable dans la peau d’une régulatrice entre T.J et le reste du monde. Tout en continuant de vivre pour elle. Sans arrière pensée. On peut résumer son personnage en une seule réplique, qu’elle déclame difficilement des sanglots dans la voix. « Je crois que si je mourais maintenant, personne ne le remarquerait ». Terrible.

 

La gigantesque Piper Laurie dans le rôle de la grand-mère en bout de course est tout simplement admirable. Vieille femme traînant sa misère et ses désillusions entre la table de la cuisine et sa chambre, tentant de ses dernières forces de cimenter les relations fragiles entre un père et son fils, elle traverse les scènes comme un fantôme déjà passé de l’autre côté. Cherchant désespérément le repos, et un peu de compagnie, elle est transfigurée par une actrice au sommet de son art. Cette scène improbable durant laquelle Hesher lui enseigne l’art de l’utilisation d’une pipe à eau à des fins thérapeutiques est aussi cocasse que poignante. Et comment oublier cette réplique qui décrit à elle seule la façon dont se voit cette pauvre femme… « Je suis quoi moi… », « Une vieille ! » « Je suis une grand-mère… ». Merde, encore chialé…

 

Mais bien sur, le personnage pivot, aussi essentiel que pathétique, c’est bien sur Hesher, habité comme un doppelganger par un Joseph Gordon-Levitt qui décidément ne se trompe jamais dans ses choix (Juste pour rire: 50/50, Inception, (500) Jours avec Toi, The Lookout, Mysterious Skin…Ca calme non ???)…Tour à tour grotesque, intrigant, effrayant, énervant, exaspérant, touchant, Joseph nous livre une performance unique. Au-delà du look/figure imposée, il incarne à merveille le loser congénital, pseudo anarchiste aux tendances pyromaniaques qui passe la moitié de son temps en slip, et qui fume comme un pompier, même dans son bain.

Hesher est improbable. Il surgit de nulle part pour aussitôt disparaître. Il a un don certain pour foutre les gens dans la merde et essayer de les en tirer par des mesures extrêmes. Il est grossier, sale, complètement allumé, mais véritablement perdu. Il n’a plus de famille, pas de toit, et donne l’air de se moquer de tout. Impossible de recenser toutes les scènes qu’il illumine de son nihilisme juvénile. On peut bien sur parler de celle dans laquelle il s’incruste dans la piscine d’une maison à vendre, enflamme le plongeoir, et effectue un joli salto en hurlant les paroles de « Jump In The Fire », hilare. Avant de tout péter bien sur, et de se barrer en laissant Nicole et T.J en plan. Ou le moment ou il rentre dans la chambre d’un T.J triste, sort, rentre à nouveau prétextant avoir un truc à lui dire, et lâche un gros pet bien gras. Sublime.

Joseph Gordon-Levitt est juste parfait dans ce rôle. Malgré une beauté plastique à couper le souffle même avec ses longs cheveux gras, il arrive toujours à trouver le ton juste pour rendre son personnage aussi touchant que répugnant. Et le réalisateur trouve toujours le petit plus pour le rendre encore plus barge. Ainsi, l’utilisation du riff d’intro de « The Shortest Straw » de Metallica lors de chacun de ses mouvements est malicieuse. Car Hesher ne jure que par ce groupe (d’où le lettrage du titre). Avec une pincée de Motorhead quand même…

 

L’écriture de Spencer Susser est impeccable. Sa progression dans la prise de conscience/déchéance est subtile et naturelle. Son utilisation de la musique est très pertinente. Toujours là pour souligner le ton d’une scène, et pas seulement prétexte à une coloration inutile. Que ce soit le solo « Anesthesia » de Cliff Burton, ou le récurrent « Motorbreath » qui résonne comme un leitmotiv, tout est là sciemment et souligne de son rythme la rapidité de la mise en scène.

Qui soit dit en passant est parfois lumineuse. L’enchaînement passé/présent lors du fondu entre la scène de l’accident et le réveil à la casse est fantastique. Les plans d’ensemble montrant un T.J perdu au milieu d’un décor gigantesque sont délicatement explicites. La lumière faible et blafarde de la maison « familiale » situe très rapidement l’ambiance glauque et délétère.

Quant à la scène finale…Citez moi un autre exemple de réal capable de rendre une situation émouvante à chialer comme une madeleine, tout en faisant débiter à son anti-héros une métaphore foireuse à base de couille perdue, destinée à illustrer le proverbial credo du verre à moitié plein ! Impossible ? Exactement. Et pour le coup, j’ai vraiment chialé comme une madeleine.

 

On peut interpréter le personnage de Hesher de bien des façons. Il est peut être une création de l’esprit embrumé de quelques personnages trahis par une vie trop cruelle. Un exutoire. Un Freddy Krueger improbable mi Beatnik mi Punk. Peut être existe-il, peut être pas. Mais on s’en tape. Parce qu’on le voit quand même. Il est en chacun d’entre nous. Il est cette petite voix qui résonne parfois dans notre tête, et qui nous dit malicieusement « Envoie tout bouler, tire-toi de là, casse tout au passage et dis merde à la mort ! ». Il est peut être aussi un ange destroy descendu du ciel pour nous dire de nous accrocher à ce qui nous reste. Même s’il ne nous reste pas grand chose. Même pas l’espoir. Et je finirai en citant cette pauvre grand-mère, un pied dans la tombe mais pas encore sénile, qui avait fait de cette citation sa philosophie personnelle, et qui nous concerne tous.

 

« Vivre c'est comme marcher sous la pluie, soit on se protège et on reste immobile, soit on accepte de se faire mouiller »

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Sickboy Moviez
Publicité
Publicité