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Sickboy Moviez
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30 juin 2013

STOKER

StokerIl vaut mieux parfois se contenter d’un scénario simple, à l’intrigue linéaire, et le transcender, que partir dans les méandres d’une histoire complexe pour finalement se perdre en route pour cause de pilotage automatique. C’est là qu’intervient le génie de la mise en scène. Les exemples ne manquent d’ailleurs pas. Dans des genres différents/opposés, de Garde à Vue à La Nuit des Morts Vivants, en passant par Clerks, Le Projet Blair Witch ou Nous Ne Vieillirons pas Ensemble, bien des réalisateurs ont choisi la sobriété d’une intrigue pour mieux la sublimer, en se concentrant sur le jeu des acteurs ou sur une mise en scène transcendée/novatrice.

 

Et c’est là que le terme « cinéma » prend toute sa dimension. En prenant un postulat simple, et en en exploitant tous les ressorts, le divertissement devient alors source multiple de plaisirs, duquel le spectateur en émoi retirera autant de satisfaction des dialogues, que des décors, des expressions, des non-dits, des angles, des espaces négatifs et de la narration en elle même. On savait Chan-wook Park surprenant, déroutant, troublant ou même agaçant. Old Boy en avait traumatisé plus d’un, Lady Vengeance avait ce trouble érotico-malsain des grandes œuvres d’extrême orient, tout comme son successeur Thirst. Réalisation léchée, oscillant constamment entre le réalisme sombre et cru et l’onirisme ouaté, froideur du ton s’opposant à la crudité du propos et des images, le coréen suit la même ligne de conduite depuis des années, et n’en dévie pas d’un iota, quelle que soit l’histoire qu’il raconte.

Et si la solitude et l’aliénation (mentale, physique) font partie intégrante de son pathos à l’écran, c’est par choix, non par provocation. Et Stoker ne fait pas exception à la règle.

 

Suite à la mort de son père dans un « accident de voiture », India se retrouve seule dans la grande propriété familiale avec sa mère, une femme froide et instable. Mais après les funérailles, se présente Charlie, son oncle, le frère de son défunt père. Aussitôt, India a une drôle d’impression, et se plaît à fuir cet oncle dont elle n’avait jamais soupçonné l’existence.

Charlie parle peu, et dégage un charisme vénéneux qui a tôt fait de séduire Evelyn la mère d’India. Et petit à petit, celui ci va imposer une sorte de ménage à trois déviant, entre l’attirance déclarée à son égard d’Evelyn, et le jeu de séduction/répulsion qu’il entame avec sa fille. La vérité finira par éclater, avec les répercutions inhérentes à tout drame familial qui se respecte.

 

Enoncé de cette façon, Stoker à tout du huis clos glacé et faussement esthétique à la Resnais des débuts ou à la Ozon versant abscons. C’est en partie vrai, mais il est aussi délicieusement organique et amer, comme un cocktail multicolore alternant la douceur et l’amertume prononcée. Car Chan-wook Park, outré son parti-pris esthétique (fort contraste, tonalité vives de vert et rouge, intérieur baroque et jardin luxuriant), à choisi de laisser ses acteurs se brider eux mêmes et transpirer le stupre et la perversion (naïve et presque touchante dans le cas d’Evelyn) par tous les pores. Dans Stoker, nul n’est blanc ou noir, ni même gris. Les trois personnages principaux évoluent dans une dimension constamment bi-tonale, alternant les crises de violence (larvée, physique ou psychologique), et les phases de séduction en mode mineur.

Avec sa distribution impeccable mettant en valeur une Mia Wasikowska bien plus à l’aise que dans l’Alice de Burton, et un Matthew Goode aussi impeccable que ses chemises, Stoker est un modèle de thriller horrifique s’autorisant des giclées gore maculant de sang les longues scènes d’exposition aussi contemplatives que troublantes.

 

Revenons un instant sur les acteurs/personnages. Mia Wasikowska/India nous apparaît aux prémices de la tragédie comme une adolescente fragile, sensiblement perturbée par la vie et la mort de son père. On la découvre sur une branche, ouvrant un paquet cadeau au contenu mystérieux. On apprendra plus tard que ce paquet cache la même paire de chaussures offerte tous les ans pour s’adapter à sa croissance. Mais par qui ?

Au delà de la candeur inhérente à son âge, India cache elle aussi de troubles secrets. On lui découvre une passion pour la chasse et les animaux empaillés, ce qui semble parfaitement correspondre avec son côté ténébreux et sa personnalité complexe. D’ailleurs, Mia Wasikowska se rapproche tout au long du métrage de l’Angela Bettis de May, qui nous empoisonnait de ses démons intérieurs tout se cachant derrière le paravent de la victime de la vie.

 

Victime, Evelyn/Nicole Kidman l’est aussi dans une certaine mesure. Parfaite jusqu’au bout des ongles dans ce rôle de jeune veuve instable qui ne semble pas outre mesure peinée par la mort de son mari, Nicole nous offre le pendant opaque de son rôle de présentatrice aux dents longues de Prête à Tout, versant lust and cold gin. Sans l’amoralité à outrance, s’entend. Le duo amoureux qu’elle croit mener seule avec Charlie l’amènera au bord de la folie, lorsqu’elle comprendra que ce dernier n’en a qu’après sa fille, et ce, depuis des années.

Matthew Goode/Charlie se place en direct héritier de personnages charnels et troubles comme Alain Delon dans La Piscine. Jeune, beau, multi cartes, cet oncle sorti de nulle part vient secouer les fondations d’une famille réduite à la portion congrue, en jouant de sa beauté et de ses manières.

 

Si la photographie superbe offre des contrastes saisissants, c’est bien sur pour se mettre à la hauteur du symbolisme du film. Outre la référence directe à Bram Stoker, multiple elle aussi (la pâleur des personnages, la constante référence au sang, le vampirisme psychologique des deux principaux protagonistes, la virginité supposée d’India…), et à Freud (les rapports entre India et son père, les parties de chasse, Eros/Thanatos, etc…), le film se veut bien sur illustration de la décadence de la haute société qui se repaît jusqu’à plus soif de pouvoir et de violence, tout en rendant hommage à l’illustre Shadow Of a Doubt du maître Alfred, grâce à cette paranoïa ambiante, à cette froideur moite, et à cette tension psycho-sexuelle qui anime quasiment toutes les scènes (celle du duo à quatre mains au piano entre Charlie et India sur une musique de Philip Glass est tout bonnement…Perverse !), sans jamais tomber dans le voyeurisme ou le porno-chic.

 

Et si Chan-wook Park s’éloigne de ses débordements antérieurs, les déviances psychologiques qu’il déroule devant nous sont au moins aussi traumatisantes que celles plus graphiques d’Old Boy ou de Lady Vengeance. On pourrait même faire allusion à l’onirique Eyes Wide Shut du grand Stanley, en version domestique, sur lequel viendrait se greffer Les Liaisons Dangereuses, en version expurgée et recentrée.

Vous pouvez bien sur rester de marbre devant l’étalage de vice que propose le réalisateur Coréen. Vice qu’il se complait à enrober d’une large couche de glaçage verte et rouge pour mieux endormir notre méfiance.

Vous pouvez aussi choisir de ne pas vous laisser séduire par les personnages, froids, distants, qui ne font aucun effort pour que vous vous identifiiez à eux. La distance imposée par Chan est en effet un gouffre assez difficile à franchir, pour peu que ce genre de film basé sur l’ambiguïté des personnalités vous rebute.

 

Il n’en reste pas moins qu’avec ce remake plus ou moins avoué (au scénario signé Wentworth Miller, monsieur Prison Break…), Chan-wook réussit haut la main son passage à la langue anglaise, s’adaptant aux exigences américaines sans rien renier de ce qui fait sa particularité. Avec peut être une modération prononcée sur l’emploi d’expositions sanglantes tout au plus. Au profit d’une vertigineuse descente aux enfers dans le psyché torturé de personnages ambivalents et dangereux, ce qui – au final – vaut bien plus que n’importe qu’elle démonstration de force gore qui puisse exister.

 

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Commentaires
D
Bonsoir, personnellement, je n'ai pas boudé mon plaisir. Le film est intriguant avec une réalisation aérienne. J'ai vraiment apprécié la démarche du réalisateur qui distille l'angoisse à petites doses. Bonne soirée.
Sickboy Moviez
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