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6 octobre 2014

THE GIVER

The GiverJ’ai souvent évoqué le problème du timing dans mes chroniques musicales. C’est un concept assez intéressant, d’autant plus qu’il s’applique parfaitement au film dont j’ai choisi de vous parler aujourd’hui. Il arrive que la qualité intrinsèque d’un produit ne soit pas directement mise en cause dans une critique, mais que le réel problème se pose en terme de date de sortie, ou plutôt pour être précis, en termes de délai d’adaptation qui tend à le rendre obsolète sans qu’on puisse lui reprocher quoi que ce soit dans la forme.

 

The Giver de Phillip Noyce est en effet l’adaptation cinématographique d’un roman de Lois Lowry - auteur américaine principalement de livres pour la jeunesse – The Giver, publié en 1993. Ce titre est rapidement devenu un best seller, dépassant les dix millions d’exemplaires vendus, gagnant de nombreux prix, et figurant même en bonne place dans de nombreuses listes d’ouvrages à lire pour les cursus scolaires. Considéré aujourd’hui comme un classique, au même titre qu’Harry Potter, il a su séduire des millions d’adolescents touchés par son histoire somme toute manichéenne mais évitant l’écueil fatal de la mièvrerie, et se concentrant sur des valeurs simples. Mais voilà…Comme je le disais, The Giver, le film, souffre donc d’un gros problème de timing. Adapté plus de vingt ans après le roman dont il tire son essence, il apparaît aujourd’hui hors propos, dépassé par d’autres films sortis avant lui, traitant plus ou moins du même sujet, et donnant le sentiment d’en être un simple succédané sans substance et terriblement…court.

 

Il est vrai qu’avec seulement quatre vingt dix minutes au compteur, il est loin d’égaler les digressions du modèle auquel il sera inévitablement comparé, je veux bien sur parler de la trilogie Hunger Games. Même si dans le fond et la forme les deux œuvres présentent de grandes différences (tant au niveau du thème que dans le traitement de la violence), ils abordent chacun à leur façon un futur dans lequel les débordements de toutes sortes sont proscrits, et sanctionnés, et dans lequel la jeunesse tient un rôle primordial quant au sort de l’humanité. Mais résumons pour ceux d’entre vous qui n’auraient pas lu le livre, ni vu le film.

 

Dans un futur plus ou moins proche, le monde tel que nous le connaissons n’existe plus. Ni dans sa forme naturelle, ni dans ses fondements les plus élémentaires. La population vit sur une sorte d’îlot artificiel en suspension, protégé des menaces de l’extérieur, entouré de nuages brouillant la vue sur ce que l’on appelle « l’au delà ». De même, toute émotion susceptible d’entraîner des comportements potentiellement dangereux est proscrite. Les habitants vivent dans des « cellules familiales », doivent employer un langage précis et encadré, sont suivis dès leur plus jeune âge par un comité des sages, et se voient attribuer après l’obtention de leur diplôme de fin d’études une place/rôle dans la société, place qu’ils ne peuvent en aucun cas négocier ou remettre en cause. Ils subissent chaque matin une injection obligatoire qui régule leur tempérament, sont tous habillés de la même façon, en gros, vivent dans un monde ou la similarité est reine, afin d’occulter toute forme de jalousie ou d’envie. Les couples doivent adopter les enfants mis au monde par des mères porteuses, abandonnent leur nom de famille au profit d’un prénom anonyme, et doivent tous répondre à des critères stricts de correspondance/validité au monde qui les entoure, et les protège. Dans cet univers calfeutré, nous suivons le parcours de trois amis d’enfance, Jonas (Brenton Thwaites), Fiona (Odeya Rush) et Asher (Cameron Monaghan). Dès le début de la narration, Jonas se pose en personnage central, et annonce qu’il ne sait pas s’il doit regretter ce qu’il a fait ou non. Car Jonas est un élu, contrairement à ses deux amis. Il est choisi pour devenir le nouveau Dépositaire de la Mémoire, un genre de gardien du temple, unique lien avec le passé qui conseille les sages en cas d’interrogation sans réponse, en se basant sur ses connaissances de l’humanité et de son histoire, factuelle et sensorielle.

De fait, Jonas va donc être formé par l’ancien Dépositaire, cet énigmatique et solitaire vieil homme vivant au bord du monde en ermite. Ce dernier va lui transmettre son savoir, mais loin de le faire sous la forme d’un apprentissage « normal », va ouvrir l’esprit de Jonas a ce qui fut il y a très longtemps les sentiments humains, chose qu’il n’a jamais connu, et lui apprendre la joie, la peur, la haine, et…L’amour.

Mais le chef du conseil des sages, Elder (Meryl Streep) garde un œil méfiant sur ce vieil homme qui semble prendre sa responsabilité à contre pied, et sur ce jeune élève beaucoup trop subversif à son goût…Qu’arrivera t’il lorsque Jonas comprendra tout ce que la vie dans son monde implique comme sacrifices, comme pertes, et estimera il que les ersatz d’émotions auxquels ils ont accès valent encore le coup de se battre pour éviter le pire?

 

Sur une histoire simple et éprouvée, Phillip Noyce (Bone Collector, Sliver, Jeux de Guerre) tisse un film à la croisée des chemins. Si la thématique du livre de Lowry rapproche évidemment son film de la trilogie de Suzanne Collins – toute proportion gardée, puisque les Hunger Games se rapprochent plus d’un Battle Royale en plus théâtral - son traitement l’en éloigne assez rapidement, en choisissant d’occulter quasiment toute forme de violence. The Giver, dans le fond et la forme, se rapprocherait plus d’œuvres plus anciennes, et ressemble à s’y méprendre à un croisement pas si teen que ça entre le séminal Logan’s Run de 1976, et Equilibrium, sorti en 2002.

Il emprunte en effet au second sa thérapie censée annihiler toute velléité d’individualité sous la forme d’un traitement médical quotidien, et au premier son cadre (un dôme remplacé par un îlot), sa trame générale, et son dénouement. Et il est vrai que les analogies sont plus que troublantes entre les deux films…

 

Car si The Giver se focalise sur la jeunesse, l’importance de la canaliser et de la guider - ce qui constitue la plus grande différence entre le roman de Lowry et la nouvelle de William F Nolan - les similitudes sont nombreuses. Même description d’un futur où l’uniformité est la seule alternative à la violence, même refus de nommer « mort » ce qui pourtant l’est assurément (les exécutions sont appelées « Elargissement » chez Lowry et « Renaissance » chez Nolan), même mise en scène de celles ci (dans le « Carrousel » en 1976, lors de cérémonies de « Perte » en 2014), même monde extérieur laissé en l’état et décrit comme une zone de non droit, synonyme de perdition, dans lequel toute forme de vie est presque impossible, et dernier point, et non des moindres, abolition de tout rapprochement susceptible d’aboutir à une résurgence du sentiment amoureux, danger suprême par définition.

 

Mais ce parallèle serait incomplet si je n’évoquais pas un autre film, radicalement différent de tous ceux mentionnés ci dessus, qui complète et finalise le travail de Noyce en lui apportant les derniers éléments de mise en forme, Pleasantville. Si les deux films n’ont à priori rien à voir, ils adoptent la même démarche descriptive d’un monde stérile et cotonneux par l’adoption d’un noir et blanc sans contraste, qui évolue vers un univers coloré au fur et à mesure de la découverte de la vérité par ses protagonistes. On peut ainsi rapprocher les personnages de Jonas et de Tobey Maguire/David, qui font tous les deux office de guide/sauveur d’une humanité résignée à perdre tout ce qui a toujours constitué ses fondements au profit d’une existence aseptisée mais rassurante, en leur prouvant par A+B que pour être véritablement heureux, il faut aussi accepter la souffrance, la peur, et la douleur.

 

Au niveau de la réalisation, The Giver semble irréprochable. Son casting est séduisant, mélangeant avec harmonie la relève et l’arrière garde, avec en première ligne Brenton Thwaites (The Signal, Occulus) qui confirme tous les espoirs placés en lui, tandis que Jeff Bridges tient son rôle de vieux sage subversif avec toute la lassitude mêlée d’enthousiasme qu’on lui connaît. Les seconds rôles tiennent leur place avec aplomb, et notons juste l’importance donnée au personnage de Meryl Streep, beaucoup moins présente dans le roman.

 

Le métrage mélange le noir et blanc sans contraste du présent, et les couleurs flamboyantes des stock-shot illustrant l’apprentissage du héros, ainsi que ses incarnations dans des situations destinées à lui faire comprendre le monde d’avant. S’il est évident que le film est porté sur les épaules de ses deux interprètes principaux, qui tissent une relation étroite et émouvante maître/élève, ne négligeons pas sa construction en gigogne qui fait passer les émotions que le mentor souhaite faire ressentir à son disciple à merveille. Je vous laisserai seuls juges de la portée du message et de sa pertinence, tout en rappelant une fois de plus que celui ci à déjà servi de nombreuse fois de toile de fond.

 

Somme toute, The Giver est un bon film, qui se regarde sans déplaisir. Son seul tort est d’arriver un peu tard, et de ne pas proposer de réelle idée novatrice pour dynamiser une thématique devenue un genre à part entière, et de paraître un peu « léger » comparé aux aventures hors norme de Katniss Everdeen, et terriblement soft au regard du pamphlet nihiliste et sanglant de Kinji Fukasaku. Il n’en reste pas moins qu’il peut être considéré comme une jolie réussite, ne cherchant pas le sensationnalisme, et se contentant de raconter une belle histoire de façon simple et joliment imagée. Après tout, il n’y a aucun mal en 2014 a faire un bon film familial sans prétention aucune non ?

Bande-annonce : The Giver - VOST

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