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29 juillet 2013

SIMON WERNER A DISPARU

Simon WernerJ’ai souvent la dent dure envers les films français. Entre les thématiques usées (comme le résumerait Palmade, « La solitude d’une femme après son divorce »…), les traitements intello-bobo rive gauche, l’art conceptuel abstrait qui laisse le spectateur pantois, les pantalonnades échevelées à l’humour de troisième zone et les bourrinades produites par Besson pour « faire comme les américains parce que je regrette de ne pas en être un » et qui flattent la banlieue dans le sens du poil, j’en ai assez.

Je regrette les Melville, les Deray, les Clouzot, et même les Rollin tiens…Pour leur amour du cinéma et leur envie de faire autre chose. Et si l’on aborde le cas du film de genre, la sentence est encore plus dure.

Bon, Ok me direz vous, j’y vais fort. Mais pour un Laugier qui accouche dans la douleur d’un Martyrs et d’un The Tall Man, pour un Aja qui nous électrise avec Haute Tension avant de s’affaler dans des remakes de plus en plus moyens, pour un Noé qui continue d’expérimenter avec un Enter The Void qui en a décontenancé plus d’un (mais qui reste un bijou de cinéma lysergique), combien de plantades majeures, de séries B à peine visibles, et « d’intellectualisation du propos » hors sujet qui nous rappellent aux grandes heures des années 70, lorsque le manque de moyens accentuait l’opacité d’œuvres parfois à peine compréhensibles ?

 

Beaucoup, je vous l’accorde, trop même. Alors, lorsque je tombe sur une petite perle qui ose, qui réussit là ou tant d’autres se sont lamentablement plantés, j’approuve, je célèbre, et je loue sur papier.

Les pellicules françaises mêlant Thriller et menace urbaine ne sont pas légions. Celles qui traitent de disparitions de jeunes ados encore moins. Nous avons eu droit en leur temps à un Promenons nous dans les Bois poussif à mourir, ou encore au Village des Ombres il y a trois ans qui ne méritait pas plus d’attention.

Certes, Simon Werner à Disparu est différent. Il n’a pas ce côté sombrement horrifique, la quasi totalité de l’action se déroulant en plein jour. Il est pourtant emprunt d’une claustrophobie qui le confine à l’étouffement, sans effet choc, sans effet de manche, avec juste en exergue une mise en scène construite en gigogne et un jeu d’acteur très juste.

 

1992, aux environs de Paris. Une fête de lycéens bien arrosée se termine en drame. Deux jeunes partent marcher dans les bois et tombent sur un cadavre. Une main posée sur les feuilles, un cri, puis, ellipse. Retour en arrière, quelques jours plus tôt. Lors de l’appel de classe matinal, le professeur se rend compte que Simon Werner ne répond pas à l’appel. C’est le début d’une boucle temporelle narrative qui va nous présenter le point de vue de tous les protagonistes directs de l’affaire.

D’abord Jérémie. Plutôt beau gosse, clean, fait du foot, traîne avec sa bande de potes. Il se blesse durant un entraînement et doit se déplacer sur des béquilles. Jérémie est un élève tranquille et sérieux, qui semble attiré par la belle Alice, qu’il invite à cette fameuse fête d’anniversaire qui déclenchera tout.

Alice justement. Blonde, superbe, elle focalise tous les regards, mais son amour se porte sur le fameux Simon, « Un mec trop stylé ». Issue d’une famille aisée, Alice s’interroge sur la disparition de son ami, et mène son enquête, sans toutefois rester insensible au charme de Jérémie.

Jean-Baptiste. Fils de prof, introverti, souvent raillé par ses camarades du lycée, il mène une vie solitaire, s’invente des amis pour rassurer son père, lui même sujet aux quolibets les plus écoeurants. Il finit par se lier d’amitié presque par accident avec Laetitia, jeune rebelle extravertie qui semble être son parfait contraire. Par une série de quiproquos/coïncidences troublantes, Jean-Baptiste passe pour un mec louche, un peu pervers, et surtout abandonné par l’amitié et l’amour.

Et puis Simon, le beau disparu, qui vient conclure de son histoire sa propre histoire, sorte de mise en abîme ultime. Et qui livrera les clefs qui ouvriront la porte de la vérité. Qui sera tout, sauf celle que l’on croyait.

 

Simon Werner à Disparu est enfin un film sur les adolescents qui ne les prend pas pour des attardés. Certes, l’action se passant en 1992 permet d’éviter les clichés wesh gros!, les abus de textos, les chat intempestifs et autres langages multimédia inhérents aux production post 2000. Mais la ruse de la mise en scène en fait un gigantesque château de cartes qui menace de s’écrouler à chaque instant, et ainsi, de ruiner la vie de ses protagonistes.

C’est un film sur la jeunesse, son insouciance, mais aussi son mal être, ses trahisons, ses catégorisations, ses railleries. Loin des poncifs, Fabrice Gobert brosse un portrait fidèle de la génération X, sans pour autant en faire des blasés de la vie. Il décrit à merveille le microcosme lycéen, sans en rajouter, aborde la drogue, l’alcool, le sexe sans trop en faire, ne tombe jamais dans le racoleur ni le voyeurisme.

Ses personnages sont crédibles, attachants pour certains, n’incarnent jamais des clichés vivants (le sportif est raisonnable et intelligent, la jolie fille n’est pas une pouf froide et cynique, les potes ne sont pas là que pour meubler le quotidien et ont un rôle à part entière, les profs ne sont pas de vieux cons réac ni de jeunes diplômés trop cool), et font vivre l’ensemble d’une fort belle manière d’autant plus qu’ils sont incarnés avec justesse par une bande d’acteurs en devenir très performants.

 

Au premier plan, Jérémie, incarné par Jules Pelissier (Bus Palladium), et Jean Baptiste, habité par Arthur Mazet (Clem, Sea, No Sex and Sun), héros et anti-héros par excellence. Le premier est un ado normal, populaire, beau, sportif, mais qui n’en fait pas des caisses et se contente de vivre sa vie en attendant le bac, traînant avec ses potes, jouant au foot et organisant des fêtes. Le second est le fils de Rabier, le prof de Physiques, que tout le monde trouve étrange. Il vit en reclus, habite sur place dans un logement de fonction, regarde par la fenêtre, et va parfois dormir au foyer du lycée pour faire croire à son père qu’il a des copains. Tout les oppose, et pourtant, la disparition de Simon Werner va les rapprocher. Ils vont tous les deux fréquenter Laetitia, la délurée multicolore, et tous les deux se trouver sur le chemin de la vérité, sans pour autant la voir. Avant qu’il ne soit trop tard et que leur vie ne change, en bien pour l’un d’entre eux.

 

Si Ana Girardot illumine certaines scènes de sa beauté diaphane, c’est pourtant Audrey Bastien (qui incarne sa meilleure amie Clara) qui lui vole la vedette. Superbe, discrète, celle ci fera plus que de se tenir à ses côtés et jouera un rôle prépondérant dans la disparition de Simon. Vous découvrirez comment.

 

A noter l’excellente performance de Serge Riaboukine en prof sujet aux quolibets/père inquiet et protecteur, qui souligne de sa présence d’adulte trouble l’attitude parfois cruelle d’élèves en mal de ragots, et avec un trop plein de rancœur. Sobre, presque ascétique, il est parfait, et bien loin des images d’Épinal des enseignants des années 90, un pied encore dans les méthodes des années 80, ou au contraire se voulant trop « modernes ».

Il colle en tout cas à merveille à ce film qui se veut proche d’un cinéma vérité, et qui l’est presque dans sa construction journalistique. Simon Werner de par sa chronologie personnelle et non temporelle, évoque autant Altman que le meilleur Lelouch, se joue des codes, et devient incroyablement prenant au final. Si celui ci est d’ailleurs abrupt et assez convenu, il offre au film une conclusion nette et sans bavure, et ne tombe pas dans le pathos mielleux ou le conceptuel décalé souvent justifié par un manque de rigueur et de clarté.

 

Simon Werner prouve qu’avec une histoire simple et bien racontée, on peut dresser un tableau réaliste de la jeunesse des années 90, sans verser dans la pochade ou l’interprétation dialectique rébarbative. Il n’est en aucun cas une œuvre sociologique, ni une étude analytique, mais juste un film sur des adolescents comme les autres dont la ligne de vie se trouve soudain interrompue par un événement imprévu, qu’ils gèrent chacun à leur façon. Avec en sus une bande son phénoménale signée SONIC YOUTH, c’est une œuvre mineure qui laissera son emprunte dans votre inconscient des heures après son visionnage, et pose de façon explicite le problème d’une version des faits.

 

Car il y a toujours trois facettes à une histoire.

 

La mienne, la tienne et la vérité.

 

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