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19 janvier 2015

WHIPLASH

2495583-whiplash-film-coup-de-fouet« Not my tempo ! »

Le tempo. En cinéma, comme en musique, c’est lui sur lequel on construit une œuvre, c’est lui qui bien évidemment la rythme, c’est lui le backbone, le timekeeper. C’est une signature, la plus importante qui soit. En Jazz, le tempo est crucial, car précis et capricieux à la fois. Sur une base ternaire classique, le batteur – selon son niveau et les exigences du style – va broder, s’amuser avec les signatures pour faire planer, s’envoler, traîner, ou cavaler une partition. Peu importe que vous mettiez la noire à 60 ou 315, le principe est toujours le même. Donner une sensation de liberté à l’auditeur tout en collant à la double croche près au tempo. C’est ce qui permet au « Take Five » de Dave Brubeck de vous promener avec légèreté tout au long de son 5/4 mutin, et à son « Blue Rondo à la Turk » de traîner des pattes et vous perdre grâce à son 9/4 malicieux. Mais peu importe ces considérations techniques. Vous êtes à même d’apprécier un morceau de musique sans pour autant être capable d’en analyser les finesses. Mais il convient pour mieux savourer une œuvre d’en saisir les nuances pour être capable d’en mesurer toute l’importance. Et il en va de même pour le cinéma. Un film, quel qu’il soit, est construit autour d’une histoire, histoire que l’on suit selon un rythme bien précis, dont le but est de vous emmener là où il faut, de la façon la plus précise qu’il soit. Un rythme qui va ménager les pauses, les temps morts, les accélérations, les fulgurances pour transcender son propos ou simplement l’illustrer. Et aujourd’hui, je vais vous parler d’un film au tempo parfait. Un film qui a su calquer sa réalisation sur sa musique, avec une précision diabolique, à la triple croche près. Un film qui colle la noire à 50, puis a 125, et soudain à 300 pour la redescendre à 50, avant de la jucher à 350 pour vous couper le souffle et menacer de faire exploser votre cœur. Un film à la partition parfaite, écrite avec amour et jouée avec passion. Un film, qui comme le meilleur des morceaux de Jazz vous emporte dans un tourbillon, vous perd, vous fascine, avant de vous faire chavirer dans un dernier élan de virtuosité.

 

Get the fuck off my sight before I'll demolish you!

 

Whiplash nous présente Andrew, batteur en première année d’école de Jazz. Sans fioritures, Damien Chazelle nous l’introduit dès le début du film, en pleine répétition. Andrew, derrière son kit sommaire, balance inlassablement les mêmes attaques, d’une concentration totale, jusqu’à ce qu’un homme fasse irruption dans la pièce. Ce dernier lui demande de rejouer sa partie, l’écoute, l’observe, puis quitte la pièce sans prévenir avant de revenir…chercher sa veste. Point. Cette rencontre fortuite, d’apparence anodine, va changer la vie d’Andrew, placée jusqu’à lors sous des auspices plutôt cools…Andrew va au ciné avec son père, rencontre une jolie fille qu’il tente de séduire, et suit les cours de première année, en tant que batteur remplaçant d’un orchestre de niveau moindre. Jusqu’au jour où Terence Fletcher, l’homme à la veste, fasse irruption dans sa salle de répétition pour auditionner des musiciens. Audition qu’il mène de façon lapidaire, en multipliant les remarques désobligeantes et blessantes. Car il sait déjà ce qu’il est venu chercher. Il est venu pour Andrew, dont il a remarqué le potentiel et qu’il juge suffisamment capable pour intégrer SON ensemble, le plus prestigieux de l’école. Car Terence Fletcher à une réputation. Celui d’enseignant d’élite, de ceux capables de lancer votre carrière où de la détruire. Dans son cursus, l’empathie et la compréhension n’ont pas leur place. Fletcher manie ses élèves à la baguette, qu’il a dure et acerbe, comme ses saillies sanglantes qui vous laissent sur le carreau. Car il ne tolère que l’excellence, l’exception. Et Andrew va devoir assimiler cet état de fait, car il va devenir le jouet de ce musicien intransigeant, qui ne supporte aucune approximation, et qui est capable de virer n’importe quel instrumentiste surdoué sous un prétexte mineur…Dès lors, Andrew va souffrir. Physiquement, car il va s’entraîner sans relâche pour mériter sa place au sein de l’ensemble, mais surtout psychologiquement, devant subir brimade sur brimade, insulte sur insulte, humiliation sur humiliation. Mais il comprend progressivement que c’est le prix à payer pour intégrer cette caste de musiciens d’exception ayant marqué l’histoire du Jazz de leurs interventions surréalistes…Tiendra il la distance ? Supportera-il la somme des efforts à fournir pour en arriver là ? Réussira-il à rester lui-même, à ne pas se trahir tout en continuant à s’accrocher à ses rêves ? Et surtout, parviendra-il à travailler aux côtés d’un homme qui ne semble connaître que la violence et le harcèlement moral pour arriver à ses fins ? Telle est la question que pose Whiplash. Souhaitez-vous connaître la réponse ?

 

If you want the fucking part, earn it!

Je n’irai pas par quatre chemins. J’ai vu assez de films dans ma vie pour pouvoir balancer ce genre de postulat tout en sachant que je n’exagère pas. Whiplash est un chef d’œuvre. Peu importe que vous le classiez dans la catégorie des films musicaux, des drames, ou même du Thriller psychologique pourquoi pas, il passe toutes les barres haut la main, du début à la fin. Il fait partie de ces œuvres rares qui vous hantent des heures après leur fin, et dont le succès repose sur plusieurs facteurs. Une rigueur de construction, une discipline d’interprétation, et une liberté de ton cachée par une bonne dose de précision rythmique. Car Whiplash, comme je le disais plus tôt, est composé comme un standard de Jazz, avec ses signatures rythmiques parfois surprenantes, ses silences, ses breaks fulgurants, et son final orgasmique qui tord la thématique principale avant d’y revenir. C’est un crescendo époustouflant de maestria, durant lequel deux acteurs montent en puissance sous l’égide d’un réalisateur surdoué qui manie les changements de tempo comme Buddy Rich s’amusait avec la noire.

Comme pour tout standard de Jazz immortel, un film a besoin d’interprètes de haut vol, capables de suivre à la lettre une partition complexe tout en prenant des libertés avec elle. Mais cela ne suffit pas. Car même en prenant trois virtuoses dont la technique ne souffre d’aucune critique, vous n’obtiendrez pas le trio idéal, si les individualités ne se complètent pas pour former un tout. Et dans le cas de Whiplash, le duo formé par Miles Teller et J.K Simmons est tout simplement magique. L’osmose entre les deux interprètes est si parfaite qu’elle en donne le tournis. Dans la peau du jeune musicien en plein apprentissage, Teller donne une fois de plus la mesure de son talent, comme il le faisait dans le magnifique The Spectacular Now. La silhouette un peu gauche, l’œil torve, il entame le métrage plein de doutes, d’approximations, avant de s’affirmer pleinement et de se rebeller pour que sa métamorphose opère enfin sous les coups de boutoirs d’un pygmalion pas comme les autres. Dans la peau du mentor/tortionnaire, Simmons est fulgurant, tout de rage contenue qui explose lors de crises terribles, ombrageux, capricieux, élitiste, le genre de personnage que l’on adore détester, et qu’on finit par aimer d’une certaine façon lorsque la carapace tombe par petits lambeaux, révélant une humanité certes déviante, mais bien présente.

Car Whiplash, soyons clair, repose presque entièrement sur l’affrontement entre ces deux personnages qui ne se feront aucun cadeau. Et pour illustrer cette lutte psychologique et physique, Chazelle fait preuve d’une créativité hors norme dans sa mise en scène, multipliant les plans, cassant le rythme par un montage heurté et haletant, opposant les plans larges aux zooms sur les détails, s’attardant sur quelques gouttes de sang sur des cymbales avant de revenir se figer sur le visage tordu de douleur d’un instrumentiste en plein effort. Rarement dans un film la caméra aura joué à ce point le mimétisme avec l’instrument, offrant à certaines scènes une emphase dramatique que l’on ne retrouve que dans quelques rares soli de Free Jazz, virevoltant autour d’un thème avant de le briser en plein vol d’un simple geste de la main, appuyé par une caméra soudain statique. Avec ses couleurs chaudes et douces, la photographie vous balance en plein club New Yorkais moite, au centre d’une salle de répétition anonyme, donne du relief à chaque goutte de sang et de sueur, polit les cuivres et matifie les peaux, assombrit les recoins et inonde de lumière le centre…Et la musique bien sûr…Jazz évidemment (comme le dit un poster accroché au mur de la chambre d’Andrew, « Si vous n’y arrivez pas, faites du Rock »…), musique d’exception dans laquelle finissent toujours par tomber les musiciens les plus fameux, qui rythme de ses accents pointus et de ses libertés mélodiques un film qui loin de l’utiliser comme simple gimmick, finit par la personnifier à merveille. On peut voir en Whiplash la volonté d’un homme passionné, dévoré d’ambition, rongé par la morgue et la condescendance (certaines scènes nous y aident, notamment celles du repas de famille et de la rupture sentimentale), sûr de son potentiel et de son talent, et Chazelle nous y incite même, tant il finit par placer ses deux personnages au même niveau. On peut aussi y voir la quête éperdue de deux âmes isolées par une envie d’absolu qui finissent par tomber sur leur alter égo, situation inédite qu’ils n’arrivent pas à gérer émotionnellement, voire qu’ils refusent en bloc. On peut y voir la douleur, la souffrance, mais aussi le bonheur, la jouissance d’avoir enfin réussi à accomplir l’impossible, d’avoir repoussé ses limites, dans un sens comme dans l’autre.

 

« I was there to push people beyond what's expected of them. I believe that's an absolute necessity.

 

Mais on peut surtout y voir un fantastique et incroyable crescendo, sans couplet ni refrain, qui commence sa montée faramineuse dès l’introduction de son thème principal, crescendo dont on ne fait que deviner les hauteurs, et qui finit par se révéler encore plus culminant qu’on ne croyait. Alors que le corps du film nous fait escalader la face la plus sombre et opaque de l’âme humaine, sous son versant d’effort terrible qui nous plante des double croches acides dans le cœur, le final suffocant et d’une beauté le confinant presque à l’asphyxie mentale et émotionnelle vous enserre la poitrine, et vous jette en pleine montée apocalyptique, soufflant le bouillant et le glacé avec un doigté plus fin que l’olive d’une baguette usée. Lors de cet ultime affrontement, construit comme un solo interminable débutant par une entourloupe rythmique, les deux acteurs finissent par tout donner, dans un duel extraordinaire durant lequel leurs émotions deviennent si vraies qu’elles font peur, révélant enfin leur véritable nature, avant de laisser l’exaltation si longtemps contenue exploser à la face d’une caméra qui n’a plus qu’à contempler le spectacle offert, d’une émotion si rare qu’on en oublie tout ce que l’on a vu ou entendu jusqu’à lors. Et au lieu de laisser traîner cette émotion sur les bords d’une scène qui a enfin retrouvé sa sérénité, le réalisateur préfère stopper sa narration, conscient qu’une fois son pic atteint, il eut été impensable de se répandre dans une conclusion superfétatoire. Pas de rappel.

 

« Oh my dear God - are you one of those single tear people?

Je pourrais moi aussi continuer mon interprétation sur dix pages, tant j’ai à dire sur ce film. Mais comme Damien Chazelle, je préfère terminer sec et net, sans laisser planer le doute. Whiplash est un chef d’œuvre unique, peut-être le plus beau film que j’ai pu voir dans ma vie. Lorsqu’on se retrouve face au génie, il faut savoir l’admettre, et c’est tout. La musique, comme le cinéma génère des émotions, et lorsque celles-ci ne sont pas feintes, on se retrouve dans un tourbillon qui vous emporte et ne vous lâche plus. Je porte maintenant dans mon cœur Whiplash, et je le garderai toute ma vie.

Car plus qu’un film, Whiplash est un morceau de bonheur couché sur une partition qu’on garde jalousement.

Whiplash VOST

 

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