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Sickboy Moviez
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11 octobre 2013

MUD

affiche-mud-sur-les-rives-du-mississippi-mud-2012-1Après Shotgun Stories et Take Shelter, Jeff Nichols continue avec Mud d’explorer l’âme humaine, sa complexité, mais aussi les rapports fondamentaux qui se tissent au travers de la solitude, de l’amour, de la folie, de la vengeance et le cortège de violence qui en découle. Ainsi, Mud se pose en extension de ses deux précédentes œuvres, développant des thématiques similaires sous un angle différent, avec toujours en pivot central le nœud familial plus ou moins solide et valide.

 

Ellis et Neckbone, deux copains pré ados, vivent tous les deux dans l’Arkansas, sur les rives de la rivière, au sein de deux familles aussi différentes que similaires par bien des aspects. Les parents du premier sont en effet au bord de la rupture, tandis que le second est élevé par son oncle, qui multiplie les conquêtes et vit péniblement de sa pêche, tout comme Senior le père d’Ellis. N’ayant d’autres amis qu’eux-mêmes, ils passent leur temps à vagabonder, faire de la moto et du bateau, et accostent un jour sur les rives d’une île au milieu du Mississipi, pour venir y découvrir un bateau étrangement perché en haut d’un arbre. Bateau qu’ils s’approprient immédiatement, avant de découvrir qu’un homme y a déjà élu domicile, un étranger énigmatique qu’ils trouvent sur la plage, près de leur embarcation, Mud. Mi SDF, mi aventurier, Mud va quasi instantanément fasciner Ellis, qui va lui apporter régulièrement à manger, au grand dam de Neckbone, beaucoup plus sceptique sur les intentions de l’étranger. Les deux enfants vont bientôt découvrir ce que cache le passé de cet homme, ses intentions  réelles, et l’emprise de celui ci sur eux va s’en trouver grandie, au point qu’ils vont prendre tous les risques pour lui venir en aide, allant jusqu’à mettre leur vie en jeu pour lui permettre d’atteindre son but. Cette aventure ne sera rien de moins pour eux qu’une découverte de la vie, dans toute sa cruauté, et les fera mûrir beaucoup plus tôt que prévu, leur donnant le recul nécessaire pour affronter une existence rude.

 

Fasciné par les rapports humains, Nichols pousse en avant ses travaux sur les liens familiaux transversaux, la déconstruction de la cellule interne, et ses conséquences sur l’évolution des individus. Doté d’une photographie brûlée et brûlante, d’une musique aux accents sudistes et nostalgiques, et d’un tempo lent soudainement déchiré par des scènes d’une violence justifiée, Mud est l’archétype du coming of age movie brillamment réussi, avec ses personnages complexes, ses interconnexions multiples, son ambiance délétère pourtant porteuse d’un indéniable espoir. La réalisation est à la hauteur des ambitions, et ce mélange magique de plans larges lors des scènes extérieures et de plans très serrés symbolisant la claustrophobie lors des segments intérieurs incarne à merveille le concept d’intériorisation des sentiments/d’extériorisation des comportements, associant la douleur de la perte des repères familiaux et l’ouverture à l’age adulte, synonyme d’exposition au monde et de douleur encore plus forte de perte de l’innocence qu’on vous a souvent refusée.

 

Nichols prend le temps d’installer son histoire et ses décors, n’en rajoute jamais dans la mise en scène, préférant laisser les espaces négatifs/positifs parler pour lui, et associe ses personnages à leur environnement, uni ou multi-dimensionnels. Ainsi, Mud ne quittera presque jamais cette île, condamné à la solitude mentale et physique au centre d’un cadre idyllique, tandis que les deux enfants se verront constamment déchirés entre une liberté au prix fort à payer, et une sécurité familiale au bord de l’implosion, dans un bateau ou une maisonnette de banlieue. Mais la force de ce film repose tout d’abord sur une interprétation sans faille, avec au premier plan deux jeunes acteurs bluffant de naturel, Tye Sheridan (The Tree Of Life) et Jacob Lofland.

Les deux interprètes sont tout simplement confondant de naturel, même si l’histoire se focalise surtout sur le personnage d’Ellis, incarné par Tye. Jeune garçon persuadé que l’amour sincère existe, celui ci va tout faire pour que Mud puisse vivre son histoire impossible avec Juniper (Reese Witherspoon, parfaite en amoureuse paumé et infidèle), alors même que ses parents se séparent, le condamnant à abandonner sa maison pour partir vivre en ville, et qu’une adolescente de la ville lui brise le cœur en se moquant ouvertement de lui et de ses sentiments profonds.

Jacob dans la peau de Neckbone est aussi particulièrement touchant, adoptant les mimiques d’un pauvre garçon perdu dans une petite ville de campagne, qui n’a jamais connu ses parents et qui vit avec un oncle irresponsable. Alternant les réactions de méfiance et l’investissement affectif désintéressé, tout en gardant les pieds sur terre, il se pose en compagnon de route fidèle mais lucide, dont l’amitié est le moteur principal et presque unique.

En second plan, accordons à Sam Shepard dans le rôle du chaperon/père adoptif de Mud le crédit d’une incarnation dont lui seul à le secret, constamment en arrière plan mais décisif pour la narration. Ray McKinnon (The Blind Side, O’ Brother) et Sarah Paulson (American Horror Story, Martha Marcy May Marlene) sont aussi parfaits en parents aimants mais arrivés au bout de leur histoire.

 

Et bien sur, impossible de passer à côté du personnage central, Mud, interprété avec subtilité et détermination par un Matthew McConaughey qui a enfin décidé d’arrêter de faire du Matthew McConaughey (à un tel point d’ironie que son leitmotiv de sécurité dans le film est de ne jamais enlever sa chemise, qui selon lui le protège, un réel aveu quand on connaît l’acteur). Bien loin des comédies romantiques insipides auxquelles on le croyait abonné à vie (les calamiteux Hanté Par Ses Ex, L’amour De L’or, Playboy à Saisir…), Matthew se lance à corps et cœur perdu dans cette histoire d’amour adulte, offre enfin une palette de nuances de jeu dont on le croyait incapable, et forme avec Reese Witherspoon un couple de Roméo et Juliette maudits (avec en tout et pour tout une seule scène commune, et encore…) servant de catalyseur à l’émergence d’une personnalité adulte et responsable chez deux jeunes enfants qui ne s’attendaient pas à grandir aussi vite.

Aussi épais physiquement que psychologiquement, tout en gardant cette fragilité d’un comportement parfois irresponsable typique d’une adolescence attardée qui n’en peut plus de finir, son personnage est un écrin fabuleux qui lui offre une interprétation sur mesure, aussi touchante que nuancée. Il est après tout lui aussi un enfant solitaire, parfois incapable de discernement dans la pertinence de ses choix, et doit aussi être protégé et recadré par un adulte, qui lui évitera le pire.

 

Et si la clique des méchants répond au cahier des charges (un patriarche aussi cruel que déterminé et impassible, un fils/frère assoiffé de vengeance, une complicité policière corrompue), Nichols a la décence de brider la violence des scènes d’actions sans la stériliser, et choisi sciemment de réduire à l’indispensable le quota de châtiments corporels (surtout infligés au pauvre Ellis, voir la scène dans le motel), ce qui ne fait qu’apporter de la crédibilité à son propos.

 

Même si Mud est un film âpre et dur, il se rapproche dans son développement d’un Stand By Me légendaire, de par son traitement conjoint de la violence et de l’amour, et de la fin d’une enfance qui n’a jamais vraiment commencé. Moins sombre que Mean Creek, il reste un formidable crossover entre un Mark Twain séminal et une Amérique en constante déconstruction, et constate sans grande amertume la perte des illusions d’une nation qui a depuis longtemps oublié une grande partie de ses enfants sur le bord de la route du bonheur et de la richesse. Si Nichols signe ici son œuvre la plus « abordable », et laisse un peu tomber ses symboliques que le public a le droit de trouver pompeuses (Take Shelter n’a pas été épargné par les attaques), c’est pour rester fidèle à un tableau peint il y a longtemps, celui d’une nation qui a un peu trop sacrifié à l’entreprise personnelle au détriment de l’amour véritable, de celui qu’on peut éprouver pour un père, une mère, une femme ou un ami.

 

Mais sa façon d’incruster ses personnages dans un paysage sublime autour d’un contexte personnel restreint et étouffant lui permet de rester réaliste et précis, et de laisser parler l’humanité qui est en lui. Aussi superbe que formel, aussi fascinant qu’évident, Mud est un film qui laisse des traces profondes dans l’âme et le cœur de ceux qui se laisseront toucher par une histoire aussi vieille que l’humanité elle même. Et même si les personnages féminins tendent parfois à se limiter à la représentation d’une menace découlant directement de l’Eve originelle (Mère égoïste, petite amie cynique, amour trompé), on ne peut reprocher à Nichols son point de vue typiquement masculin, car l’histoire qu’il dépeint ne concerne presque que l’enfant qui subsiste en nous en tant qu’hommes, en quête perpétuelle de l’amour qui donnera un sens à notre vie. Et donc exposés à des déceptions pas forcément imputables à la cruauté féminine, mais à l’idéalisation de relations au point d’en oublier les plus fondamentaux désirs. Etre heureux, aux côtés de quelqu’un, peu importe qui.

 

Une réussite totale, sans bémol, qui si elle ne provoque pas en vous un choc émotionnel un peu amer mais profond, prouvera que vous avez sans doute quitté le monde de l’enfance depuis longtemps.

 

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