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18 février 2014

SHORT TERM 12

936full-short-term-12-posterCoup d’essai (ou presque), et coup de maître pour Destin Cretton, après le décalé et inégal I Am Not a Hipster. Après avoir développé sur format court sa thématique du foyer pour adolescents en difficulté (en 2008), il se décide enfin à l’adapter sur 90 minutes, et force est d’admettre qu’il a eu raison. Short Term 12, loin de perdre de sa force, gagne en concision, en impact, et flanque une claque magistrale à tous les films déjà tournés sur le sujet. Si le problème majeur de ce genre de thématique est de tomber soit dans le pathos dramatique à outrance (la plupart du temps), soit dans le démonstratif/académique/documentaire (le reste du temps), ici, tout est à sa place, justement dosé, et nous fait sourire (souvent), rire (régulièrement), nous prend à la gorge (souvent), et nous fait pleurer (parfois, mais vraiment) en laissant le champ libre à des acteurs fabuleux qui se contentent de suivre un script simple mais efficace.

 

Short Term 12, c’est l’histoire de Grace bien sur (le titre français est en effet pour une fois assez malin, puisque les distributeurs ont choisi de l’appeler States of Grace), éducatrice d’une vingtaine d’années dans l’unité 12 d’un foyer pour mineurs en difficulté. Un travail souvent difficile, mais très gratifiant et enrichissant, qui devient petit à petit une épreuve pour la jeune femme au fur et à mesure que sa vie personnelle change. Grace va devoir faire des choix, en prenant en compte son passé (lourd), son présent, et son avenir potentiel. Pourra elle assumer ses choix et continuer de travailler comme elle l’a fait jusqu’à lors ? Devra elle faire des sacrifices énormes en tant que femme et mettre de côté sa vie privée au profit de sa vie professionnelle, ou l’inverse ? Les questions s’accumulent, et Grace a de plus en plus de mal à en supporter la pression, devant au jour le jour faire face aux comportements parfois erratiques, violents ou désespérés des jeunes qu’elle tente d’aider, au détriment de ses propres besoins et de ceux de son compagnon, qui travaille à ses côtés. Elle va de plus devoir affronter une lourde identification à l’une de ses jeunes protégées, dont l’histoire ressemble étroitement à la sienne. Jusqu’au jour où un élément déclencheur va la déstabiliser profondément, mettre en péril sa lucidité et la confronter à une Némésis qu’elle semble incapable d’affronter. Que va t’il ressortir de tout ça ? Comment les jeunes vont il réagir face à son comportement ? C’est là tout le propos du film…

 

Short Term 12 fait donc partie de ces chroniques sociales dures, basées sur des faits et non fictionnels dans la trame, et qui choisissent de ne rien occulter pour que le public puisse comprendre réellement le fond d’un problème de plus en plus préoccupant. Quel avenir pour des jeunes en situation familiale conflictuelle, dangereuse, défavorisée ou bien quasiment inexistante ?  En cette période de crise mondiale aiguë, le propos est de circonstance, et à le mérite d’être traité en profondeur, sans se contenter de clichés la plupart du temps faussés par une vision d’artiste peu au fait des réalités de terrain. Ici, tout sonne vrai, des situations énoncées à la manière de les traiter, toute en sobriété visuelle et âpreté verbale. Car en dépit de quelques scènes pour le moins violentes, seul le verbe choque et frappe, car il est livré tel quel, comme si nous étions plongés dans la vie d’un véritable foyer. La réalité de ces jeunes est souvent faite de mots. De mots prononcés, ou de non-dits, de silences lourds de sens, ou de cris de souffrance hurlés à s’en brûler la gorge, de mots couchés sur le papier, dans l’intimité de l’âme, ou de slogans taggués à même les murs. Et même parfois, gravés dans le sang.

 

Dans le rôle de Grace, une actrice charismatique, étonnante de maîtrise et de justesse, Brie Larson, déjà remarquée dans le bon The Spectacular Now en 2013 aussi. Brie, c’est un peu l’éducatrice rêvée, qui s’implique sans s’immiscer, qui écoute sans interrompre, toujours présente, faisant la plupart du temps les bons choix, et assumant ses erreurs. La force de Brie Larson est d’avoir donné son corps et son âme à son personnage, sans aucune retenue que celle justifiée par la nature de la femme qu’elle incarne. Jamais maquillée, attifée comme l’as de pique, l’ironie en porte étendard d’une lucidité sur la vie indéniable, Brie/Grace est pourtant belle, très belle, dans son apparence comme dans son moi intérieur. Et ça, Mason (John Gallagher Jr) s’en est très vite rendu compte.

 

Fou amoureux d’elle, Mason sait se taire lorsque aucun mot ne doit être prononcé, réconforter quand le vague à l’âme se brise sur les récifs de la peur, plaisanter lorsque l’atmosphère est trop tendue, et tout simplement être là. Délicatement incarné par John Gallagher Jr, parfait en éducateur/compagnon solide mais parfois perdu, c’est un personnage pivot, qui complète par sa propre fragilité celle de l’héroïne. Gallagher oscille constamment entre le second degré salvateur et la profondeur dramatique, reste toujours dans la même tonalité de jeu, pour apporter cette stabilité nécessaire à la complémentarité du jeu tout en montagnes russes de Brie. Il nous fait rire, nous émeut, et joue plus ou moins l’émollient huilant les rouages de la machine.

 

Impossible de ne pas parler du jeu des jeunes incarnant les adolescents. Toujours très justes, bien loin de la caricature (le black, le gay, le révolté, la rebelle, j’en passe et des plus éculés), ils donnent corps à leurs personnages en solo ou en corps à corps avec la souffrance et l’aide apportée tant bien que mal par le personnel du foyer. Une mention spéciale convient d’être apportée à Keith Stanfield dans le rôle de Marcus, à la formidable Kaitlyn Dever dans la peau pourtant lacérée de Jayden, à Alex Calloway très juste dans le cocon pourtant étouffant de Sammy, et à Kevin Hernandez dans le costume réversible de Luis. Si Keith et Kaitlyn héritent des deux personnages les plus étoffés, il s’en tirent à merveille tant ils subliment des passages pourtant difficiles pour un jeune acteur, tant l’interprétation requiert une précision diabolique, et une identification certainement douloureuse. Keith Stanfield s’offre une scène en binôme avec John Gallagher Jr, absolument magnifique, durant laquelle sa douleur trouve forme dans les rimes d’un rap touchant, dont les vers se font l‘écho de son sentiment d’échec, dans son envie de revanche et de défiance envers une mère qui n’a jamais levé le petit doigt pour lui…Emotion garantie, tissée telle une rythmique du cœur sur laquelle viennent se poser les maux d’une vie trop souvent passée à souffrir.

Quant à Kaitlyn, qui passe une bonne partie du métrage comme prisonnière d’une ironie de distanciation protectrice, elle se révèle l’âme à nue, et raconte une histoire pour enfant à Grace qui en dit long sur les profondes cicatrices qui strient son passé et son présent. Sa voix muant d’une tonalité assurée aux intonations d’une petite fille apeurée d’avoir à grandir trop vite vous compresse la poitrine, pour peu que vous soyez sensible à ce genre de cri du cœur déguisé…

 

Le film en lui-même, aux tonalités pastels, refuse le parti-pris de la noirceur que son propos aurait pu imposer. Doté d’une photographie légère aux filtres parfois proches d’un Virgin Suicides, d’une musique indie de circonstance, il met de côté le glauque, ne fonce pas plus qu’il ne faut les séquences les plus sombres. Destin nous livre son message brut, dans une austérité de mise en scène loin d’être ascétique, qui se contente de poser le cadre de narration sans en rajouter, de ne filmer que les plans nécessaires, et de laisser son montage se rythmer aux impulsions des personnages qu’il filme.

Il laisse une lumière apaisante apporter la touche d’espoir qui au final est la raison d’être de son existence. Car Short Term 12 est un constat de réussite, un message positif adressé à tous ceux que la vie égratigne trop lourdement, mais aussi à ceux qui les aident à s’en sortir.

C’est aussi un témoignage fidèle et honnête de la vie dans ces foyers de « réinsertion », qui font si peur aux gens bien nés. La simple forme du métrage en est la démonstration concrète, et le choix de l’anadiplose n’est pas anodin…Si le film débute et termine sur la même figure de style, c’est pour mieux souligner que ce travail d’aide est un combat quotidien, ou les efforts sont constants, l’attention permanente, et les progrès accomplis jamais acquis et la confiance à regagner, jour après jour, pour tenter de comprendre et d’apprivoiser ces jeunes oiseaux blessés. Un peu comme un sample de rap qui tourne en boucle, et qui finit par prendre tout son sens une fois la cadence en place, et les arrangements posés.

 

Avec Short Term 12, Destin Cretton valide l’abnégation de bon nombre de travailleurs sociaux, parfois eux mêmes ex-victimes qui font l’impasse sur leurs propres malheurs pour tenter d’effacer ceux des autres, au détriment parfois de leur équilibre. C’est une œuvre forte, pleine de sens, qui divertit en provocant la réflexion, qui touche sans vous faire sentir coupable. Si comme moi, vous avez toujours travaillé avec des jeunes, si vous avez su entendre leurs appels pourtant susurrés, si vous avez su voir leur tristesse à travers leur sourire de façade, alors ce film sera le reflet d’une partie de votre vie. Sinon, vous comprendrez que parfois, l’ironie n’est qu’un moyen de défense comme un autre. Que le rire empêche les larmes de couler. Que l’auto-destruction reste le seul palliatif au manque de compréhension/d’expression. Et que les cachets, aussi multicolores soient-ils, ne guérissent pas tout.

 

All you need is love disait John Lennon.

 

Il avait peut être raison.

 

 

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