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8 décembre 2014

FREQUENCIES (OXV THE MANUAL)

OXV_The_ManualSi vous êtes un lecteur assidu de ce blog et de ses billets (j’aime à croire que vous l’êtes, pour au moins un ou deux d’entre vous), vous n’êtes pas sans ignorer que les comédies romantiques ne sont pas ma tasse de thé. Non que je sois réfractaire au genre, mais je pense qu’il n’a plus rien à apporter depuis longtemps, que tout a déjà été dit, et brillamment de surcroit, et qu’aucun réalisateur n’essaie plus depuis de trouver une approche différente pour lui offrir un second souffle. Mais ce constat pourrait changer, si à l’avenir je tombais plus souvent sur des films comme Frequencies (OXV : The Manual), qui est définitivement une pépite du genre, quoique offrant une vision plus ou moins biaisée de la thématique. Mais le résultat est là. Résolument différent, tenant autant de la science-fiction que du drame sentimental, et de fait, autant susceptible de plaire que de rebuter. J’ai choisi mon camp, ce film m’a énormément plu, et je vais vous expliquer pourquoi.

Réalisé à l’économie par Darren Paul Fisher (Popcorn et Inbetweeners, vu ni l’un ni l’autre, désolé), OXV : The Manual traite de sujets aussi vastes que la vie, l’amour, la compatibilité, le destin, et ce qu’un être humain peut faire pour influer sur la succession d’évènements que d’aucuns appellent l’existence. Situé dans un collège huppé anglais, l’histoire nous présente trois protagonistes principaux. Zak (Charlie Rixon (enfant), Dylan Llewellyn (Ado), Daniel Fraser (Adulte)), Marie (Lily Laight (enfant), Georgina Minter-Brown (ado), Eleanor Wyld (adulte), et Théo (Ethan Turton (enfant), Tom England (ado), Owen Pugh (adulte)), tous trois élèves dans ce qui semble être un établissement privé. Dans la réalité parallèle vécue par ces trois enfants, la carrière et la place de chacun dans la société sont déterminées par des fréquences émises par la personnalité. Plus votre fréquence est haute, plus votre vie sera brillante et placée sous une bonne étoile. Plus votre fréquence est basse, plus chaque jour sera un combat contre l’adversité. En gros, le sempiternel parallèle entre les plus haut et les plus bas QI, l’opposition séculaire inné/acquis, etc…

Dans cet univers stratifié à l’extrême, Zak croise un jour le regard de Marie, et devient à cet instant même persuadé qu’elle est la femme avec qui il souhaite passer le restant de ses jours. Le problème est que Marie fait partie d’une élite, les très hautes fréquences, alors que lui-même erre dans les limbes des très basses fréquences. Dès lors, il comprend que tout contact avec la belle Marie va être très risqué, et surtout, très limité. En effet, les deux enfants ne peuvent rester en présence l’un de l’autre qu’une seule et unique minute par an, et s’ils dépassent ce temps imparti, la nature se déchaine, leur rappelant de manière abrupte que leurs routes ne doivent/peuvent se croiser que d’une façon éphémère.

Zak, basse fréquence, est par essence moins intelligent que la moyenne. Il compense ce déficit par une plus grande empathie. Marie elle, est une surdouée froide et au comportement clinique. Elle est incapable de s’intéresser aux autres autrement que par le biais d’études comportementales. Mais chaque année, les deux se retrouvent pendant une minute, lors de tests menés par la belle Marie, et Zak commence à croire que celle-ci s’intéresse à lui d’une façon beaucoup moins rationnelle qu’elle ne veut bien le faire croire. Jusqu'à ce qu’un jour, elle lui avoue que tous ses sourires, ses regards tendres ne sont que façade, qu’elle est incapable d’éprouver de l’amour, au grand désespoir de Zak, tombé sous son charme depuis longtemps…Accablé par cette découverte, il disparaît du jour au lendemain, et Marie continue son chemin. Mais c’est sans compter sur l’amour que Zak lui porte, et avec l’aide de Théo, celui-ci va s’acharner à chercher une solution pour pouvoir apprendre à l’amour de sa vie les sentiments réciproques, en travaillant sur une théorie révolutionnaire à laquelle personne ne semble croire. Zak et Théo découvrent ainsi qu’il est possible de changer les fréquences de chacun, en se servant des échos sonores émanant de la nature et les concrétisant en mots sans aucun sens, mais à la phonétique musicale d’importance.

Zak revient donc un jour vers Marie lui faire part de sa découverte. D’abord sceptique, elle finit par se laisser convaincre, et réalise que les énoncés de Zak ne sont pas aussi infondés qu’ils paraissaient être. Soudain perméable aux sentiments, elle éprouve la souffrance, la peur, mais aussi l’amour, jusqu’à ce que son père, brillant scientifique toujours à la recherche d’un brevet à déposer, découvre les travaux et les théories de Zak, et décide de les concrétiser en produit à mettre sur le marché. Mais les effets secondaires ne tardent pas à remonter à la surface, remettant en cause toute l’affaire. Et si Zak s’était trompé ? Ou pire, s’il était un manipulateur ? Dès lors, le gouvernement passe la bride à la petite équipe soupçonnée de subversion, et Marie elle-même éprouve de sérieux doutes quant aux intentions nobles de son compagnon. Et si Zak les avait tous trompés en découvrant un concept vieux comme le monde ?

La force de ce film est multiple. Sous une thématique simple et éprouvée (peut-on forcer le destin ou doit-on accepter sa condition comme avenir inéluctable ?), Darren Paul Fisher livre une interprétation toute personnelle reposant sur plusieurs facteurs. D’abord, une construction gigogne, qui offre successivement les points de vue des trois personnages principaux, avec une mise en scène différente selon le regard. Le premier POV est celui de Marie. Sous une lumière blanche sans contraste, une photographie neutre et éthérée, son monde est décrit comme un alignement ordonné d’évènements, d’objets soigneusement agencés, et de cadrages symétriques, monde sans charme et stérile dans lequel tout est à sa place. Puis vient celui de Zak, plus désordonné, coloré, contrasté, avec une opposition plus franche entre la lumière et la pénombre, symbolisant la vérité et les questions posées. Celui de Théo est en quelque sorte entre les deux. Plus nuancé, plus abscons, un peu ironique.

Ironique. Le mot est lâché. Ce concept est même au centre de la théorie de base de Zak. Ce décalage entre une situation A et un discours B provoque chez les gens une déstabilisation propre à remettre en cause l’ordre naturel des choses. Et si finalement rien n’était écrit ? Si finalement, chacun avait le choix de transcender son potentiel naturel, ou – étymologiquement parlant – de le « dénaturer » pour l’adapter à ceux qui nous entourent ? En ce cas, le potentiel de base de chaque individu ne déterminerait en rien son avenir, puisqu’il serait capable de le modifier pour accéder à des choses qui lui étaient à priori interdites au départ. Pour démontrer cette théorie, le réalisateur s’appuie sur des performances étonnantes de justesse de ses jeunes interprètes. Au premier plan, Marie (et ses trois incarnations), parfaite en « machine » dénuée de toute empathie, évaluant tous ses contemporains comme de simples sujets d’étude, dont l’attitude glisse soudain d’une froideur implacable à des tourments ingérables qui font vaciller ses bases. Les expressions étonnement robotiques des trois actrices se succédant dans sa peau sont parfaitement adaptées au rôle qu’elles doivent incarner, tout comme la naïveté teintée de désespoir/espoir de Zak est brillamment illustrée par trois interprètes touchants de justesse. Les partis pris de mise en scène de Fisher, bien découpés selon les regards interfèrent les uns avec les autres, personnifiant intelligemment les conflits entre les êtres et la nature et les catastrophes découlant de leur présence sur le même plan.

En regardant OXV : The Manual, on pense à plusieurs aînés de Fisher, à un savant mélange entre les mondes délicieusement oniriques et fictionnels/poétiques de Gondry (Eternal Sunshine en premier lieu), Orwell (1984 et le contrôle de la pensée et du comportement), et le labyrinthe de Shane Carruth (Primer, bien sûr). Au-delà de son sujet et des interprétations offertes, dont chacun jugera de la pertinence, The Manual est un film charmant, posant à la volée des questions essentielles et formelles, dont chaque réponse dépend de VOTRE point de vue. Notre destin est-il écrit à l’avance sans que nous puissions y faire quelque chose ? Et si cela est tout de même possible, l’influence de notre comportement sur les évènements s’apparente-il à un contrôle de la pensée ôtant tout libre arbitre ? La clé du sens de la vie se trouve elle dans les mots que nous employons ? Leur portée/efficacité dépend elle du silence qui nous entoure ? La musique est-elle le seul moyen de lutter contre une « prédestination carcérale » (le passage assez abscons sur Mozart et ses compositions est en ce sens très curieux, et offre une patine très Da Vinci Code à l’ensemble), et, par extension, l’art et les émotions qu’il suscite est-il le seul moyen pour des êtres à l’intelligence moyenne d’accéder à un état supérieur de conscience ? Mais surtout, la nature offre elle à ces mêmes individus des qualités humaines que les surdoués n’appréhendent pas, dans un désir d’équilibre global indispensable au bon fonctionnement de l’univers ? Car la clé du film est bien là, l’équilibre. Faut-il pour que la nature arrive à cet équilibre que les évènements s’enchainent et s’imbriquent d’une certaine façon ? Et en ce cas, l’ironie à elle sa place, puisque par définition, elle repose sur un décalage entre la formulation et le contexte situationnel ?

Autant de questions auxquelles Fisher tente de répondre à sa façon, en utilisant toutes les ficelles possibles mises à sa disposition. Musique, cadrages, dialogues, phonétique abstraite, photographie évolutive, tension progressive…Après tout, ne désire-on pas le plus ce à quoi nous ne sommes pas prédestiné ? En regardant ce film, il vous sera impossible – je m’y engage – de ne pas tomber sous le charme des deux personnages principaux, aux caractères et apparences radicalement opposés. C’est peut-être la façon la plus froide et pourtant la plus émouvante de parler d’amour, en se basant sur des principes scientifiques pour en expliquer l’osmose. Et une fois le métrage terminé, peut être pourrez-vous répondre à l’interrogation primale de celui-ci.

Le savoir détermine il le destin ?

Frequencies Official Trailer (2014)

 

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