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17 novembre 2014

THE DOUBLE

11175729_800Sacré Jesse Eisenberg, il nous aura tout fait…De l’ado un peu paumé dans Adventureland, à l’ado super névrosé de Zombieland, en passant par le CEO nerd et sans scrupules de Social Network et l’arnaqueur fantasque de Now You See Me, il a prouvé à 31 ans qu’il était capable d’incarner n’importe quel personnage avec brio et nonchalance. Considéré à juste titre comme un des acteurs les plus doués de sa génération, il n’a eu de cesse de nous surprendre de par ses choix, mais on sentait jusqu’à présent qu’il lui manquait un rôle à sa mesure. Un rôle plus complexe à défendre, plus nuancé, dans un film un peu plus barré que la moyenne. Un rôle lui permettant d’exploser, et pourquoi pas, de se révéler sous un autre jour, complètement décomplexé. Il avait lui-même avoué que sa partition dans Now You See Me l’avait détaché d’une certaine modération, et lui avait permis de découvrir une autre facette personnelle. Et cette facette, il nous la présente aujourd’hui en incarnant un personnage différent, dans un film différent, décalé, et une fois de plus, il est bluffant.

Adapté d’une nouvelle de Fyodor Dostoevsky, The Double est un film fourre-tout qui se permet tout, ou presque. Il nous raconte l’histoire de Simon James, jeune Canadien vivant à Londres. Simon est un personnage falot, sans dimension, qui travaille pour le gouvernement dans une structure anonyme, terne, dont on ne sait rien ou presque (« Qu’est ce qu’on fait ici ? » « Un peu de tout ! »). Ses journées se déroulent toujours de la même façon, illustrant à merveille le triptyque « métro-boulot-dodo » qui régit l’existence de tout employé administratif vivant dans une métropole. Sa mère, pensionnaire d’une maison de repos le méprise, et ses collègues n’ont pas plus d’estime pour lui. Mais un jour, la vie de Simon va basculer. Il perd sa mallette dans un wagon de métro, et doit soudain prouver son identité à la sécurité malgré ses sept ans d’ancienneté. Et le soir même, alors qu’il espionne sa jolie collègue/voisine Hannah, il remarque un homme sur le parapet de l’immeuble d’en face, qui se jette dans le vide après lui avoir fait un signe de la main. De ce point de départ « anodin » va découler une succession d’évènements qui vont bouleverser sa vie. Un beau jour, un nouvel employé fait son entrée au sein de l’administration, James Simon, l’exact double physique de Simon James. A la différence que James est tout ce que Simon n’est pas. Arrogant, fumiste, dragueur, tout semble réussir à cet individu qui peu à peu, va s’immiscer dans la vie trop tranquille de Simon, au point de le remplacer aux yeux des autres. Simon, déjà transparent à la base, va voir sa réalité niée au point de devenir un fantôme sans nom ni fonction, ce qui le poussera à changer sa nature et devoir réagir avant de ne plus avoir d’existence propre…

Adapter Dostoevsky est toujours une gageure. Adapter une nouvelle de Dostoevsky est un sale plan casse gueule pour qui n’a pas la rigueur nécessaire au traitement d’une histoire hors norme. Alors Richard Ayoade l’a joué profil bas, et n’a pas cherché à révolutionner un genre qui existe déjà depuis des décennies. Déjà responsable d’un Submarine bien barré, dont on retrouve une bonne partie du casting ici, il a su digérer des influences plus que notables et remarquables pour proposer SA vision des choses, pas si éloignée que ça de certains classiques de la réalité brouillée qui nous ont perdu dans un flou temporel et spatial à travers l’histoire du cinéma.

Première constatation, malgré l’abstraction imposée par l’histoire en elle-même, The Double dans son dédale multi dimensionnel est d’une logique imparable. Ayoade a tout mis en œuvre pour apporter la crédibilité d’apparence lui permettant de mieux nous perdre dans les méandres d’un scénario complexe et pas forcément résolu. Tout d’abord, même si l’action est censée se passer à Londres, il est difficile voire impossible d’en identifier quelconque caractéristique. Tout d’abord parce que l’architecture urbaine est complètement anonyme, mais aussi parce que l’action semble se dérouler dans une nuit sans fin, sobrement vaporisée d’un brouillard léger. L’administration pour laquelle Simon/James travaille(nt) n’est qu’un gigantesque labyrinthe de bureaux sans noms (l’administration en elle-même n’en a d’ailleurs pas non plus), peuplée d’une faune d’employés tous aussi bizarres les uns que les autres, et dirigée par un mystérieux « colonel » qui prône sa philosophie par le biais de publicités ridicules, dans lesquelles il affirme qu’il n’y a pas de « gens exceptionnels », juste « des gens ». Les couloirs du bâtiment, à l’image de l’extérieur, sont exigus, sombres, et mis à part la lumière tamisée de quelques ampoules, rien ne filtre. Et le service dans lequel la belle Hannah travaille semble équipé d’un photocopieur géant, véritable poumon de l’ensemble.

Une fois planté le décor, observons les personnages y évoluer. Jesse Eisenberg en premier lieu, nous sert sur un plateau une performance schizophrénique de premier plan, en double employé aux caractères diamétralement opposés. Si Simon aime en secret la belle Hannah, et n’ose pas lui déclarer sa flamme eut égard au manque d’intérêt qu’elle lui manifeste, James saute sur tout ce qui bouge, sans scrupules, y compris sur la nièce du directeur de service, le tonitruant M. Papadopoulos. Alors qu’au prime abord, Simon semble fasciné par ce double à qui rien n’est impossible, la séduction amusée va très vite céder le pas à la peur, et son personnage premier va lentement évoluer d’une transparence certaine à une paranoïa terrible. Et alors que son pendant positif tombe le masque et laisse apparaître ses véritables desseins, le caractère insignifiant de Simon va le transformer en bête traquée, prête à tout pour prouver qu’elle existe bel et bien.

Il est bien évident que The Double fait la part belle aux personnages incarnés par Jesse, au point de n’illustrer ses contemporains que de manière globale. Mia Wasikowska assure sa prestation dans la peau de Hannah, la troublante collègue au photocopieur géant, avec une légèreté sombre qui nous donne le sentiment qu’elle flotte comme dans un rêve éveillé. Noah Taylor fait le boulot dans la peau de cet employé opportuniste un peu graveleux qui profite de la naïveté de Simon, et Wallace Shawn assure dans les grandes largeurs en directeur/responsable/supérieur vindicatif et partial, qui n’a de cesse de houspiller Simon et d’oublier son nom pour mieux encenser son ennemi/voleur d’identité.

Dans la forme, The Double est une merveille de claustrophobie. Doté d’une photographie jaunâtre et sombre (qui rappelle un peu celle du séminal The Element of Crime de Lars Von Trier), il nous étouffe de ses manques d’espace et de ses décors rachitiques et ternes. Ses partis pris de réalisation tombent toujours à pic (merveilleuse première scène dans le métro, avec ce quidam qui réclame son siège à Simon alors que le wagon est vide, le tout en plan serré), et aucun geste, situation ne semble gratuit. Aidé en cela par des dialogues extraordinaires, aussi étouffants par leur débit que l’étroitesse du contexte (sublime auto échange entre Jesse et Jesse dans le passage souterrain sur ce qui est gay ou ne l’est pas. Une glace ok, mais surtout pas en cornet, sauf si on est avec une femme), et par une musique joyeusement improbable qui rythme d’une manière décalée des scènes dramatiques (une pseudo musique populaire traditionnelle asiatique, qui surgit de nulle part au restaurant empêchant Simon d’entendre la conversation entre James et Hannah),  The Double accentue par ces effets incroyables tout le potentiel magnifiquement marginal de l’ensemble, et ajoute une énorme touche d’humour à cette situation Kafkaïenne.

Kafka, le nom est lancé. Et il est évident que The Double lui doit beaucoup. Hormis cette jolie moquerie d’une administration qui semble à jamais vouée à la vacuité, The Double joue aussi sur cette quête d’identité de millions de personnes dans le monde qui ont souvent l’impression de ne pas exister aux yeux des autres. A la vision de l’œuvre, on pense évidemment à des références inévitables. En premier lieu, impossible de ne pas nommer la pierre angulaire du genre, le Brazil de Terry Gilliam. On y pense pour le fond – la lutte interne d’un homme contre une administration/société qui lui nie ses droits fondamentaux et l’oblige à accomplir des rituels ridicules – mais aussi dans la forme, avec cet appareillage bureautique sorti de nulle part, sorte de steampunk informatico-téléphonique absurde et obsolète, ses personnages truculents ou inquiétants, et ses bureaux/prisons. Mais s’il est un film qui vient encore plus à l’esprit, c’est bien Le Locataire de Polanski. Certes, le film de Roman est beaucoup plus retord et pervers, mais on y retrouve pas mal d’éléments communs, traités un peu de la même façon, humour compris, même si la chute du premier tombe dans la folie totale, alors que le second reste plus énigmatique, et ouvert à l’interprétation. Le voyeurisme est aussi commun aux deux travaux, ainsi que la schizophrénie forcée (dans le sens où ce sont les autres qui vous obligent à douter de vous-même et de votre raison), et la relation Simon/Hannah a de sérieux airs du lien trouble qui unissait Trelkovsky à Stella. Lynch pourrait aussi être cité, à travers la pathologie mentale et graphique d’Eraserhead, mais aussi des changements soudains de Lost Highway, qui semblaient vouloir nous perdre en cours de route. Dernière référence utile, celle bien sûr d’Orwell et de son 1984, à travers le prisme de cette société scrutée à la loupe, dans laquelle évoluent des individus sans réelle liberté, susceptibles d’être appréhendés pour n’importe quel geste anodin (voir la scène dans laquelle Simon met un coup de pied dans l’ascenseur).

La force intrinsèque du film d’Ayoade, et d’avoir été jusqu’au bout de l’absurde sans se préoccuper d’une quelconque crédibilité. Il a construit son film comme un gigantesque puzzle du grotesque, comme si la négation même de l’humanité n’était qu’une vilaine farce élaborée par quelques décideurs estimant que la masse grouillante de la plèbe ne méritait pas d’être nommée autrement que par sa globalité. Grâce à des trouvailles ludiques (la sinistre brigade du suicide, cette étrange boisson bleutée sirotée par défaut, ce mélange/oubli de patronymes), il transforme son œuvre en conte farfelu mais authentiquement terrifiant, à travers duquel nous pouvons presque tous nous identifier. Et je résumerai The Trouble par cette pensée de Simon, aussi infantile dans sa référence que glaçante par sa lucidité et qui en dit long sur le cauchemar éveillé de millions d’êtres humains:

« I'm like Pinocchio. I'm a woody boy, not a real boy. It kills me »

 

The Double - Bande Annonce VOSTF

 

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