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13 janvier 2015

METALHEAD

MV5BMTQ1NTI4MjE5MV5BMl5BanBnXkFtZTgwNzI1MzgxMDE@Les films traitant du Heavy Metal et/ou l’utilisant en toile de fond se déclinent généralement en pochades (Wayne’s World, This Is Spinal Tap), comédies musicales (Rock of Ages), documentaires (The Decline of the Western Civilization II et II, Anvil, Metal: A Headbanger’s Journey), films « catastrophe/hagiographie grotesque» (Kiss Meets the Phantom of the Park, Rock N’Roll Nightmare), ou tirades horrifiques pas forcément recommandables (Rock Zombies, Shocker, Trick Or Treat). Mais le drame, genre noble par excellence, est très réticent à intégrer dans sa narration l’ambiance sombre et violente de cette musique, et les exceptions « courageuses » sont rares et notables. Si Rock Star sentait la biographie déguisée et malhabile (en plus d’être un métrage très moyen, sans notion de durée), Hesher avec le magique Joseph Gordon-Levitt semblait offrir un renouveau, un souffle chaud et tragique plaçant notre musique de prédilection au premier plan d’une action crédible et attachante. Soit. A cette très courte liste, nous pouvons aujourd’hui rajouter un titre, Málmhaus (Metalhead en Europe/USA, même modulation que Hesher d’ailleurs) du décidemment très atypique et décalé Islandais Ragnar Bragason.

Bragason, c’est un peu la fierté du peuple islandais, au même titre que Björk. Il accumule les séries TV à succès, les documentaires, mais sait aussi parfois sortir de son plan de carrière pour proposer des films marginaux, toujours emprunts de douce violence et de délicieux décalage narratif. C’est une fois de plus le cas avec Málmhaus, mais son talent naturel se retrouve ici transcendé, tant l’équilibre entre l’austérité des paysages ruraux islandais, le récit profondément humain, l’humour typiquement nordique, et l’opposition avec la crudité de la bande son atteint une perfection rare. Et ne vous méprenez pas, cet avis semblant un tant soit peu dithyrambique n’est pas conditionné par une affection personnelle à l’égard d’une bande son trop rarement utilisée judicieusement, mais bien la conclusion d’un spectateur amateur de tragédies et de drames humains traités avec finesse et amour. Oui, osons le mot. Car avant toute chose, Málmhaus est une fantastique histoire d’amour, familiale, et musicale. Peu importe que celle-ci soit rythmée par les accords tranchant du Heavy/Black Métal.

Le film s’ouvre sur une scène champêtre. Les enfants s’amusent au soleil, tandis que l’ainé travaille aux champs. Les rires fusent, quand soudain Baldur, le grand frère, tombe du tracteur et se fait scalper par les pales de la machines. Le temps s’arrête, les esprits sont confus, mais dès lors, et presque inconsciemment, Hera sait que plus rien ne sera comme avant. Car Hera aime son frère, qui est son modèle. Elle aime le regarder et l’écouter jouer de la guitare. Elle aime ses influences, ces groupes de Heavy Metal qu’il affectionne tant. Et cette perte la propulse dans une solitude qu’elle comble en adoptant une attitude provocatrice, rejetant ses parents, ses amis, et son entourage. Elle qui depuis son enfance souhaitait quitter son petit village pour rejoindre la ville, continue de se rendre chaque jour à l’arrêt de bus, sans jamais y monter. Elle erre de beuveries en boulots pénibles, de conneries accomplies sous l’influence de l’alcool en parties de guitare homériques, sans jamais assécher sa peine, qu’elle dissimule sous un comportement mimétique et rebelle, qui inquiète ses parents. Mais son rêve est là. Honorer la mémoire de son frère, devenir une star du Métal, et partir, à jamais. Et lorsque son chemin croise celui d’un prêtre un peu plus compréhensif que la moyenne, la machine dérape. Jusqu’au jour où elle commet l’irréparable, et brûle une église, après avoir vu un reportage sur la scène Black métal naissante. Dès lors, elle s’enfuit, mise au ban du village qui en a assez de ses exactions, et rejetée par ses parents qui ne savent plus quoi faire. Ses propres parents qui sont sans le savoir atteint du même mal que leur fille, ce mutisme qui les empêche de laisser partir leur chagrin, et qui les emprisonne dans une cage morale faite de douleur et de ressentiment…

Málmhaus fait partie de ces œuvres (très) rares, qui distillent le drame sans tomber dans le pathos, qui cisèlent des situations quotidiennes tragiques, tout en donnant le sentiment de poser une caméra au coin de la grange sans prendre parti. Tout en présentant la campagne islandaise dans toute sa monotonie, avec de longs plans larges fluides dépeignant avec une candeur virginale et honnête la solitude des agriculteurs nordiques, Ragnar Bragason strie son récit de fulgurances émotionnelles, tranchant dans le vif avec la situation quasi inextricable et infinie de sa thématique.  Et comment arrive-il à ce résultat quasi parfait ? Tout simplement en racontant une histoire simple, touchante. En aimant son pays, tout en pointant du doigt le fardeau que certains de ses concitoyens doivent porter, en aimant ses personnages, en aimant cette musique, en surtout, en aimant profondément son héroïne, belle, complexe, déterminée et pourtant si fragile.

Je dois l’avouer, je suis complètement tombé sous le charme de Hera/ Þorbjörg Helga Þorgilsdóttir (oui, c’est bien son nom…). Belle comme un hiver nordique, au profond regard bleu acier, elle est le moteur de ce film de bout en bout, agitant chaque scène de sa silhouette gracile et de sa chevelure sombre. Hera, c’est la petite sœur que chaque metalhead rêve d’avoir. Celle qui vous admire dans l’ombre, qui aime vos disques, qui vibre au son des groupes que vous adulez, en gros, qui vous aime comme un modèle, et qui vous suit comme une ombre discrète mais solidement attaché à votre vécu. La tragédie que Hera doit affronter, est malheureusement d’un commun bien connu de millions de personnes dans le monde. La perte d’un être aimé, la difficulté d’affirmer sa propre personnalité dans le souvenir d’un frère perdu, ce deuil qui pèse sur vos épaules jour après jour, vous empêchant de vous construire un avenir, vous ramenant sans cesse vers un passé qui aurait dû vous offrir une autre vie. Mais Hera, c’est aussi la détermination d’une adolescente/jeune adulte qui voit dans sa passion une planche de salut. Une possibilité de ne pas connaître le même sort que la plèbe, de sortir du lot, d’une façon ou d’une autre. Si le contraste entre Hera et ses parents, dévots impassibles semble énorme au début du métrage, celui-ci s’estompe petit à petit, pour que la tristesse que chacun combat de toutes ses forces finisse par éclater d’une façon ou d’une autre, lors d’une métamorphose/épiphanie cathartique.

Si le Métal est bien présent tout au long du film, par le biais de classiques, Judas Priest, Iron Maiden, Teaze en tête de liste, le Black est lui effleuré, plus en tant que contexte/étincelle que comme phénomène de société. Certes, Hera arbore le temps d’une scène le fameux corpsepaint d’Immortal/Dark Throne et consorts, et se jette à cœur perdu dans les cris rauques et hystériques autrefois lacérés par Dead/Vikernes, mais il ne faut pas voir en Málmhaus un état des lieux du Black Métal des origines, loin de là. Le sujet est vite évacué (un simple reportage TV de quelques secondes sur les églises norvégiennes brûlées), et n’est utilisé que comme rejet total de la société par le biais de la pratique d’une musique extrême et radicale, honnie par les bigots locaux.

Impossible aussi de ne pas souligner l’extraordinaire performance d’Ingvar Eggert Sigurðsson, en père aimant dépassé par les évènements et coincé entre une fille perdue et une femme terrassée par le passé, et Halldóra Geirharðsdóttir, en mère rigide et femme inflexible, brisée par la perte de son fils et incapable d’exorciser sa douleur par peur de paraître trop faible. Si Málmhaus dans sa première partie privilégie le drame familial, l’arrivée soudaine de trois jeunes musiciens permet au réalisateur de se lâcher un peu, offrant à ce moment-là à son métrage ses instants les plus délicatement grotesques, opposant la naïveté juvénile des trois ados au drame ambiant qui oppose Hera et son petit ami/ami d’enfance par défaut, lors d’une scène hilarante et pourtant touchante de rupture sur le parking d’un dancing glauque.

Formellement, le film est d’une beauté troublante pour peu que les paysages islandais et la sensation d’isolement qui découle de leur vision vous touche. Ragnar Bragason s’amuse à renforcer les longs travellings externes par de longs plans séquences internes en caméra fixe, pour mettre l’emphase sur la solitude interne/externe écrasante subie par tous ses personnages. Sa photographie épurée et très peu contrastée, reste dans les tons bleutés extérieurs et jaunes/verdâtres pour l’intérieur, comme si la seule échappatoire était ce froid glacial et ces longues étendues désertiques, au travers duquel l’héroïne devra passer pour s’extirper enfin de son long coma psychologique. La musique est évidemment omniprésente, mais sait se faire discrète et rester en arrière-plan lorsqu’il le faut. L’emphase sur les hurlements de Hera se fait alors encore plus forte, et offre une première séquence émouvante et jubilatoire, lorsque celle-ci se produit enfin devant tout le village avec ses trois compères. Ce petit set commence sous des auspices totalement Black, avant que Hera ne réalise sa nature profonde, et laisse sa haine et sa misanthropie de côté pour laisser parler son côté le plus fragile sur fond de Heavy agressif et mélodique.

Et que dire de cette scène finale en forme de thérapie de groupe, lorsque Hera et ses parents se laissent aller à une danse frénétique sur fond de Heavy Metal ? Tous enfin libérés du poids de ce deuil qu’ils portaient comme un fardeau, ils se jettent à corps perdu dans un headbanging aussi drôle que touchant, et votre serviteur n’a pas honte d’avouer que cette séquence incroyablement émouvante lui a arraché quelques larmes de joie, retenues depuis un petit moment…    

Certains esprits chagrins regretteront bien sûr d’avoir été en quelque sorte « trompé sur la marchandise ». Non, Málmhaus n’est pas un film sur le Black Metal. A peine un film sur le Heavy Metal à la rigueur. Il peut être vu, en seconde lecture superficielle, comme un résumé de la situation des pays nordiques à l’orée des années 90, lorsque la scène extrême balbutiante crachait sa haine de la société et de la religion. On peut imaginer, en tirant sur la corde, une métaphore entre Hera et les acteurs norvégiens de l’Inner Circle…Mais ne voir en Málmhaus que ceci serait une insulte grave à son sujet de fond et son traitement subtil. Car il n’est rien d’autre, comme je le disais plus tôt, qu’une merveilleuse histoire d’amour. Celle d’une sœur pour son frère, parti trop tôt, pour cette musique qu’il aimait tant, et pour la vie, disons-le. Et au final, il restera une formidable fable humaniste, véritable plaidoyer pour la différence, la dignité, et l’acceptation de soi. Une célébration de la vie en quelque sorte.

Et pour un peu, malgré tout ce que vous aurez pu voir, il vous donnera presque envie d’aimer l’Islande. Mais préparez quand même vos moufles et vos mouchoirs.

METALHEAD Trailer VOSTA

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