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5 février 2014

DALLAS BUYERS CLUB

149687Une fois de plus, je tiens à préciser que le Biopic est un art difficile qui peut facilement verser dans l’hagiographie éhontée autant que dans la dénonciation calomnieuse. Il suffit pour ça de ne cautionner qu’un aspect de l’histoire d’une personnalité, en occultant les versions contraires au scénario. En témoigne l’œuvre récente de Vincent Garenq, Présumé Coupable, qui présentait Alain Marecaux, accusé puis innocenté dans l’affaire d’Outreau comme une victime en bonne et due forme, en dépit de ses aveux « offline » et de nombreux témoignages en sa défaveur. Même constat pour Le Pull Over Rouge, et d’autres que je ne citerai pas ici. Souvent, les réalisateurs choisissent l’option « sécurité tranquille », et ne s’attaquent qu’à des figures centrales de l’histoire, s’aidant pour cela d’une documentation pléthorique qui leur permet de minimiser les erreurs et les approximations possibles. Mais il arrive que certains préfèrent se focaliser sur des quasi anonymes, pour les mettre en lumière, les citer en exemple, ou bien révéler leur existence au grand public, au regard du rôle qu’ils ont joué à un moment donné, voire toute leur vie.

 

C’est le cas de Jean-Marc Vallée, qui après le carton critique et public du superbe C.R.A.Z.Y, et le déjà historique Victoria - Les jeunes années d'une reine, s’attaque à la retranscription de la fin de l’existence de Ron Woodroof, activiste un peu roublard des années SIDA de la fin des 80’s aux USA. En optant pour ce trait, Jean-Marc s’attaque à un gros morceau, tant cette période de l’histoire des Etats-Unis est trouble, et peu reluisante.

 

En pleines années Reagan, un nouveau virus d’origine inconnu frappe de plein fouet la population gay – c’est du moins ce qu’on croit au début de l’affaire – et décime des milliers de personnes en peu de temps, laissant terrassés les différents organismes de recherche et de lutte infectieuses du monde entier. Très localisé au départ – Californie principalement – ce fléau finit par toucher toutes les strates de la population, femmes, enfants, hommes, gays, hétéros, toxicomanes, au point de friser le taux de mortalité absolu. Le vice de ce virus, est de ne tuer personne techniquement. Il affaiblit les défenses immunitaires au quasi point O (les fameuses cellules T), ce qui entraîne une déficience totale du système immunitaire, qui ne remplit plus sa fonction de « garde » et laisse les malades succomber de pneumonies, pneumocystoses, grippes, cancers bénins et autres affections non létales. Même avec les recherches acharnées et conjointes du CDC et des professeurs Gallo et Montagnier, personne ne semble rien pouvoir faire pour stopper l’hécatombe, qui se déroule sous le regard complètement désintéressé du président Reagan, qui n’en parle même pas dans ses discours, et celui biaisé de la majorité de la population qui ne semble avoir cure d’une « maladie de pédés et de toxicos ».

 

Mais si Ron Woodroof, le « héros » de Dallas Buyers Club consomme de la cocaïne en masse, il se contente de la sniffer, sans se l’injecter. Et il est tout sauf homo, catégorie sexuelle qu’il méprise et violente à l’envi. Et lorsque après un accident de travail, son médecin lui annonce qu’il est séropositif, il refuse d’y croire. Lui, choper une « infection de pédale » ? Impossible. Ron est un homme, un vrai, qui bosse sur des chantiers, qui fait du rodéo, et qui baise tout ce qui veut bien écarter les cuisses pour lui. Et elles sont nombreuses à faire la queue... Mais il lui faut bien faire face à la réalité. Il est malade, infecté, et on lui laisse généreusement trente jours à vivre. Alors il va se battre, tant ce délai lui semble ridicule. Il va chercher les traitements, se heurter au refus des instances hospitalières de les lui prescrire, monter des combines avec le personnel de l’hôpital pour avoir de l’AZT en douce, puis partir au Mexique rencontrer un médecin déchu qui va l’initier à des traitements alternatifs non validés par la FDA (Food and Drugs Administration). Médicaments qu’il va ramener illégalement aux USA, et vendre aux malades, moyennant 400 dollars par mois.

Et il va survivre. Avec l’aide d’Eve, médecin un peu plus empathique que ses confrères. Et de Rayon, travesti accro qui va l’épauler dans son entreprise. Il va se battre contre la justice, l’état et le temps pour prouver à quel point l’industrie pharmaceutique est aux commandes des institutions médicales US, et laisse crever de pauvres gens au nom de la rentabilité.

 

Dallas Buyers Club est un pamphlet, un brûlot, un véritable survival dans le sens le plus littéral du terme. Il est viscéral, urgent, et remue les tripes, car outre son fond véridique, il ne déguise rien, montre la maladie, les laissés pour compte, les nouveaux parias d’une société US en pleine expansion qui n’a cure de ses blessés. On y baise entre malades, on dégueule ses tripes, on insulte, on trafique, en gros, on survit comme on peut, en luttant contre plusieurs ennemis à la fois, sans jamais baisser les bras. Si And The Band Played On tablait sur le récit linéaire et scientifique, si Philadelphia tombait dans le pathos gauche et larmoyant, Dallas Buyers Club fonce, mélange drame et comédie, humanité et monstruosité, antipathie et empathie. Le tout grâce à une mise en scène sobre et classique, des dialogues crus et émouvants, et une interprétation énorme, livrée par tous les acteurs qui y trouvent là le rôle de leur vie.

 

En première ligne, Matthew McConaughey, a cent lieues de son image people de surfeur Californien aux abdos d’acier. Avec une perte de plus de vingt kilos, il endosse le costume de ce redneck qu’on aimerait bien détester, mais qu’on finit par prendre en amitié tant son histoire est touchante et troublante. Il habite avec toute son âme l’esprit et le corps de ce gros blaireau pétri de certitudes sur la vie et la virilité, qui finit par admettre ses faiblesses pour mieux les combattre. Si son rôle dans Mud l’avait déjà montré sous un jour différent, son incarnation dans ce film le transforme en bête à Oscar, statuette qu’il mérite d’ailleurs amplement, et pas seulement pour sa transformation physique. Car Matthew EST Ron. Il est comme lui, raciste, homophone, misogyne, serial fucker, il baise, boit, fait du rodéo, jure, vitupère, frappe, cogne, mais jamais ne renonce. McConaughey a tout travaillé. Le regard, la démarche faussement chaloupée, l’accent à couper au couteau, la gestuelle hasardeuse et fragile, le verbe et le mot. C’est la meilleure incarnation extrême disons depuis…Gary Oldman et son Sid Vicious de légende. Il nous fait rire, pleurer, nous agace au plus haut point, et on finit par l’aimer, tout simplement, pour son courage et son abnégation…

 

En sidekick déjanté, Jared Leto est tout simplement merveilleux. A la frontière du ridicule et du pathétique, il se joue du personnage de Rayon, travesti charmant et toxicomane acharné, qu’il porte à des hauteurs d’émotion incroyables. On savait le beau Jared apte à jouer à la lisière des genres, il le prouve ici de façon époustouflante, sans jamais en rajouter. Il s’offre même la beauté d’une scène dramatique si intense que les larmes vous montent instantanément aux yeux, lorsqu’il affronte son père et lâche une phrase cruelle qui vous stoppe le cœur en un souffle déchiré.

 

La trop rare Jennifer Garner est quant à elle parfaite dans la blouse d’une doctoresse qui lutte contre le système lorsqu’elle se rend compte de l’état d’avancement de sa corruption. En retrait mais essentielle, à des années lumières de ses rôles légers habituels, elle apporte une touche de charme féminin indispensable à ce film d’ « hommes ».

 

La force de Jean-Marc Vallée, est d’avoir laissé à ses acteurs une latitude de champ suffisante pour exprimer les différentes facettes de la personnalité de leurs personnages, très complexes et complémentaires. Si Dallas Buyers Club échappe au côté toujours un peu contemplatif des biopic, c’est bien sur dû au choix de son thème, mais aussi d’une mise en scène particulièrement futée, qui alterne les séquences et oppose intérieur/extérieur en un formidable ballet de nuances comportementales. Le fait que notre anti-héros doit chercher les remèdes à l’extérieur, pour les ramener à l’intérieur offre une double juxtaposition, celle de la cellule comme cause du mal, mais aussi comme cloison curative. Puisque le remède ne vient pas guérir lui même le mal, Ron va le chercher, pour le ramener au motel, et l’adapte, puisque la voie normale n’est d’aucune utilité, voire dangereuse. Et du coup, Woodroof se pose lui même en agent curatif, ce qui lui permet de s’extirper de son statut de victime/malade/patient en jouant un rôle actif. Et même si l’argent est un des moteurs de sa motivation (il n’est que très rarement présenté autrement que comme escroc à la petite semaine, mis à part lors de la scène finale), on ne peut s’empêcher de croire que derrière son organisation se cache un des plus formidable échafaudage subversif et anarchiste que l’Amérique ait connu.

 

Jouant aussi sur l’opposition entre les segments d’une cruauté et d’une violence verbale et physique indéniable et les passages plus apaisés, pas forcément synonymes de plénitude d’ailleurs, Vallée décale notre perception, nous place en déséquilibre, car il veut que son film dérange, perturbe. De part le malaise visuel imposé bien sur, mais aussi parce que ce que vit le héros ne doit pas simplement être pris en compte. Il doit être ressenti, respiré, humé, pour nous laisser lessivés, perturbés, effondrés. Ce qui est le cas.

 

Si Dallas Buyers Club fonctionne aussi bien – outre le talent intrinsèque de ses interprètes bien sur – c’est parce qu’il montre la réalité sans fard, mais sans non plus la plomber. Pour ceux qui connaissent l’histoire du virus du SIDA (son apparition, son identification, les diverses étapes des progrès de la recherche, le rôle de l’industrie pharmaceutique et des instances médicales dans la mort de milliers de personnes, etc…), il est le reflet fidèle d’une tranche d’histoire noire, je dirais même le contre reflet de l’Amérique yuppie de Reagan, génération consommatrice et affligeante de certitudes qui n’a accepté de faire face qu’au dernier moment, lorsqu’elle a réalisé que ce fléau touchait tout le monde, et pas seulement la communauté gay et les drogués.

Dallas Buyers Club est un coup de poing dans la gueule, à l’image de ceux que distribue régulièrement son héros, sur la tronche de ces « sales pédales » au début, puis sur celle de ses anciens « amis », et de l’administration lorsqu’il finit par choisir son camp.

 

C’est l’histoire d’un homme a qui on donnait un mois, mais qui voulait plus. Qui a vécu la maladie comme il a vécu la première partie de sa vie, en se battant. Qui a prouvé que l’on pouvait défier, et finalement ridiculiser des institutions qui se croyaient – et se croient toujours – au dessus des lois, au dessus des hommes. C’est une leçon en fin de compte.

 

Une leçon de vie, et de mort.

 

 

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