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6 janvier 2015

MISS VIOLENCE

50130Quid de la situation du cinéma grec en 2015 ? On connaît bien sur le travail de YorgosLanthimos, responsable des recommandables Canine et Alps (à voir d’urgence, si ce n’est déjà fait), mais aussi celui d’Athina Rachel Tsangari (le remarquable et démarqué Attenberg, ainsi que ses nombreuses productions). Nous pouvons définitivement ajouter à cette courte liste subjective le nom d’Alexandros Avranas, qui vient de frapper très fort avec son deuxième long, Miss Violence. En avant- propos, et en préambule de cette chronique, je me permettrai de préciser en guise d’avertissement que Miss Violence est peut-être le film le plus perturbant sur son sujet que j’ai pu voir dans ma vie. Et pourtant, vous le savez, je suis un habitué des œuvres dérangeantes, spécialement dans ce créneau plus que délicat. Mais il me faut l’avouer, certaines séquences de ce film m’ont indéniablement pris aux tripes, mis mal à l’aise, et son traitement général m’a coincé dans une position assez désagréable, bien qu’au final, j’ai été enthousiasmé par la vision globale de l’histoire. Et la gageure de cette critique sera de vous donner envie de voir ce film (bien que cette expression soit particulièrement mal choisie dans ce cas précis), sans vous en dévoiler la teneur ni les détails. Tentons le pari…

L’histoire s’ouvre sur la fête d’anniversaire d’Angeliki, 11 ans. La famille est réunie, l’ambiance est festive, il y a de la musique…Une scène de joie banale comme tant d’autres, si ce n’est qu’au bout de quelques minutes, la jeune fille se dirige sur le balcon, enjambe la balustrade, regarde fixement la caméra avec un sourire, et se jette dans le vide. De ce point de départ affreusement macabre, va découler la description de ce qui semble être une cellule familiale normale, devant faire face à un deuil soudain et imprévisible. Cette famille qui à l’origine ne semble présenter aucune particularité, va très vite s’avérer étrange. Constitué de six membres dont on ignore les liens au départ, elle est dirigée d’une main de fer par celui qui nous est présenté comme le père de la plupart des enfants, la grand-mère, Eleni, l’aînée, Myrto la cadette, et les deux plus jeunes, Philippos et Alkmini. Suite au suicide d’Angeliki, le père décide d’adopter une réaction radicale, tournant la page du jour au lendemain, allant jusqu’à jeter les affaires de l’enfant le lendemain de sa mort. Les émotions sont dissimulées, comme si cet « accident » n’était qu’un épisode fâcheux qu’il convient d’oublier le plus vite possible. La vie « normale » reprend son cours, le père trouve un nouveau travail, les enfants repartent à l’école, mais les services sociaux ne voient pas les choses du même œil…Que s’est-il vraiment passé ce jour-là ? Pourquoi cette enfant, apparemment sans problèmes, à elle décidé de mettre fin à ses jours, un large sourire sur son visage le jour de son onzième anniversaire ? Les réponses à toutes ces questions nous seront données progressivement, révélant un mécanisme infernal très bien huilé qui repoussera les limites de la perception de la souffrance…

Comme je le précisais en amont, Miss Violence est comme son titre l’indique, d’une violence insoutenable. Pour avoir vu des dizaines de films similaires, je crois être en droit de dire qu’il s’agit là d’un des pires/meilleurs de sa catégorie. Comprenez. J’ai conscience de la réalité du monde et de ses atrocités. J’ai eu la désagréable surprise de voir de mes yeux, et d’expérimenter les aspects les plus sombres de l’âme humaine. Ce film n’a donc pas été une révélation pour moi, encore moins une épiphanie. Mais le parti pris de réalisation d’Alexandros Avranas est à ce point parfait que son œuvre agit comme un uppercut en plein dans l’estomac, vous donnant la nausée sans jamais tomber dans le nauséabond, et ça, c’est admirable, quoiqu’on en dise.

Avranas a d’abord soigneusement choisi ses personnages, et les acteurs qui les incarnent. De ce point de vue-là, ses décisions furent les meilleures. Sa cellule familiale, aux contours flous mais honorables, révèle sa vraie nature par petites touches, d’abord discrètes, puis plus évidentes, avant de laisser éclater la vérité avec une sauvagerie inouïe, précédant un final trouble qui laisse un arrière-goût particulièrement désagréable dans la bouche, et un poids sur le cœur. Le but de son film n’est pas d’expliquer une situation, ni de la justifier, ni de la condamner. Il ne souhaite par le biais de son medium que décrire une situation existante, d’une façon incroyablement intelligente collant à une réalité sociale effrayante. Crédible, c’est le mot. Cette crédibilité est d’ailleurs si précisément illustrée par sa mise en scène et par l’interprétation bluffante de sa troupe, que le malaise instauré devient palpable et terrifiant.

En premier plan, j’évoquerai l’interprétation habitée et hallucinante de Themis Panou, en chef de famille tyrannique, soufflant en permanence le chaud et le froid, sans jamais se départir d’un calme olympien (de circonstance). Bien loin de l’image qu’on se fait d’un tel personnage, ce père placide aux gestes mesurés est aux antipodes de l’incarnation qu’on se fait de son caractère propre, et apparaît même durant la plupart du métrage comme un voisin lambda, faisant vivre sa famille comme il peut, toujours poli et prévenant. Dans la peau de sa fille instable, Eleni Roussinou fait aussi forte impression. Pour ceux ayant connu des femmes à l’existence aussi pitoyable que la sienne, son jeu suscite l’émerveillement, le respect total tant il colle à la réalité par son mélange subtil de terreur (sa gestuelle et ses regards dans ce cas précis devraient faire école dans les grands cursus d’apprentissage du métier), de « joie », mais aussi de passivité face à une vie horrible dont elle ne peut s’extirper.

A contrario, la jeune Sissy Toumasi insuffle à Myrto toute la rébellion, la violence inhérente à l’adolescence brisée en vol que son rôle nécessite. D’une beauté troublante, elle traverse le film presque comme un fantôme, fantôme qui se matérialisera soudain lors d’une scène atroce, que je n’ai pas pu regarder de front…Niveau réalisation, le travail d’Avranas est remarquable. Avec sa photographie terne et sans contraste (la plupart des scènes se passent à l’intérieur de l’appartement), son opposition entre des sous-sols/greniers infects et des salons richement décorés, ses silences soudain interrompus par des chansons saugrenues, le grec plante un décor hyper réaliste, qui ne tombe jamais dans le misérabilisme qu’on peut attendre de la description d’un tel univers. Mais la force de Miss Violence réside dans ses non-dits, ses hors champs qui soudain explosent dans une franchise graphique insoutenable. Si le réalisateur privilégie sur les trois quarts de son métrage les cadrages excentrés, les plans fixes à l’écart de l’action, c’est qu’il comprend – et nous aussi – que ces portes qui se ferment, ces regards qui se perdent dans le brouillard ou dans les larmes, ces sous-entendus en disent bien plus que n’importe quelle démonstration formelle évidente.

Mais Miss Violence, malgré/grâce à ces ellipses, dérange, au plus au point. Parce qu’il fait appel à une imagination concrète et évidente. Si l’on devine assez vite le secret de base de cette famille (mais seulement en surface, les détails apparaissant petit à petit…), là n’est pas le propos. On sait, mais on ne peut rien faire, rien faire d’autre qu’attendre de savoir si l’horreur va se transformer en ignominie, et si l’ignominie va dégénérer en abjection pure et simple. Et c’est évidemment ce qui se produit, sous nos yeux. Comme un Michael Haneke moins délibérément sadique et joueur, Avranas prend le spectateur en otage, lui montre ou lui fait deviner ce qu’il n’a pas envie de voir, en lui faisant justement croire qu’il ne verra rien, jusqu’à ces rares moments de violence fulgurante ou l’écœurement le dispute à la surprise viscérale. Si la scène de souffrance de Myrto est la plus horrible du lot (une fois de plus, il est pratiquement impossible de ne pas détourner le regard), celle « d’initiation » de la petite Alkmini dépasse les limites de l’ignoble. Non par un graphisme voyeuriste, mais justement par ce décalage atroce entre un comportement purement enfantin – introduit en amont par une autre scène similaire dans la forme – et les intentions adultes qui en découlent. Ces quelques minutes qui visuellement sont hors du champ de la démonstration, mais en plein dans la suggestion sans équivoque, sont à ce point pénibles que mon estomac s’en est trouvé noué, me retrouvant face à face avec une réalité que j’ai bien connue, et que j’ai en horreur depuis des décennies. Mais je vous laisse seuls juges. Saurez-vous aller jusqu’au bout ?

Pour être clair et trancher dans le vif,  Miss Violence repose sur une dualité patente. C’est sans doute le meilleur film jamais réalisé sur ce thème délicat, et pourtant, beaucoup de gens auront du mal à le regarder. Il dénonce bien sur plusieurs problèmes de société (hyper sexualisation précoce des enfants, réseaux sociaux pièges), mais démontre aussi de quelle façon des milliers de familles trompent les services sociaux par une apparente cohésion interne instaurée à grands coups de terreur, de silence, et de récompenses illusoires censés faire oublier la triste réalité. Miss Violence, c’est l’absence totale d’empathie, la disparition de l’amour, le sordide du quotidien qu’on subit sans relâche, jour après jour. C’est la stigmatisation de la banalité de l’horreur, sa dissimulation sous le paravent de la respectabilité, c’est une façon de souligner que la souffrance est bien au coin de la rue, près de chez vous, chez vos voisins peut être. Que le monstre du placard est peut être cet homme, qui vous dit bonjour tous les matins, qui conduit ses enfants à l’école avec bienveillance. Que cet élève que vous avez dans votre classe, qui sourit, qui parle à ses camarades est peut-être l’objet d’une convoitise vicieuse qui ruinera sa vie à jamais…

 

Miss Violence est un film qu’il faut voir. Mais on a toujours le choix. On peut connaître la réalité du monde, et refuser de la regarder. Ou, au contraire s’en repaître, pour appréhender au mieux les ténèbres qui recouvrent petit à petit l’espoir. Aucun choix n’est préférable, il s’agit de la sensibilité de chacun. Mais sachez-le, et je pèse ici mes mots. Vous ne prendrez aucun plaisir à voir ce film. Si vous choisissez de le faire, et que vous êtes d’une constitution morale normale, d’une empathie raisonnable, vous serez choqué, horrifié par le spectacle offert. Réfléchissez bien. Mais il faut parfois regarder la bête dans les yeux pour ne pas l’oublier. Vous voilà prévenus.

 

Miss Violence Official Trailer

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