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13 novembre 2014

I AM A GHOST

1403048652157Il existe une multitude de façons de traiter une histoire de fantômes. Thème abordé assez rapidement après l’invention du cinématographe, il a permis à de nombreux réalisateurs de laisser dériver leur plume et leur caméra le long de corridors interminables, de cimetières brumeux, et de chambres à coucher infestées d’esprits malins ou non. Dès lors que vous optez pour ce traitement, vous avez le choix. Le formel (The Tomb of Ligeia, House of Usher, Ghosts of Berkeley Square, The Haunting), l’onirique surréaliste flippant (Carnival of Souls, Saint Ange), le baroque dramatique (L’Orphelinat, Fragile, Les Disparus), le pastiche délirant (Ghostbusters, Fantômes contre Fantômes, Fantômes en Fête), le romantique dégoulinant (Ghost, Truly Madly Deeply, Always), le romantique délicieux (The Ghost and Mrs Muir, Just Like Heaven) l’asiatique chevelu et flippant (Ring, The Eye, Dark Water), le Found Footage cru (Grave Encounters, Paranormal Activity, Lake Mungo), ou encore, le spécial « Je suis mort mais j’évolue encore dans un monde aseptisé que je crois réel » (Sixième Sens, Les Autres, Haunted)…

Comme vous le constatez les options sont légion. Mais aujourd’hui, je m’intéresserai à cette dernière catégorie, puisqu’elle a été l’option la plus prisée ces dernières années, et pas toujours avec bonheur. Mais dans le fond, c’est une des approches les plus fascinantes et pertinentes que le cinéma d’esprits puisse nous offrir. En effet, que savons-nous au juste des fantômes ? Sur quel plan évoluent-ils ? Nous voient-ils comme nous le croyons, vivent-ils dans le même espace que nous, sur la même ligne temporelle ? Et si tel est le cas, que veulent-ils ? Cette fameuse lumière au bout du tunnel existe elle, et doivent ils l’emprunter pour passer au niveau supérieur de conscience ? Le fait est que nous ne savons rien, ou presque, de ces entités qui nous effraient tant, et qui pourtant pourraient nous apporter bien des réponses sur la vie et la mort, et ce qui se passe réellement au-delà de cette limite. La science a tenté d’apporter des réponses, la religion est certaine de les connaître, mais le cinéma n’a de cesse d’essayer de trouver une explication sinon logique, du moins plausible pour expliquer ce passage du plan terrestre au plan fantasmagorique par une suite d’essais d’illustration différents. Et une fois de plus, quelqu’un s’attelle à cette tâche. Mais pour une fois, il le fait d’une façon réaliste, pensée, posée et vraiment novatrice. Et le résultat est une petite merveille de jeu de piste échelle miniature, d’une intelligence et d’une poésie concrète rare, qui plus est concrétisée avec les moyens du bord. Abordons son cas je vous prie.

Dans I Am a Ghost, H.P. Mendoza nous présente le quotidien d’Emily, jolie jeune femme tout de blanc vêtue, habitant une grande maison au mobilier et style victorien. Emily semble répéter chaque jour les mêmes gestes, dans le même ordre, sans paraître s’en lasser ou s’en choquer. Elle se lève, prépare ses œufs du matin, va faire son marché, fait son ménage, se blesse à la main, part dans la salle de bain, et ce manège se répète jour après jour, sans une seule modification. Toutefois, quelques indices semblent indiquer que cette routine n’a rien de normal ni de naturel. A chaque petit déjeuner, Emily regarde fixement son couteau et finit par le brandir, avant qu’on ne la retrouve dans la salle de bain, une vilaine blessure bandée à la main droite. Lorsqu’elle époussette le guéridon du hall, elle entend une voix rauque venant de l’étage supérieur, qui semble la terrifier.

Systématiquement lors de son ménage, elle passe devant une pièce, s’immobilise, et part en courant, terrifiée de ce qu’elle semble avoir vu. Jusqu’au jour où dans la chambre de sa mère, elle entende distinctement une voix féminine qui semble amicale, et qui lui intime le conseil de répéter à haute voix cette phrase, à trois reprises : « I Am a Ghost, I Am a Ghost, I Am a Ghost ». Cette voix est celle de Sylvia, médium engagée par la famille habitant dans la même maison qu’elle, sur un plan différent, famille qui n’en peut plus des manifestations surnaturelles qui perturbent leur quotidien et les empêche de mener une vie normale. Dès lors, le contact est établi, et Emily va tenter de comprendre pourquoi elle est bloquée dans cette maison, pourquoi ce manège interminable doit se répéter encore et encore, sans qu’elle ait la possibilité d’en échapper et de rejoindre la dernière étape de son voyage post mortem. Car sitôt la chambre quittée en hurlant, Emily oublie tout de ses conversations avec Sylvia, qui doit systématiquement tout reprendre depuis le début pour faire comprendre une fois de plus à Emily ce qui lui arrive.

Posons les bases de I Am A Ghost. Dix mille dollars de budget, un lieu de tournage unique, une seule actrice (à qui s’ajoute un second personnage à la toute fin du métrage dont je ne parlerai pas), une voix off, une approche quasi philosophique de la vie après la mort, un traitement ascétique, des répétitions jusqu’à l’overdose, un montage privilégiant les cut soudain et aléatoires, des dialogues épars, quasiment pas de SFX, une musique lancinante, une affiche arty calquée sur la collection Babel. Une fois ces jalons posés, les questions fuseront certainement, puisqu’avant de le voir, je m’en posais moi-même un certain nombre. Allait-on avoir droit à un traitement art et essai chiant comme la mort, basé sur des monologues interminables sur l’essence de la vie et de son terme, des digressions indigestes mises en images de façon statique, le tout enrobé dans un emballage estampillé « cinéma intelligent, difficile d’accès, MAIS essentiel ? ». Une sorte de Only Lovers Left Alive version ectoplasmique faussement intellectuel mais réellement pénible ? L’écueil était facile à percuter, mais il faut l’admettre, H.P. Mendoza l’a évité avec une intelligence, une justesse, une malice et une originalité rare qui font de I Am A Ghost un des meilleurs films de fantômes de l’histoire du cinéma.

Ne le nions pas, il faut un petit moment pour s’adapter au traitement, et ce, malgré la faible durée du métrage (76 minutes). Les deux tiers de celui-ci sont en effet calqués sur le fonctionnement d’un disque rayé, qui fait avancer une chanson avant de bloquer soudainement et de revenir à son introduction. Ces répétitions/itérations ont de quoi crisper, tant on a envie que l’intrigue avance pour comprendre enfin non ce qui se passe – là n’est pas du tout la clé du film – mais pourquoi cela arrive-il. Les questions légitimes sont nombreuses (pourquoi Emily se plante elle un couteau dans la main ? Que voit-elle dans cette pièce qui l’effraie autant ? A qui appartient cette voix rauque sortant de nulle part ?), mais les interrogations finissent par être levées avec une maestria rare, et ce, grâce à une fascinante intelligence de réalisation, et une interprétation fabuleuse de l’actrice principale.

Seule pour porter sur ses épaules cette histoire opaque, Anna Ishida, telle une actrice de théâtre, assume une palette d’émotions énorme, allant de l’inexpressif routinier inconscient à l’effroi le plus terrible et convaincant. Bloquée dans ce quotidien qu’elle croit être sa seule réalité, elle évolue dans ce dédale de pièces qu’elle connaît par cœur, guidée par un instinct dont on ne sait rien, et qu’elle même croit faussement connaître, jusqu’à cette terrible révélation qui tombe comme un couperet. Mais pour en arriver à un résultat si convaincant, elle peut compter sur une structure élaborée patiemment et savamment par son metteur en scène, qui construit son mobile comme un architecte surdoué, pour qui chaque plan est important et doit être logique dans sa narration et sa mise en images. A ce titre, I Am A Ghost ressemble à ces poupées gigogne qui s’emboitent parfaitement, se dédoublent, et finissent par s’imbriquer de nouveau dans une logique structurelle imparable. La force de ce film, c’est sa cohérence. Traité comme un drame quasi domestique, il présente l’entité fantomatique résiduelle comme un être humain normal, avec une vie normale, faite de répétitions d’actions immuable, qui en aucun cas ne cherche à troubler la vie des vivants, mais qui évolue juste dans un monde parallèle au nôtre sans savoir que tel est le cas. Emily finit par réaliser qu’elle est un fantôme, mais ne change pas forcément son comportement pour autant. Sa relation avec Sylvia est abordée comme une simple thérapie, non comme une invocation d’un médium à l’intention d’un esprit gênant, et de fantôme, Emily passe au statut de patiente qui doit impérativement fouiller dans sa mémoire pour se rappeler qui elle était, et accepter une bonne fois pour toute la façon dont elle est morte pour pouvoir s’échapper de sa prison mentale. 

Mais H.P. Mendoza, dans sa vision « concrète » de l’existence parallèle d’une entité « non physique », n’oublie pas pour autant de titiller notre corde sensible, et nous réserve une belle surprise dans la dernière partie de son œuvre, qui voit soudain apparaître un troisième personnage, véritablement terrifiant. Si les trois quarts du métrage reposent sur une séance d’hypnose cinématographique pour que le spectateur puisse plus facilement se glisser dans la « peau » du personnage principal, son final honore le côté horrifique du projet avec une violence visuelle et graphique rare qui offre une rupture terrible avec la lancinance malsaine et dramatique à laquelle il avait fini par nous habituer. Et du coup, son film se rapproche de l’inoubliable « Dead of Night » de Bob Clark, qui voyait le mort-vivant non comme un monstre hideux avide de chair humaine, mais comme un « calque » humain abstrait qui devait affronter l’horreur d’un quotidien absurde dont il ne pouvait s’échapper, telle une éternité solitaire.

Si I Am A Ghost rebutera beaucoup d’entre vous de par son illustration sans fard et son absence délibérée d’effet chocs, si ses répétitions vous lasseront, si son minimalisme finira par avoir raison de votre curiosité, il n’en reste pas moins qu’il représente une alternative brillante au traditionnel « film de fantômes », en considérant ceux-ci comme nos propres doubles, évoluant dans une réalité parallèle sans aucune animosité. Mais Il pose aussi en second lieu une problématique intéressante, qui nécessite une lecture à plusieurs niveaux. Pouvons-nous avancer dans notre existence, nous accomplir, tant que nous n’avons pas réellement pris conscience de notre identité profonde, de ce que nous sommes, ce que nous voulons, quand bien même cette assimilation implique une souffrance intolérable et des sacrifices ? Et quelque part, la mort d’une certaine vision de nous-même ?

Plus qu’un simple film, I Am A Ghost est un miroir. Libre à vous de vous y regarder, et d’accepter ou non le reflet qu’il vous renvoie.

I Am a Ghost (Trailer)

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