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Sickboy Moviez
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1 mars 2012

PERFECT SENSE

perfect_sense_ver4Les films « de virus » sont généralement des expériences à haut risque. Plusieurs options se présentent, dès le départ. Le choix « zombie/mutant/gore », qui peut vite tomber dans la gaudriole ou au contraire nous offrir des perles (28 Jours/Semaines plus tard, Infectés, Doomsday, la trilogie de Romero, etc…), la voie scientifique (Contagion, Virus), souvent stérile et impersonnelle, ou bien le choix plus abscons de la métaphore/parabole, qui aboutit soit à une fumisterie complète et éhontée, ou bien à de petits bijoux, noirs, romantiques, surannés, dont les meilleurs exemples restent le poétique It’s All about Love, avec Joaquin Phoenix, ou l’ambivalent Blindness avec Julianne Moore.

Il convient de rajouter à cette liste non exhaustive une nouvelle réussite venue d’outre manche, l’atmosphérique et touchant Perfect Sense.

 

Dans un monde qu’on se plaît à croire contemporain, Susan (Eva Green) est une jeune épidémiologiste déçue en amour. Elle navigue entre son travail, qui la captive, et les rencontres furtives, épaulée dans son parcours par sa meilleure amie Jenny (Connie Nielsen, méconnaissable).

Michael (Ewan McGregor) est un jeune playboy cynique, incapable de se stabiliser, et dont l’excuse type après une nuit d’amour est l’invocation d’une impossibilité de dormir avec quelqu’un dans son lit. Michael est un chef renommé, absorbé par son travail, qui ne semble avoir d’amitié qu’avec son collègue James (Ewen Bremner, toujours aussi barge), et le gérant du restaurant pour lequel il bosse.

En toile de fond, un curieux virus. Un beau matin, Susan, interpellée par Samuel (Stephen Dillane), se rend à l’hôpital pour tenter de diagnostiquer le mal dont est atteint un chauffeur routier. Celui ci, après une crise de tristesse et de mal être profond, à perdu tout sens olfactif. Pathologie pour le moins étrange, dont sont au final atteints quelques centaines de personnes en Angleterre, mais aussi dans le monde entier.

Susan a bien du mal à établir un constat formel. Elle retourne chez elle, et se fait héler par Michael, au bas de son immeuble, qui lui demande du feu.

De ce point de départ, se noue une amitié. Susan et Michael se rencontrent à nouveau, et ce dernier lui propose un dîner gratuit dans le restaurant pour lequel il travaille, déserté par les gens, qui n’ont plus d’odorat.

Celle ci fond en larmes, d’une manière inexplicable, et finit par se faire ramener chez elle. Dans la nuit, Michael connaît une crise semblable.

Au petit matin, tous deux ont perdu leur sens olfactif.

Le mystère demeure.

Mais il va s’épaissir au fur et à mesure que l’état général de la population s’aggrave. Après chaque nouvelle crise, tantôt d’angoisse, tantôt de rage et de violence, un sens de plus disparaît, jusqu’à ce que les êtres atteints se retrouvent privés du goût, de l’odorat et de l’ouïe.

 

Sur ce postulat somme toute classique, David Mackenzie a choisi de broder un drame profond, sans tomber dans la surenchère ni le spectaculaire. Il laisse la voix-off faire son job, et les acteurs porter l’intrigue de leur interprétation très juste.

Moins abstrait que le fantasmagorique It’s All about Love, moins sec et brutal que Blindness, Perfect Sense est en quelque sorte une focalisation interne/externe sur la vie elle-même.

Film incroyablement arythmique, durant lequel les longues scènes d’exposition sont immédiatement suivies de parties hystériques collant parfaitement au fond du thème, Perfect Sense est un bien joli conte (certes, très manichéen…) métaphorique sur la non importance du futile au détriment de l’essentiel.

Eva Green, loin de ses mimiques désabusées habituelles, incarne à merveille son personnage passant du cynisme détaché à la panique émotionnelle. Scientifique instable sur le plan amoureux, elle se perd dans une relation atypique avec ce jeune chef qu’elle se plaît à appeler « Matelot », en souvenir de son père, et retrouve ainsi un appétit de vivre en assumant ses faiblesses tout en perdant progressivement l’usage de ses sens. Son jeu est sobre, investi, et s’étoffe tout au long de la pellicule pour atteindre un climax émotionnel final.

Même constat pour le toujours génial Ewan McGregor (c’est dingue, il pourrait jouer dans une bouse infâme, je continuerais de l’adorer…), impeccable dans la peau d’un jeune chef coureur de jupons sans remords. Tout est fait pour le rendre irrésistible, et il l’est. Amené lui aussi à réaliser qu’il y a d’autres moyens dans l’existence pour apprécier quoique ce soit que le simple constat factuel basé sur le toucher, le goût, l’odorat ou la vue, il adapte en permanence son attitude pour la rendre la plus crédible possible.

Ne négligeons pas l’importance d’Ewen Bremner - qu’on a l’impression d’avoir quitté hier dans Trainspotting – impeccable en ami/collègue/confident un peu barge et monomaniaque. Extraverti et grossier lorsque le besoin s’en fait sentir (c’est à dire sur à peu près les trois quarts du film), mais touchant et pathétique lorsque les choses changent, il apporte ce petit plus épicé qui empêche parfois la narration de tomber dans les excès de pathos.

 

Si une grande partie du film peut paraître lente et discursive, les scènes collectives sont parfaites pour casser le rythme et apporter le recul nécessaire à l’appréciation de l’ensemble. A ce titre, les débordements gustatifs annonciateurs d’un troisième sens à disparaître sont retranscrits avec un appétit de violence pantagruélique de la part du réalisateur. Digression asexuée sur les pires exactions nécro-gastronomiques de La Grande Bouffe, ils sont graphiquement assez écœurants (on y voit des gens se jeter sur tout ce qui peut s’avaler, des fleurs au poisson cru en passant par le rouge à lèvres, et l’huile avalée à même la bouteille…), et choquent par rapport à l’ambiance générale assez éthérée. Les accès de violence sont aussi parfaitement restitués et constituent une parcelle d’honnêteté/lucidité assez dure.

Si vous ajoutez à ça un final parfait, aussi évident que pertinent, vous obtenez une indéniable réussite.

Ne vous leurrez pas, Perfect Sense est un film assez difficile d’approche, non pas dans sa compréhension, qui reste très simple de sens, mais de par son traitement à la Never Let Me Go, associant lenteur et fulgurances de mise en scène.

Son message, aussi néo-humaniste soit-il, emporte l’adhésion, et nous laisse avec une foultitude de questions auxquelles il conviendra de répondre un jour.

Sommes-nous capables de laisser de côté ce qui ne nous est pas essentiel, pour nous recentrer sur les émotions fondamentales ? Notre société est-elle obsolète à jouer son rôle de filtre, laissant s’échapper des sons, des images, des goûts toujours plus nombreux et complexes qui finalement n’ont qu’une portée et un intérêt limités ? A t’on besoin d’autre chose que de nous-mêmes pour vivre en harmonie et comprendre que l’amour est toujours là où notre cœur veut être ?

Chacun répondra en son âme et conscience, mais quelle que soit la réponse, l’introspection la précédant n’aura pas forcément été inutile. Et la mission de Perfect Sense sera alors remplie, avec les honneurs.

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