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12 novembre 2014

MISTER BABADOOK

the-babadook-affiche-52dfcd363eb6aFaire un film d’horreur de nos jours consiste souvent à reprendre des recettes usées jusqu’à la corde, les recycler pour leur donner l’apparence du neuf, sans chercher à les éclairer d’une lumière nouvelle. Cette attitude simpliste basée sur la facilité d’utilisation des codes aboutit à un déferlement de pellicules toujours plus anodines, insignifiantes, qu’on regarde un paquet de chips à la main en s’amusant à en recenser tous les poncifs et toutes les incohérences. Et chaque année voit débarquer son lot de démarcations plus ou moins habiles de Blair Witch, [REC], L’Orphelinat, L’Exorciste, Scream et autres classiques du genre, inimitables et pourtant « surimités ». Une mère n’y retrouverait pas ses petits, et je pense que Wes Craven, Sanchez et Myrick, Balaguero et les autres doivent bien se marrer en constatant que personne n’essaie de voir les choses différemment, et que tout le monde se contente d’utiliser leurs astuces de réalisation pour accoucher d’œuvres aussi dispensables que lénifiantes de facilité. Et quand certains tentent une approche décalée, cela aboutit souvent à une catastrophe (je citerai pour exemple l’abominable El Bosque de los Sometidos, « film » argentin sorti en 2013 qui ferait passer n’importe quelle œuvre abstraite et incompréhensible d’art et d’essai pour un blockbuster évident).

Mais parfois, un film tente de voir plus loin que le bout de son nez, et aborde l’horreur non comme une sous-catégorie permettant de se défouler à moindre effort, mais bien comme un genre noble à part entière autorisant une expression personnelle dans un cadre étirable/déformable à l’infini. Et lorsque cela arrive, cela donne généralement une œuvre profondément personnelle, touchante, parfois traumatisante qui laisse un arrière-goût amer mais plaisant dans la bouche et le sentiment d’avoir vu quelque chose de différent. Et différent, The Babadook l’est assurément.

Mister Babadook (son titre français) raconte l’histoire D’Amelia, femme célibataire qui élève seule son fils de sept ans, Samuel. Profondément affectée par la mort de son mari, elle doit faire face aux problèmes comportementaux de Sam, enfant difficile incapable de s’intégrer, de se faire des amis, et qui est persuadé d’être tourmenté par des monstres. Amelia déteste son fils, qu’elle tient pour responsable de la mort de son mari. Elle gère tant bien que mal le quotidien, s’isole de plus en plus et fait montre d’une animosité certaine envers cet enfant qu’elle ne supporte plus et qui transforme sa vie en cauchemar. Un jour, Samuel trouve un livre illustré dans les rayons de la bibliothèque, et demande à sa mère de le lui lire. Ce livre, c’est l’histoire de Monsieur Babadook, créature des ténèbres qui frappe trois fois à la porte pour qu’on le laisse entrer, qui vous hante la nuit et vient s’emparer de vous. Dès lors, Samuel déjà fort impressionnable, est persuadé d’être poursuivi par cette entité diabolique, et le voit et l’entend partout. Amelia, au bout du rouleau, devient de plus en plus vindicative et agressive à son égard, au point de le traumatiser encore plus que ce monstre imaginaire qui ne semble vivre que son inconscient. Elle rejette toute forme d’affection, tombe dans le déni le plus total, et devient une menace pour son fils, qu’elle voit maintenant comme la cause principale de son trauma…Est-elle sous l’emprise de ce Babadook ? L’a elle invoquée en lisant ce livre ? Et surtout, quelle est la solution pour sortir de cette impasse ? Il semblerait que la mort de son fils semble être la seule porte de sortie, avant de sombrer dans la folie pure…Et si Babadook en fin de compte existait vraiment ?

Pour son premier long, Jennifer Kent (connue principalement pour avoir jouée dans Babe…) frappe fort et dur. Version développée de Monster, son premier court métrage (diffusé dans plus de quarante festivals dans le monde, et hautement recommandable), The Babadook est une formidable première œuvre visible à plusieurs niveaux. En premier lieu, l’Australienne offre un film d’horreur dans le sens le plus littéral du terme, d’une beauté formelle extraordinaire. L’intrigue prend place dans une maison de banlieue, ne s’aventure que très rarement en extérieur, et transforme le nid douillet familial en bunker truffé de pièges physiques et psychologiques, véritable labyrinthe de cachettes et de recoins sombres. Le soin apporté à chaque détail est remarquable, comme en témoigne ce fameux livre pour enfants Mister Babadook dont le trait emprunte volontiers à l’expressionisme allemand des années vingt, Nosferatu en première ligne.

Au-delà de ce soin apporté aux graphismes et aux décors, The Babadook est avant tout un film d’interprètes. Si les personnages secondaires restent anecdotiques, c’est tout simplement parce que le cœur du film n’est constitué que de cette cellule familiale réduite à l’extrême, et centré sur l’affrontement affectif entre une mère et son fils. Ce dernier, perturbé par la mort de son père, instable au point de sembler hyperactif voire sociopathe, est incarné avec une maestria incroyable par le jeune Noah Wiseman. La construction très maligne le montre sous deux angles différents, et le fait passer du stade de persécuteur à celui de victime/proie terrifié par les évènements perturbant son quotidien. Privé de toute connaissance de son défunt père, Sam/Noah cherche la vérité au point de contrarier de plus en plus sa mère, qui ne supporte pas que cet enfant cherche à se rapprocher du souvenir d’un homme dont la vie lui a été volée.

Amelia, devient si convaincante à travers l’interprétation d’Essie Davis (Matrix, The Pact), qu’on pourrait presque parler de schizophrénie. A l’inverse de son fils qui au fur et à mesure du métrage inspire de plus en plus la pitié, Amelia/Essie se déshumanise petit à petit, au point de devenir encore plus effrayante que ce monstre dont elle nie l’existence. Parfaite dans la peau de cette mère désespérée qui supporte de plus en plus mal une vie qu’elle n’a pas choisie, Essie Davis transcende ce rôle à priori simple et cadré, pour finalement offrir une performance digne du Jack Nicholson de Shining. Et la comparaison, qui vous semblera sans doute exagérée, est pourtant pertinente et d’importance. Car The Babadook, petit film indépendant aux moyens dérisoires (30,071 dollars, budget ultra serré collecté grâce à une participation extérieure via Kickstarter, site de crowdfundind), pourrait être le plus bel hommage moderne rendu à la collaboration inoubliable entre Stephen King et Stanley Kubrick.

Si Kubrick à l’époque privilégiait le cadre immense de l’Overlook Hotel pour illustrer la folie évolutive de Jack Torrance, Kent préfère l’espace restreint d’une maison individuelle pour mettre en forme celle d’Amelia. Mais ne vous y trompez pas. Si la mise en « demeure » est différente, le traitement reste le même, et les analogies entre les deux personnages sont nombreuses. Tout d’abord, même si Amelia est aide-soignante/infirmière dans une maison de retraite, sa passion initiale est l’écriture, celle de livres pour enfants, tout comme Jack Torrance était lui-même romancier. Tous deux mettent la pauvreté de leur existence sur le dos d’un petit être innocent, responsable de tous leurs maux. Et leurs deux esprits malades créent un univers parallèle, peuplé de fantômes et de monstres pour justifier leur démence. Mais si Danny Torrance trouvait en sa mère et ce gardien d’hôtel deux protecteurs assurant plus ou moins sa sécurité, le pauvre Samuel est seul, et doit se défendre avec ses petits moyens pour lutter contre ces menaces terribles qui en veulent à sa vie. Et de film d’horreur graphique, The Babadook finit par tomber dans les affres d’un drame passionnel sans doute plus terrifiant que s’il s’était cantonné au film de monstre domestique classique. Mais ne soyez pas déçu, car il fait quand même peur, et vraiment parfois.

The Babadook pose en effet une question tabou, qui a du traumatiser beaucoup de femmes à travers les siècles. En tant que mère, a-t-on le droit de ne pas aimer son propre fils, au point même de le détester et de le rejeter, en le tenant responsable d’un état psychologique trouble ? Doit-on s’oublier soi-même pour ne plus vivre qu’à travers lui, en oubliant au passage ses propres envies/besoins ? Ce film atypique essaie de donner quelques pistes, à défaut de réponses claires…Il semblerait en effet que lorsque ce cas de figure arrive, une mère se voit alors elle-même comme un monstre, incapable de faire face à ses problèmes, les refoulant au plus profond d’elle-même, au point de devoir les matérialiser sous forme d’entité extérieure pour pouvoir les assumer. Deux scènes corroborent ce constat, différentes dans la forme et le fond. Prenons pour premier exemple ce segment durant lequel Amelia se masturbe dans son lit, seul plaisir lui étant permis depuis la mort de son mari et de par son refus de retrouver l’amour. L’orgasme progressif de cette mère seule est parfaitement mis en forme, monte en tension, avant d’être violemment interrompue par l’irruption de son fils dans sa chambre. Si cette scène peut paraître gratuite au prime abord, elle illustre à merveille le postulat qui prouve que pour beaucoup, la femme sujette au désir et au plaisir doit s’effacer devant la mère, au risque de frustrer encore plus et de provoquer encore plus de rejet envers cette créature qui phagocyte toute l’attention de sa simple présence.

Impossible non plus de ne pas parler du final – que je ne vous dévoilerai bien sûr pas – qui offre un dernier clin d’œil en forme d’impasse, comme si toute échappatoire était impossible.

The Babadook vous offre deux alternatives en fin de compte. Pris au premier degré, en s’attachant à l’atmosphère et au graphisme, c’est un film de monstre enfantin qui prend aux tripes et ne tombe pas dans le piège du scare jump à outrance, tout en jouant constamment sur l’opacité de l’obscurité et du traitement sonore efficace. Mais en fouillant un peu plus, il se révèlera entièrement, sous sa forme absolue de drame familial terrible, opposant un enfant en manque total d’amour et une mère qui ne peut pas lui en donner. Il pose aussi le problème du deuil, étape indispensable pour avancer émotionnellement, que certains refusent, incapables de tourner le dos au passé pour regarder vers l’avenir. Mais d’une façon ou d’une autre, ce film est une petite merveille qui apporte du sang neuf au genre, et qui fait montre au regard de son budget ridicule d’une formidable inventivité dans le désir de raconter une histoire simple, mais poignante.

 

MISTER BABADOOK - Bande Annonce VOST

 

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