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Sickboy Moviez
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16 mars 2012

THIS MUST BE THE PLACE

this-must-be-the-placeThis Must Be The Place est symptomatique de cette vague de ciné indépendant qui refuse les conventions et les grosses ficelles des blockbusters Hollywoodiens sans pour autant tomber dans l’art et l’essai ou l’abscons pour masturbateurs de scénarii improbables.

Rapprochons le je vous prie d’œuvres à part, comme American Beauty, Away We Go, ou même Broken Flowers, pour son côté Road Movie initiatique et atypique. Plus qu’une fuite en avant, c’est un bilan sur une vie presque gâchée, mais qui finit par prendre tout son sens lorsque la mémoire se fond dans le réalisme cru du présent.

Cheyenne, ex Rock Star créneau gothique pour ados en plein spleen, laisse couler les jours dans son somptueux manoir. Avec pour seules compagnes sa femme, adepte du zen et de la théorie du « rien n’est grave mais ça n’arrive quand même pas par hasard », et une jeune fille maquillée comme un cercueil volé avec qui il vient boire du café dans un centre commercial, il est à la masse, caricature de lui-même, et traîne son ennui de sa piscine vide jusqu’à sa chambre. Il apprend un beau jour que son père est mort, père qu’il n’a pratiquement pas connu, ayant réchappé à l’horreur des camps et passé toute sa vie à traquer un de ses anciens bourreaux.

Un déclic se produit alors dans sa tête toute chamboulée et décoiffée, et il décide de mener sa propre enquête, qui va le faire traverser bien des Etats (dans les deux sens du terme…), aidé en cela par un traqueur d’ex-criminels nazis un peu allumé. Il va, au gré des rencontres, nouer de nouvelles amitiés, et prendre toute la mesure de la vacuité de sa propre existence en la comparant à bon nombre de laissés pour compte. Et ainsi, dévoiler des blessures internes ayant laissé des traces beaucoup plus profondes que son apparente nonchalance ne veut bien le montrer.

Ne le cachons pas, This Must Be The Place est un petit bijou. Même si son rythme très lent le rapproche d’un Lost In Translation (le thème est aussi similaire quoique traité différemment), il laisse une latitude énorme aux acteurs qui peuvent ainsi développer leurs personnages pour leur apporter une crédibilité improbable. Au premier plan bien sûr, un Sean Penn incroyable, qui ajoute une couleur de plus à sa palette dans la peau d’un musicien en pleine déchéance physique et morale. Bien sûr, son personnage à la démarche d’un vieillard doit beaucoup à Ozzy Osbourne (et à Robert Smith pour le look…), et rappelle souvent l’attitude de notre croqueur de chauve-souris préféré – surtout l’époque du reality show horrible dont il nous avait gratifiés – mais il est irrésistible dans sa façon de balancer à la cantonade ce sempiternel postulat « Il se passe quelque chose de bizarre ici… ». Sa relation avec tous les autres personnages qui constituent ou non son cercle proche est aussi unique, et si son ton est la plupart du temps trainant, son regard éteint, et ses réflexions sur la vie assez étranges, il finit par apparaitre comme un des rares êtres sensé du film, celui en tout cas qui va réussir à cicatriser définitivement, en ayant choisi l’option de la vie.

La mise en scène intelligente et décalée est aussi responsable de la bonne réussite du film. Multipliant les plans larges isolant les personnages au centre ou en complet décalage d’un décor immense, Paolo Sorrentino choisit ainsi de les disposer en marge, mais aussi de suggérer intelligemment l’immensité d’une nation qui n’a de cesse de tomber dans sa propre mise en abime, victime d’un gigantisme forcené qui ne lui apporte plus rien, si ce n’est cette sensation de vacuité désagréable et de plus en plus concrète. Ses plans fixes et silencieux sur des personnages annexes ou principaux suggèrent admirablement tous les non-dits qui flottent dans l’air, tout cet espace vide entre les souvenirs, et nous ramène à la glorieuse époque du ciné indépendant US qui n’avait de cesse de dénoncer la distanciation humaine causée par un libéralisme sauvage n’ayant de cesse d’isoler ses concitoyens dans un mutisme forcé, imposé par un consumérisme sans limite.

Savourez aussi les dialogues. Enoncés le plus souvent d’une voix monocorde, ils placent la barre de la communication à un niveau unilatéral, et sont irrésistibles de drôlerie et de justesse. Tenant plus d’aphorismes incessants sur la vie et ses vicissitudes que de réels échanges verbaux, ils donnent au film une dimension particulière, le transformant en de nombreux passages en réflexion ultime sur l’existence et son inéluctable logique illogique. Le segment le plus pertinent est sans doute cette rencontre entre Cheyenne et Robert Plath dans un restaurant de l’Utah. Lorsque ce dernier explique au « héros » qu’il est l’inventeur de la valise à roulettes, il place – en le sachant parfaitement – une extraordinaire métaphore sur la vie en elle-même, et laisse un Sean Penn pantois, dont la transformation est quasiment achevée.

Elle se terminera avec une rencontre, qui donnera lieu à une scène terriblement émouvante et dure. Acide et sucrée à la fois. La rédemption à travers le sacrifice.

This Must Be The Place est aussi introspectif que cathartique et interrogatif. Il laisse un bon nombre de questions en suspens (qui est vraiment Cheyenne par rapport à Mary et sa mère par exemple ?), et nous offre la possibilité de nous bâtir notre propre vérité. Après tout, peu importent les incohérences scénaristiques, peu importe le caractère improbable de certaines séquences, nous sommes tous concernés par cette histoire qui n’est rien d’autre qu’une mise en images du parcours interne de bon nombre d’entre nous. Qui sommes-nous, où allons-nous, pourquoi, comment, et est-ce vraiment la seule solution ? Pouvons-nous vivre avec le poids de nos erreurs ?

Son caractère doux amer vous soutirera bien des sourires et des fou-rires, mais saura aussi vous faire monter les larmes aux yeux, pour peu que vous aussi vous ayez quelques regrets qui vous hantent jour après jour. Et comme le dit si bien Cheyenne, dans un de ses moments de lucidité aussi réaliste que fataliste :

« Quand on a vingt ans on se dit : ma vie, ça sera ça. Quand on en a cinquante on se dit : C’est la vie. »

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