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Sickboy Moviez
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18 septembre 2013

LIBERACE

behind-the-candelabra-poster03Il y a des rôles comme ça qui tombent à pic, qui sont disons…De « circonstance »…On pense bien sur à Sunset Boulevard, Les Feux de la Rampe, The Misfits, The Wrestler, dans lesquels les acteurs principaux n’ont aucun mal à entrer dans la peau de leur personnage tant celui ci leur ressemble à un instant T. Lorsque la vie rejoint la fiction, et qu’une star se transcende, pour se rappeler de sa gloire passé, pour se battre contre les afflictions, une œuvre devient alors le miroir d’une souffrance qui rejaillit à l’écran, parfois de façon cocasse (Le retour en grâce de Travolta dans Pulp Fiction, et son ballet nonchalant aussi ironique que rédempteur), parfois de façon tragique, comme à l’occasion de ce Liberace magnifique.

 

Michael Douglas…C’est bien sur un CV rempli de rôles cultes, de films impérissables (Le Syndrome Chinois, La Nuit des Juges, Wall Street, A La Poursuite du Diamant Vert, Basic Instinct, La Guerre des Roses, Traffic…), mais aussi une vie, bien loin du long fleuve tranquille, dans l’ombre pesante d’un père à la carrière sans tâche, parsemée de divorces, de décès, de maladies et d’amour filial à quasi sens unique. Approchant les soixante dix ans, avec la maladie en spectre envahissant, et les rumeurs de séparation qui vous minent, il est évident que replonger dans le travail reste une solution tenant autant de la catharsis que de la cure vitale. Et lorsqu’un vieux complice (Steven Soderbergh, déjà croisé lors des tournages de Traffic et Piégée) vous propose de ressusciter le fantôme d’un artiste aussi fantasque que légendaire, il ne reste que peu de place à la tergiversation. Vous acceptez le job, vous faites appel à la quintessence de votre art, et vous en ressortez grandi, à jamais. Et c’est ainsi que Michael Douglas se glisse dans la peau de Liberace, pianiste extraordinaire, showman sans rival, mais homme égocentrique et fragile à l’extrême, en perpétuelle quête d’amour et de reconnaissance, quel qu’en soit le prix.

 

Liberace (Wladziu Valentino Liberace in extenso), pianiste virtuose, anima de son kitsch flamboyant deux décennies successives (entre 1950 et 1970 principalement), et fit se pâmer de plaisir des centaines de femmes en extase devant son talent, ses délires baroques et son exubérance hors du commun. Bien que clairement efféminé, celui ci prit toujours grand soin de cacher son homosexualité aux yeux d’une époque pudibonde, pour ne pas ternir son image. Sorte de croisement entre un André Rieu déluré et un Elton John déchaîné, il aimait à faire se côtoyer les pièces classiques, le boogie-woogie, la grandiloquence, les décors et costumes chamarrés, sans jamais se départir d’un humour bien à lui, et d’un délire mégalomaniaque attendrissant.

Lorsque tinta le glas des années 70, il s’exila à Vegas, comme bien d’autres artistes de sa génération, ou même plus jeunes, et continua de faire prospérer ses affaires en donnant des shows dans des casinos, pour le plus grand plaisir de ces dames, toujours promptes à donner de la voix pour leur idole, mais aussi pour la plus grande joie de certains hommes du public, fort sensibles à son charme vieillissant.  Mais Behind The Candelabra ne se veut pas déroulement exhaustif de la carrière de l’homme, et se concentre sur une de ses histoires d’amour, celle qui l’a uni à Scott Thorson, jeune apprenti vétérinaire de 16 ans, rencontré backstage après un de ses concerts.

 

Liberace était donc un personnage unique, haut en couleur, apte à illuminer n’importe quelle pellicule, à condition que celle ci soit dirigée par un metteur en scène aguerri, et prêt à en découdre violemment avec une légende bariolée qui ne supportait ni la demi-mesure, ni l’ombre. On pouvait douter de la capacité de Steven Soderbergh à capturer l’essence même de ce trublion génial, tant Steven est plus habitué à la nuance, au trouble et à la modération (de Sexe, Mensonge et Vidéo au timoré Contagion). Car même si celui ci est à l’aise avec le All-Star cast (Ocean’s 11,12 & 13), et au pamphlet satirique (The Informant !), on pouvait légitimement avoir quelques craintes quant à son aptitude à offrir l’écrin parfait à cette perle du Kitsch Grandiose qu’était Liberace. Mais dès les premières images, le doute n’est plus permis. Couleurs chatoyantes, lumière surannée, décors grandioses, costumes étincelants, dialogues ad hoc et postures provocantes, tout est là pour évoquer à la perfection la démesure du maître, qui ne reculait devant aucune provocation au bon goût. Soderbergh s’est en effet complètement mis au service de son personnage, et a recréé au détail près son univers si particulier. En signant une œuvre aussi gay qu’iconographique, le réalisateur à évité tous les pièges du grotesque et du ridicule second degré, a respecté l’homme autant que l’artiste, sans pour autant l’épargner en révélant toutes ses contradictions. Photographie tantôt éthérée, tantôt blême selon l’humeur et les circonstances, plans parfaits noyant les personnages dans leur environnement, ou au contraire les en extrayant pour les mettre en avant, montage coulé et soyeux, tout est là pour s’immerger dans un pan entier de l’histoire de la musique…Et force est d’admettre que si la première heure est incroyablement Gay, si elle transpire le stupre par tous les pore(c)s, c’est pour mieux chuter dans la réalité d’un couple constamment au bord du gouffre dans sa seconde partie, aussi touchante que dérisoire…(Il convient de noter toutefois, pour juger de la véracité des faits présentés, que le film est basé sur le livre de Scott, Behind the Candelabra: My Life with Liberace, paru après la mort du pianiste) 

 

Mais un film, ce sont avant tout des acteurs…Et en choisissant des « réguliers », Steven n’a pris aucun risque. Avant d’aborder les deux « gros morceaux » du film, parlons d’abord des seconds rôles, et surtout, des légendes qui les incarnent.

Dan Aykroyd en manager fidèle/ami intègre/arrangeur de situations inextricables est tout simplement méconnaissable, mais impeccable. Scott Bakula en ami/entremetteur est sobre, mais sa moustache vaut plus que bien des discours. Rob Lowe en chirurgien plastique/pharmacien douteux est un régal à lui tout seul…La mimique bloquée, les yeux à peine ouverts, il transcende de ses interventions divines des scènes qui auraient pu se vautrer dans le tragique. Regardez à loisir et pour le plaisir la scène d’intervention sur Matt Damon…En un seul clin d’œil, il parvient à vous conquérir et s’imposer en pièce maîtresse de l’œuvre. Quel acteur…

 

Mais bien sur, ce sont Matt Damon et Michael Douglas vers qui convergent tous les regards, et pas seulement parce qu’ils occupent quatre vingt dix neuf pour cent du métrage à eux deux. En playboy/pseudo vétérinaire permanenté, Damon est méconnaissable, mais incroyable…Un peu pataud, l’Adonis blond opère une des transformations les plus intenses de son répertoire, et transforme l’essai haut la main. Oscillant constamment entre le loser énamouré et l’étalon décomplexé, Matt nous montre une nouvelle facette de son talent, et valse sur la ligne séparant la violence physique et morale (les scènes de drogue, de sexe et de colère conjugale), de l’adoration le confinant à l’idolâtrie (lorsqu’il admire son amour sur scène, qu’il le cajole et le rassure)…La dualité complexe du personnage du quasi dernier amant du maître (voyou ? amant sincère ? « groupie » intéressée ? On ne saura jamais vraiment…) est parfaitement « restituée » à l’écran par Damon, qui incarne son personnage avec l’intensité dramatique requise, sans jamais dévier de sa ligne de conduite. Et sa façon de porter le brushing, le short blanc moulant, et la fossette malicieuse devrait laisser des traces dans bien des mémoires, et pas seulement féminines d’ailleurs…

 

Mais le véritable héros, c’est bien sur Michael Douglas. On savait l’artiste capable de se mettre dans la peau d’à peu près n’importe quel personnage (baroudeur roublard, golden boy aux dents longues, citoyen anti-héros désabusé, homme d’affaire pris au piège, père instable et décalé, juge conservateur et père dévasté, amusez vous à retrouver les films correspondants aux descriptions…), mais on pensait qu’à son âge, et avec les épreuves qu’il avait du traverser, le plus beau de sa carrière était désormais derrière lui….Et quelle erreur. Car Michael Douglas à trouvé dans Liberace le rôle de sa vie, de celui qui vous replace d’emblée sous le feu des projecteurs, quand bien même vous ne les avez jamais quittés. Car ils n’ont jamais autant brillé que depuis qu’il s’est métamorphosé en star vieillissante, terrifiée par la solitude, éprouvé par les relations humaines, l’égocentrisme et la trahison, et abîmé par la luxure à laquelle il ne peut pas échapper…Une translation de la réalité à la fiction ? Mimétisme entre deux légendes aussi différentes que similaires ? C’est possible, c’est même pratiquement un fait. Car aussi dissemblables que soient Liberace et Michael Douglas, leur nature n’est pas si éloignée que ça. Et c’est peut être à cause de ça que ce dernier est si crédible et touchant.

Et pourtant. Quelle incarnation casse gueule par excellence…Comment ne pas tomber dans le pathétique à mourir dans la peau d’un musicien pareil ? En se jetant à corps perdu dans l’incarnation et en ne reculant devant aucune exagération. C’est là la force de Douglas et de Soderbergh qui ont compris que pour illustrer la vie de ce pianiste aussi génial que pathétique et manipulateur, il fallait aller jusqu’au bout du délire, au bout de l’exagération et du kitsch. Et ils y sont allés, ensemble, main dans la main si j’ose dire. Soderbergh n’a pas bridé Michael qui « ha(bite) » à la perfection le confinant au mimétisme son grandiloquent modèle. Dans la peau de cette « vieille tante » (dixit Matt Damon, et pour l’amour de la formule), Douglas a tout poussé à son paroxysme. Les inclinaisons de voix de fausset, la gestuelle faussement féminine, le port de tête aussi altier que fatigué, la morgue provocante, mais aussi la détresse la plus totale, la peur, la tristesse, la méchanceté, l’ironie et la souffrance palpable. Tout est là, devant vos yeux incrédules et pourtant hypnotisés. Plus qu’une incarnation, c’est à un tour de force que s’est livré Michael Douglas, conscient qu’il tenait là le film de sa vie, ou plutôt, comme certaines mauvaises langues se plaisent à le dire, de sa fin de vie. Mais aussi atteint par les vicissitudes de la vie soit il, aussi concerné soit il par le personnage, c’est son talent qui crève l’écran et qui permet à Liberace de renaître une nouvelle fois, tel le phœnix de légende.

 

Les biopics sont les formes de cinéma les plus dangereuses qui soient. Trop formelles, et le charme n’opère pas. Trop libres, et l’identification ne fonctionne pas. Trop académiques, et elles prennent des airs de biographie inutile, ou pire, d’hagiographie lénifiante de respect. Liberace est tout ça, et pourtant, on se laisse prendre au jeu de la séduction, et on tombe sous le charme de ce petit artiste qui a tant fait pour la musique et le show, jusqu’à leur offrir sa vie, sans pour autant épargner celle des autres. Et lui qui tenait tant à devenir acteur et à être récompensé par les Oscars, doit bien rire la haut et trépigner d’impatience en attendant février prochain. Et d’assister à une scène logique, inéluctable et inévitable si l’académie tient à conserver sa crédibilité. Se voir lui même, dans la peau de Michael Douglas, recevoir la statuette si convoitée. Et il rira, il rira sans pouvoir s’arrêter. Car comme il le disait :

 

« L’excès de bonnes choses, c’est magnifique ! »

 

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